Vous avez reçu le Traité pour une Constitution de l'Europe (TCE) et vous n'avez pas très envie de le lire ? Moi qui l'ai lu deux fois le crayon à la main, je vous comprends. C'est un peu moins pénible en utilisant le livre d'Olivier Duhamel, Pour l'Europe : La Constitution européenne expliquée et commentée (attention à bien acheter la deuxième édition, celle de 2005, qui incorpore les modifications finales). Duhamel, député européen du groupe socialiste, est un fédéraliste convaincu ; son enthousiasme se traduit, dans la première partie du livre qui retrace ses souvenirs de "conventionnel", par un glissement vers le lyrisme haletant. Il semble y avoir quelque chose de particulier dans l'atmosphère de Bruxelles, pour pousser un sobre professeur de droit à s'exprimer en phrases de trois mots sans verbe. La deuxième partie comprend ses commentaires sur les parties I et II du traité, ce qui permet d'apprécier les changements par rapport aux traités existants. Malheureusement, il donne le texte des importantes parties III et IV sans commentaires, à l'exception d'une utile liste des nouveautés en page 334. Il renvoit aussi au site Web de la Commission pour les protocoles et annexes (que vous avez aussi reçus chez vous).
Cette chronique va être un peu plus longue qu'à l'habitude. Pour ceux qui sont pressés, je voterai "non" le 29 mai parce que :
- Compte tenu de la difficulté qu'il y aura à réviser ce texte, la théorie économique nous enseigne qu'on ne doit l'approuver que si on lui attribue une valeur nette suffisamment élevée (pas seulement positive).
- Ce texte pérennise un fonctionnement institutionnel biscornu et anti-démocratique.
- Sa principale avancée incontestable (un système de vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil plus conforme à la réalité démographique que celui du traité de Nice) peut parfaitement être adoptée séparément, comme cela a d'ailleurs toujours été le cas jusqu'ici.
- Dans ces conditions, l'Union peut parfaitement continuer à fonctionner sans le TCE...et travailler à préparer une Constitution plus courte, plus claire et plus démocratique. A mon sens, elle gagnerait à se cantonner aux deux domaines des droits de l'homme et du fonctionnement institutionnel, comme la constitution américaine ou celle de la Ve République, qui n'ont pas trop mal servi jusqu'ici.
Prenons d'abord le point 1. La théorie des choix d'investissement disait jusqu'aux années 80 qu'un investissement (par exemple l'achat d'une machine) se justifiait si sa valeur présente nette était positive. Pour calculer la VPN, on évaluait (à l'aide d'un calcul d'actualisation sur lequel il n'est pas utile de s'étendre ici) le flux de profits attendu de l'exploitation de la machine, et on ne retranchait le prix d'achat de la machine, les coûts de son fonctionnement et de son entretien, etc. Les progrès théoriques récents, présentés dans ce livre de Dixit et Pindyck, prennent en compte l'incertitude et l'irréversibilité. Nous vivons dans un monde incertain ; à chaque moment, nous arrivent des informations nouvelles sur la valeur des investissements que nous pouvons entreprendre. Si nous pouvions modifier sans aucun coût nos choix d'investissement à tout moment, nous pourrions appliquer la règle de la VPN, en révisant sans cesse nos calculs et nos décisions. Mais nos choix sont en partie irréversibles : même un achat de titres sur les marchés boursiers les plus liquides nécessite le versement d'une commission à un intermédiaire ; et c'est encore plus évident dans le cas d'une machine qu'il sera difficile de revendre sur un marché d'occasion.
La nouvelle théorie nous indique qu'attendre a une "valeur d'option" : cela nous permet d'affiner notre estimation de la VPN et d'éviter de prendre une mauvaise décision difficile à modifier. En présence d'incertitude et quand l'investissement est au moins partiellement irréversible, on ne doit donc adopter un projet que si sa VPN est non seulement positive, mais supérieure à un seuil qui est d'autant plus élevé que l'incertitude est plus grande et l'investissement plus irréversible. Cette logique s'applique évidemment à toute décision humaine ; même si ces résultats ont été obtenus par des économistes, ils relèvent en fait de la théorie de la décision rationnelle et ne dépendent aucunement d'une vision "néoclassique".
Qu'en est-il de la décision d'adopter le TCE ? Dans ce cas, la présence d'incertitude est claire. Quid de l'irréversibilité ? L'article IV-443.3 nous dit que la procédure de révision se conclut ainsi :
Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
Mais si le TCE est ratifié, plusieurs Etats (dont la France) l'auront fait par référendum, et il paraître politiquement difficile de ne pas recourir au référendum pour le modifier. Les partisans du TCE ont donc tort : on ne doit voter "oui" au TCE que s'il a une valeur "plus que positive". Je pense quant à moi que cette valeur est "positive, mais pas assez" ; je vais expliquer pourquoi.
Une remarque au passage : j'évacue les arguments du type "vous n'allez pas voter avec l'horrible Théophile ou l'infâme Théodule". "Dans quelle majorité voulez-vous vous retrouver ?" n'est pas la question posée. J'ai cédé à ces arguments une fois déjà, pour approuver l'Union Economique et Monétaire ; et je ne suis pas sûr d'avoir eu raison.
On a dit que le TCE était long et illisible. Illisible, c'est exagéré. Long, certainement. Ce texte contient une multitude d'articles qui ne sont que des déclarations d'intention et n'ont rien à faire dans une Constitution, particulièrement dans sa partie III. A voir les articles III-248 à III-255 sur la recherche, par exemple, il est difficile de comprendre pourquoi les plus hautes autorités scientifiques françaises ont jugé nécessaire d'appeler au "oui" ; un réflexe très "France d'en haut" ? Je n'ai vu aucune amélioration par rapport à l'existant ; je crains même une dérive accrue vers une centralisation et une bureaucratisation croissantes, soit exactement l'opposé de ce dont nous avons besoin.
Voyons d'abord les aspects économiques. Peu de choses changent. L'article I-4.1 réaffirme très tôt les principes de base :
La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement, sont garanties par l'Union et à l'intérieur de celle-ci, conformément à la Constitution.
L'article I-15.1 mentionne la coordination des politiques économiques de l'emploi, qui est du ressort du Conseil seul. Les modalités de cette coordination pour l'Euroland sont précisées à l'article III-394 : vote à la majorité qualifiée, sauf pour le point crucial des déficits excessifs (article III-184.13) où l'unanimité reste de règle. En tout état de cause, la procédure de sanctions prévue à l'article III-179 n'est pas bien terrifiante. Dernière remarque sur ce point : un coup d'oeil au protocole 10 et à l'article III-184 montre qu'en ce qui concerne les déficits et la dette des Euro-membres, le traité d'Amsterdam reste quasiment inchangé, à l'exception d'une mention non contraignante d'une référence aux dépenses publiques d'investissement (article III-184.3). La France et l'Allemagne auront donc fait beaucoup de bruit pour rien. Comme beaucoup d'économistes, je désapprouve le traité d'Amsterdam ; et je regrette qu'on juge encore bon de contraindre les politiques budgétaires dans l'Union monétaire.
L'article III-122, sur les "services d'intérêt économique général", a fait couler beaucoup d'encre :
...l'Union et les États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application de la Constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu'ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services.
Ce que je crois en comprendre pour ma part, c'est que les Etats restent très libres de définir les principes essentiels qui régissent leurs services publics.
Quid de la Banque Centrale Européenne ? Elle garde des "préférences lexicographiques", comme disent les économistes :
L'objectif principal du Système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, il apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union pour contribuer à la réalisation des objectifs de celle-ci.
Elle n'est donc pas près de se transformer en la Fed.
Passons à la politique sociale, cadre de débats acharnés à la Convention (et depuis). Vous pouvez vous reporter aux articles III-209 à III-219 ; l'article III-210 est le plus important. Une interprétation charitable (celle de Jacques Delors, plus honnête que beaucoup d'autres partisans du "oui") est que la Constitution préserve un socle minimal de droits sociaux. C'est vrai, à condition de préciser que ce socle est, dans un Etat donné, celui qui existe actuellement ; que les rémunérations, le droit de grève et de lock-out, le droit d'association en sont exclus ; et enfin, que l'unanimité sera requise pour toute législation portant sur la protection sociale, les licenciements, les négociations collectives et le traitement des immigrés des pays tiers. Un tigre de papier, donc.
C'est sur le fonctionnement des institutions que mon malaise est le plus grand. Il y a certes des avancées positives. L'article I-11 précise le "principe d'attribution" :
Toute compétence non attribuée à l'Union dans la Constitution appartient aux États membres.
Voilà qui est simple et clair, pour une fois. Au même article figure le "principe de subsidiarité" :
En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. Les institutions de l'Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect de ce principe conformément à la procédure prévue dans ce protocole.
Voyons donc le protocole (c'est le numéro 2)... A mon sens, c'est son article 7 qui est le point central. Les parlements nationaux doivent désormais être saisis de tout projet législatif européen. S'ils sont suffisamment nombreux à estimer qu'il viole le principe de subsidiarité, alors
À l'issue de ce réexamen, la Commission ou, le cas échéant, le groupe d'États membres, le Parlement européen, la Cour de justice, la Banque centrale européenne ou la Banque européenne d'investissement, si le projet d'acte législatif européen émane d'eux, peut décider, soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Cette décision doit être motivée.
L'avis des parlements nationaux est donc purement consultatif ; il ne leur restera plus ensuite que garder l'espoir que la loi ne passe pas, ou saisir la Cour de Justice. J'ai du mal à considérer que c'est un progrès.
La Convention a bravement essayé de définir les compétences de l'Union (article I-12). Il y a les "compétences exclusives" (article I-13), qui n'ont guère changé :
L'Union dispose d'une compétence exclusive dans les domaines suivants: a) l'union douanière; b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur; c) la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro; d) la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche; e) la politique commerciale commune.
Il y a les "compétences partagées" (avec les Etats) ; et puis il y a les "compétences", sans adjectif parce qu'on ne s'est pas entendu sur leur classement, avoue benoîtement Duhamel. Dommage, c'était bien essayé.
J'ai déjà dit que la nouvelle règle de majorité qualifiée au Conseil était un net progrès. Première raison, formelle : " 55% des Etats membres, représentant au moins 65% de la population" ne nécessite pas d'être renégocié à chaque élargissement. Deuxième raison, de fond : Jacques Chirac a abandonné son entêtement sur la parité France-Allemagne, et c'est très bien comme cela. Ce doit être encore un cas où La plupart du temps je me suis aperçu, quelques années plus tard que je m'étais trompé... En revanche, rien de tel pour le Parlement Européen : il faudra renégocier en 2007-2008.
On a beaucoup parlé des deux présidents. L'article I-22 institue un Président du Conseil Européen sans mandat national, élu à la majorité par le Conseil pour deux ans et demi. Il dirigera les débats mais n'aura pas de droit de vote (article I-25.4). Le président de la Commission, lui, sera élu par chaque nouveau Parlement Européen pour cinq ans, sur proposition du Conseil (article I-27) ; une démocratie bien encadrée donc. Je ne suis pas convaincu que cette bicéphalie réduise le conflit structurel entre la Commission et le Conseil, mais au nom de l'efficacité, je suis prêt à mettre une petite croix dans la colonne "positif".
Les citoyens de l'Union se voient aussi accorder un droit de pétition, s'ils rassembelent un million de signatures (article I-47.4). Cela dit, c'est juste une "invitation" à la Commission. Là encore, il ne faudrait pas se laisser déborder par le peuple... Les débats législatifs seront désormais publics au Conseil comme au Parlement, nous dit-on à l'article I-50.2 ; mais je suppose que les accords se feront à l'avance et sans témoins.
Le problème majeur de l'Union, c'est, chacun le reconnait, son déficit démocratique. La procédure législative est un animal bizarroïde : la Commission, qui est l'exécutif de l'Union, a le monopole de l'initiative législative (article I-26.2) ! Montesquieu doit se retourner dans sa tombe... Qu'arrive-t-il ensuite ? L'article I-34.1 nous dit que :
Les lois et lois-cadres européennes sont adoptées, sur proposition de la Commission, conjointement par le Parlement européen et le Conseil conformément à la procédure législative ordinaire visée à l'article III-396. Si les deux institutions ne parviennent pas à un accord, l'acte en question n'est pas adopté.
L'article III-396, quant à lui, nous informe que chaque projet de la Commission est transmis au Parlement Européen puis au Conseil, qui doivent l'approuver en termes identiques. A noter que si la Commission émet un avis négatif sur un amendement du Parlement, le Conseil ne peut adopter cet amendement qu'à l'unanimité. La procédure budgétaire diffère un peu (article III-404) : le Conseil est saisi du projet de budget par la Commission avant le Parlement Européen, et les règles de navette ne semblent pas garantir la convergence de la procédure en temps fini... d'où l'utilité de l'article III-405 :
1. Si, au début d'un exercice budgétaire, la loi européenne établissant le budget n'a pas été définitivement adoptée, les dépenses peuvent être effectuées mensuellement par chapitre conformément à la loi européenne visée à l'article III-412, dans la limite du douzième des crédits inscrits au chapitre en question du budget de l'exercice précédent, sans pouvoir dépasser le douzième des crédits prévus au même chapitre du projet de budget. 2. Le Conseil, sur proposition de la Commission et dans le respect des autres conditions prévues au paragraphe 1, peut adopter une décision européenne autorisant des dépenses qui excèdent le douzième, conformément à la loi européenne visée à l'article III-412. Il la transmet immédiatement au Parlement européen.
Autrement dit, si la Commission et le Conseil se débrouillent bien, le Parlement n'a pas voix au chapitre. On me dit d'ailleurs que l'article III-405 (sous un autre nom) a été utilisé plusieurs fois par le passé.
Rien n'a changé au plan législatif : la Commission, porteuse par construction d'un projet supranational qui n'emporte pas l'adhésion des Européens (voir les sondages, ou la croissance de l'abstentionnisme aux élections Européennes), jouit d'un pouvoir exorbitant. Le TCE était l'occasion de dompter ce monstre institutionnel tricéphale qui a grandi par accumulation d'aléas historiques, sans réflexion préalable. Je ne crois pas que l'évolution institutionnelle conduise nécessairement à un optimum ; et dans le cas présent, il me semble qu'il y a beaucoup à revoir. Mon préambule sur l'irréversibilité joue à plein sur ce point. Faut-il voter "oui" pour pérenniser cet assemblage ? Je ne le crois pas.
Le TCE affiche également un mouvement vers la supranationalité dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, que ses partisans applaudissent et que ses opposants déplorent. Je devrais sans doute afficher mon a priori ici. Franchement, et sans aucune recherche du paradoxe, je ne vois pas que les spécificités actuelles de la politique étrangère française méritent d'être préservées. J'en vois trois :
- Un antiaméricanisme systématique et parfaitement improductif. Je voyais il y a quelques jours à la télévision un jeune militant de l'UMP parler de ses "frissons" lorsque Dominique de Villepin a prononcé son fameux discours contre la guerre en Irak à l'ONU. Peut-être avions nous raison de nous opposer à cette guerre, je suis encore incapable d'en juger ; mais je suis sûr d'une chose : à partir du moment où le président Bush avait décidé de la faire avec ou sans mandat de l'ONU, il était parfaitement inutile de continuer à jouer les matamores.
- Une politique arabe largement motivée par les ventes d'armes, et dont la composante propalestinienne nous a complètement exclus du jeu diplomatique au Proche-Orient pour l'avenir prévisible.
- Une politique africaine dont j'ai déjà dit ce que j'en pensais.
Si une politique étrangère européenne venait invalider ou nuancer ces orientations, je n'y verrais que des avantages---j'espère que cela ne fait pas de moi un membre de l'Antifrance, pour parler comme Superdupont. Mais cet argument n'est pas très fort : il ne vaut que pour la politique étrangère actuelle, et je peux envisager des circonstances où je ne souhaiterais pas que l'Union statue pour la France en ce domaine. Ceci dit, je ne crois pas que le TCE nous y conduise. L'article I-16.2 dit bien que :
Les États membres appuient activement et sans réserve la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle et respectent l'action de l'Union dans ce domaine. Ils s'abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l'Union ou susceptible de nuire à son efficacité.
Le Ministre des Affaires Etrangères, élu à la majorité qualifiée par le Conseil avec l'accord du président de la Commission, a un rôle défini par l'article I-28.2 :
Le ministre des Affaires étrangères de l'Union conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. Il contribue par ses propositions à l'élaboration de cette politique et l'exécute en tant que mandataire du Conseil. Il agit de même pour la politique de sécurité et de défense commune.
Mais le point crucial est l'article I-40.6 :
En matière de politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil européen et le Conseil adoptent des décisions européennes à l'unanimité, sauf dans les cas visés à la partie III.
Que lit-on à la partie III (ah, que cette organisation du texte est commode...) ? Article III-300, pour résumer : si le Conseil a déjà décidé d'une stratégie à l'unanimité, il peut statuer à la majorité qualifiée pour les mesures d'application, sauf si un membre du Conseil s'y oppose (!), et sauf si la mesure a des implications militaires. Bref, c'est l'unanimité qui prévaut, sauf quand c'est l'unanimité.
Pour ne prendre que deux pôles opposés, ni la France (le président Chirac l'a clairement dit) ni le Royaume-Uni n'accepteront de transiger sur les principes de base de leur politique étrangère. On l'a vu sur l'Irak comme dans les Balkans (l'Allemagne aidant). Quand tout le monde est d'accord, comme pendant la "révolution orange" en Ukraine, il est bien sûr utile d'avoir un porte-parole ; mais nous avions déjà Javier Solana, depuis six ans, et il a joué ce rôle à cette occasion. Certes, le nouveau Ministre des Affaires Etrangères aura désormais un service diplomatique, ce qui le rendra plus efficace ; mais ce ne sont pas ses diplomates qui convertitont les Etats récalcitrants. Il n'est pas étonnant que Jacques Chirac ait parlé devant les jeunes du "malheureux ministre des Affaires Etrangères" de l'Union.
La partie II du TCE rend constitutionnelle la Charte sur les droits fondamentaux adoptée à Nice. Rien à redire sur le principe, au contraire. Ceci dit, je n'ai pas eu l'impression que ce texte nous garantisse des droits que nous n'avons pas depuis belle lurette, dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 ou dans le Préambule à la Constitution de 1946 qui sont tous deux intégrés dans la Constitution de 1958 (ouf !). Je vois bien l'intérêt que cette charte peut présenter pour les nouveaux membres (ou la Turquie un jour) ; je lui attribue donc une valeur légèrement positive. Selon Duhamel, la plupart de ces garanties figuraient déjà dans la Convention Européenne des Droits de l'Homme (qui n'a rien à voir avec l'UE ; il faut suivre !). Il est ainsi arrivé à la Turquie d'être condamnée. Mais la menace d'une exclusion de l'Union (article I-59) est plus forte, puisque l'Etat concerné perdrait le bénéfice de l'intégration économique. Ceci dit, on doute que l'Union menace d'exclure un Etat qui n'aurait pas ouvert "un service gratuit de placement" (article II-89) ; et un Etat qui rétablirait la torture (article II-64) ne s'inquiéterait peut-être pas beaucoup des sanctions économiques.
En définitive, chacun peut se décider en fonction de la valeur qu'il attribue à ces innovations. Personnellement, je ne pense pas qu'elles soient suffisantes pour mériter mon approbation. Dire qu'"il n'y a pas de plan B" est ridicule : à quoi bon nous demander de voter sinon ? Si le TCE est rejeté (par la France, par les Pays-Bas, par l'Irlande, par la Pologne, par la République Tchèque... plusieurs pays organiseront des référendums après nous), les gouvernements pourront toujours se réunir au sein du Conseil pour adopter les changements utiles (nouvelles règles de la majorité qualifiée, président du Conseil européen). Après tout, n'est-ce pas toujours ainsi qu'ils ont procédé ?