Quelques jours avant le premier tour, il m'a semblé urgemment nécessaire de faire le point sur le changement climatique. Il est probable qu'il serait resté loin à l'arrière-plan sans les efforts de Nicolas Hulot, qui a amené Bayrou, Royal et Sarkozy à signer son Pacte écologique---j'y reviendrai.
Il reste quelques sceptiques dans les milieux scientifiques (Claude Allègre notamment, de manière un peu décousue mais toujours bruyante). Et parmi les milliers d'articles publiés sur cette question---en moyenne deux par semaine dans Science, évaluation personnelle---beaucoup soulignent l'ampleur des incertitudes. Néanmoins, et en pur amateur, il semble clair que le consensus scientifique a évolué en faveur de l'hypothèse que :
- ce changement est réel ;
- il est en bonne partie "anthropogénique" (imputable à l'action humaine) ;
- il aura des conséquences très négatives sur les pays les plus pauvres, l'Afrique sub-saharienne au premier chef, qui verra ses extrêmes climatiquesd devenir encore plus extrêmes.
Mais étant économiste, c'est des aspects économiques que je veux parler ici. L'outil de base dont nous disposons pour le diagnostic et l'action est l'"analyse coûts-bénéfices" : combien devrions-nous dépenser dans les années à venir (et comment) pour contrecarrer les conséquences du changements climatiques ? "Contrecarrer" ici a deux sens : la mitigation et l'adaptation. "Mitigate", c'est limiter les émissions de gaz à effet de serre afin de maîtriser (puis peut-être d'inverser) leur accumulation dans l'atmosphère. "Adapt", c'est prendre des mesures qui réduisent les effets négatifs du changement---par exemple protéger les petites îles submersibles de l´élévation prévue du niveau des mers par des digues ; c'est aussi prendre appui sur les aspects bénéfiques du changement là où ils existent---l'agriculture au Groënland, ou le tourisme à Mourmansk.
Pour caricaturer, le produit de ce type d'analyse se traduit en un chiffre : le "dommage social" d'une tonne de carbone, en dollars d'aujourd'hui. Ill correspond aussi au taux de la "carbon tax" qu'on devrait imposer, ou au prix que devraient atteindre les "permis de polluer" sur le marché européen. Attention, une tonne de carbone n'est pas une tonne de CO2--- les masses diffèrent, 12 contre 48. Nous émettons actuellement un peu plus de 6 milliards de tonnes de carbone par an : pour fixer les idées, 1,5 milliard pour les Etats-Unis, presque autant pour la Chine dans un an ou deux, 1 milliard pour l'Union Européenne (dont 100 millions pour la France et 200 millions pour l'Allemagne), 300 millions pour le Japon, etc.
Selon William Nordhaus, qui fait tourner de petits modèles économico-climatiques intégrés à Yale depuis vingt ans, ce serait 15 dollars aujourd'hui, puis un prix plus élevé à mesure que nos capacités de mitigation s'accroissent. Pour le rapport Stern, c'est 100 dollars. Comment peuvent-ils diverger autant ? Les conséquences en termes de politique économique sont évidemment considérables.
Le principe de l'analyse est simple. Les accords au niveau le plus microéconomique (les coûts induits par le réchauffement, par les inondations, par les pertes de productivité agricoles etc) ne sont pas énormes compte tenu de la difficulté de les évaluer. Il y a plus de divergences sur le coût de substituer une source d'énergie à une autre, ou de rendre les centrales électriques "propres" ; mais là encore, ce n'est pas le noeud du problème. Ce qui fait débat, c'est un concept qu'on apprend dans les cours d'introduction à l'économie (ou dans les business schools) : l'actualisation, discounting comme on dit chez nous.
Là encore, l'idée est élémentaire.Imaginez-vous cadre d'entreprise. Un quidam propose de vous vendre pour mille euros une machine qui vous donnera un revenu net de 100 euros pendant dix ans, puis ira au rebut. Faites abstraction de l'inflation, et du risque que le revenu ne soit pas à la hauteur de l'argument de vente. Acheterez-vous la machine ? Non, bien sûr : après tout, vous pourriez placer ces mille euros en emprunts d'état, retirer cent euros de votre compte tous les ans, et les intérêts accumulés vous laisseraient encore un peu d'argent les dix ans révolus. Mais que vaut donc la machine pour vous ? J'ai presque donné la réponse : la "valeur présente" de la machine se calcule en additionnant les revenus nets actualisés. On patine, me direz-vous ; que nenni. Prenons les 100 euros de revenu net obtenus au bout d un an. Vous auriez aussi pu vous les garantir en investissant 100/(1+r) euros dans un emprunt d´état qui rapporte un taux d'intérêt r. Avec r=4% par exemple, un peu plus de 96 euros auraient suffi ; la valeur actualisée de ces premiers cent euros n'est donc que de ces 96,15 euros.
On continue : les cent euros de la septième année ne valent que 100/(1+r)^7 euros, soit à peu près 76 euros, parce qu'un placement de 76 euros vaut 100 euros au bout de sept ans... le total des revenus nets actualisés sur les dix ans est
100/(1+r)+......+100/(1+r)^10, soit ici 96,2+...+67,6=811,1 euros
Autrement dit, vous devriez exiger un rabais de 200 euros, faute de quoi il vaudrait mieux placer votre argent à 4%. En fait, c'est une autre réponse, équivalente : le taux de rendement interne de l'achat de cette machine au prix initial de 1000 euros n'est que de 3,2%. Ce n'est que si vous l'achetez à 811 euros qu'il sera égal aux 4% que vous toucheriez de l'Etat. Troisième réponse, toujours équivalente : la "valeur présente nette" de l'achat est exactement nulle si vous payez 811 euros. Et elle est négative (de 189=1000-811 euros) si vous payez le prix exigé par le vendeur.
A partir de là, les choses paraissent simples. Prenons l'exemple de la "taxe au carbone" : elle serait imposee à un taux donné sur chaque activité qui émet des gaz à effet de serre, au prorata des émissions. A titre d'illustration, un passager qui effectue un aller-retour Paris-New York en avion "émet" 500 kilos d´équivalent carbone, et devrait donc supporter une taxe de 25 dollars si le taux est de 50 dollars par tonne---la taxe peut être imposée sur le prix du billet, par exemple.
Supposons qu'on sache évaluer les coûts d'une telle taxe (en terme de réduction de la productivité, directe ou du fait de la nécessité d'adapter les structures), soit C(t) si le taux de la taxe est fixé à t ; et qu'on sache calculer aussi les gains (moindres dégats climatiques) qu'elle entraînera, soit G(t). L'économiste est sur son terrain ! Il suffit de choisir le taux t qui rend G(t)-C(t) le plus élevé. A priori, ce taux---appelons-le T---est positif ; mais Nordhaus nous le donne à 15 dollars, et Stern à 100 dollars. Voilà de quoi s'inquiéter ; après tout, Nordhaus et Stern, "all you know, are honourable men."
Et le rapport avec l'actualisation ? Il est direct. Les coûts de la taxe au carbone, C(t), sont encourus dès son instauration (et ensuite bien sûr) ; les gains G(t) qu'on en espère ne se matérialiseront qu'après une longue période, cinquante ans ou un siècle, tout simplement parce que c'est à cet horizon que les conséquences du changement climatique commeneceront à être vraiment graves. Le C(t) joue le rôle des 100 euros de prix d'achat de la machine, et le G(t) de la valeur présente des revenus nets.
Ergo, le taux d'actualisation r devient important. TRES important, même. A titre d'exemple, supposons qu'a un taux t donné, la taxe nous évite mille milliard d'euros dans un siècle. Si r vaut 4% par an, la valeur présente de ces mille milliards d'euros n'est que de 20 milliards, et ne justifie probablement pas des mesures drastiques. Si en revanche il paraît plus raisonnable de prendre r=2%, alors la valeur présente de G(t) est de 140 milliards d'euros, soit sept fois plus ! La différence peut nous faure passer du "pas de panique" de Nordhaus à "l'action est ultraurgente" de Stern.
Ce n'est qu'un début...mais comme Typepad m'a encore bouffé un tiers de mon texte, je publie ceci, sécurité oblige, et je fais une pause. A bientôt.
Il y a deux inconnues dans l'évaluation des conséquences du réchauffement :
- l'appréciation exhaustive de tous ses avantages/inconvénients pour chaque personne sur Terre (!),
- la préférence temporelle à très long terme, au-delà de la durée d'une vie humaine (!!).
Le calcul économique correspondant est un sacré défi, pour ne pas dire plus. Le marché actuel des droits à polluer ne résoud pas ce calcul puisqu'il dépend de quotas fixés par les autorités. Cela revient à décider arbitrairement d'un rationnement, sans aucun moyen de vérifier si les inconvénients de ce rationnement seront compensé par des avantages climatiques équivalents.
Mais si les titres étaient attribués à la naissance, chaque détenteur ferait sa propre estimation. Si le marché valorise les titres plus cher que lui, il vend, sinon il garde ses titres ou même il achète des titres supplémentaires. La plus-value viendrait dédommager ses descendants en cas de réchauffement. En revanche, cela ne réglerait pas la question des émissions passées, par lesquelles les pays émetteurs ont d'ores et déjà pollué l'atmosphère.
Existe-t-il un tel mécanisme de marché qui permettrait de résoudre le double calcul? Je précise que c'est une question d'économie-fiction!
Rédigé par : Gu Si Fang | 18 avril 2007 à 02:26
Les rawlsiens maximisent le bien être des générations présentes :
http://www.optimum-blog.net/post/2007/01/08/Rawls-et-le-rapport-Stern
Rédigé par : Antoine | 18 avril 2007 à 06:07