Parmi les grands patrons issus de cabinets ministériels, Louis Schweitzer a eu une place éminente. Il est aujourd'hui président de la Halde (quelqu'un a dû trouver que l'acronyme était euphonique) et répond aux questions de Telos-EU. Un paragraphe m'a frappé :
[...] ce qui a frappé tous les observateurs étrangers lors des violences urbaines de l'automne 2005, c'est l'absence de dimension religieuse ou ethnique. Nous avons tous pu constater que la demande qui émergeait avec le plus de force, est une demande de plus de république. Il n'y a eu aucune remise en cause de la république, de notre idéal républicain mais au contraire une exigence, une assignation de mettre en œuvre et de renforcer l'idéal républicain.
Je ne connais pas LS, et c'est probablement un homme de bon volonté, mais quelle langue de bois... les "observateurs étrangers " dont il est question ont depuis longtemps remarqué que le terme "républicain" a été complètement détourné de son sens en France depuis vingt ans au moins, et qu'il ne signifie aujourd'hui plus rien. A fortiori, il est tout simplement inconcevable qu'ils aient pu utiliser ces catégories franco-francaises... quand aux jeunes émeutiers qui demandaient "plus de république", ils ont été fort discrets. Je ne sais pas ce que signifie "l'idéal républicain", mais je doute qu'il ait le même sens pour M. Schweitzer (qui lui donne peut-être un sens précis, après tout) et pour les jeunes de Clichy-sous-Bois.
Sur les statistiques que l'interviewer appelle "ethniques" (un terme extrêmement connoté qui suggère la réponse, pratique journalistique connue, surtout après qu'on a expliqué dans une question précédente qu'on "en mesure les dangers et les dérives"...) : je comprends la difficulté que peut ressentir un enfant d'immigrés par exemple, même et surtout très bien intégré dans la société francaise, à se voir demander le pays d'où viennent ses parents. Mais la réponse de LS est vraiment caricaturale :
Dans certains cas, pour certaines discriminations, nous disposons de données absolument précises à l'unité près. Est-ce que le fait de connaître le nombre d'hommes et de femmes, dans notre société, dans chaque entreprise, dans chaque atelier, dans chaque service de chaque société a diminué en quoi que ce soient les discriminations dont les femmes sont victimes?
Je ne sais pas, et je me demande même comment on pourrait le prouver ; mais renversons la question. Le gouvernement apporteraient-ils la même ardeur à lutter contre le chômage si les chiffres n´étaient pas publiés ? ou contre la dette publique ? La publicité est un élément fondamental du débat démocratique (non, pas "républicain"). Amartya Sen explique de manière très convaincante que si l'Inde n'a pas tout réussi, loin de là, l'existence d'une presse libre a contribué largement à éviter les famines, en mettant la pression sur les gouvernants. Mais la presse ne peut que rapporter des observations ponctuelles si les chiffres lui font défaut. Je regrette que le débat sur cette question se limite à ces artifices rhétoriques.
C'est le monde à l'envers : on interdit aux instituts privés de collecter des statistiques qu'ils jugent utiles, et dans le même temps l'Etat s'autorise sans les nommer des pratiques de discrimination positive avec la Halde. Tout ça depuis qu'il - l'Etat français - a commis sous Vichy des crimes qui n'étaient rien d'autre qu'un cas extrême de discrimination négative. Le principe était pourtant clair : depuis 1789 la loi, l'Etat, n'ont pas à faire de distinction entre les gens selon leur origine. Eh bien non, apparemment, ça n'est toujours pas clair.
Rédigé par : Gu Si Fang | 17 avril 2007 à 14:08
Le sujet est évidemment très complexe, mais gagnerait à être éclairé d'une analyse critique (j'insiste sur critique) de l'expérience anglo-saxonne. Peut-on dire que la connaissance des chiffres a vraiment changé les choses dans les pays qui mesurent? N'a-t-elle pas au contraire contribué à enraciner les différences et favorisé le développement de comportements aberrants comme cette segmentation si fine de la population en Grande-Bretagne que les irlandais d'origine sont distingués des anglais d'origine?
Ce ne sont que des questions, mais quels sont les résultats réels des politiques de discrimination positive? la France, qui ne connaît pas moins de discriminations que ses voisins anglo-saxons, s'en tire-telle mieux? moins bien qu'eux? Des analyses comparatives seraient les bienvenues.
Ce n'est pas anodin de demander à quelqu'un de se déclarer noir, blanc, arabe ou je ne sais quoi… C'est une manière de construire une identité à laquelle il n'avait souvent même pas pensé ou, plutôt, qu'il a tendance à ignorer lorsqu'il réussit. En même temps, je dis cela alors que je sors de la lecture épuisante du livre de Azouz Begage qui montre combien un ministre peut être humilié parce qu'arabe. Comme quoi le sujet est vraiment complexe.
Rédigé par : Bernard Girard | 17 avril 2007 à 14:25
"Liberté, égalité, langue de bois", Bienvenue en France.
Rédigé par : ns | 17 avril 2007 à 15:33
Cher Bernard,
votre argument sur l'ardeur du gouvernement à lutter contre le chômage grâce à l'aiguillon des chiffres est imparable.
Bravo pour votre charge contre la novlangue orwellienne: l'utilisation ad nauseam de l'adjectif "républicain" est en effet bien niaise.
Après tout les plus abjects régimes de la planète sont des républiques. Encore heureux que ce brave Schweitzer n'ait pas traité les émeutes de citoyennes...
Bref, merci Bernard.
Votre dévoué A.S.
Rédigé par : Attila S. | 17 avril 2007 à 18:40
@Bernard Girard: non, l'idée qu'on va révéler à un Noir qu'il est Noir en le lui demandant ne me paraît pas très réaliste. On ne rend pas les gens plus femmes, plus "25-40 ans", plus "CSP+" en les rangeant dans ces catégories statistiques. On a tout à gagner à banaliser l'origine ethnique et géographique comme des catégories parmi d'autres, et tout à perdre à les sanctuariser comme on le fait actuellement.
Rédigé par : Guichardin | 18 avril 2007 à 05:30
@Guichardin : Mais regardez donc autour de vous les enfants des couples mixtes : sont-ils blanc comme leur père ou noir comme leur mère? arabe comme leur mère ou juif comme leur père?… Si on ne leur pose pas la question, il y a des chances qu'ils cessent de se la poser et qu'ils attribuent leurs difficultés à leurs faiblesses, erreurs… plutôt qu'à des discriminations. Si on la leur pose et si, cerise sur le gâteau, on associe des droits au fait d'être noir (c'est bien cela la discrimination positive), on fabriquera des noirs qui ne verront dans leurs difficultés qu'un effet des discriminations dont ils sont victimes, même lorsque les discriminations (qui existent, naturellement) n'y sont pour rien.
Bien loin de résoudre les problèmes, la discrimination positive a tendance à les pérenniser. On voit bien d'ailleurs, qu'à quelques exceptions près, la question raciale n'a pas été résolue dans les pays qui la pratiquent. Et ces exceptions on les retrouve aussi bien chez nous. On ferait mieux de s'interroger sur les effets des discriminations sur les carrières (pourquoi tant de sociologues d'origine immigrée sinon parce que la fonction publique sélectionnant sur diplômes pratique moins la discrimination que le secteur privé?).
Rédigé par : Bernard Girard | 18 avril 2007 à 06:03
@Bernard Girard: sur les enfants des couples mixtes: ils sont en général les premiers à se poser des questions d'identité, et il y a bien peu de chance pour que l'enquêteur qui leur demandera leur origine soit le premier à le faire... Mais là n'est pas la question, les statistiques ethniques anglaises comprennent une catégorie "métis" (ou plusieurs, je ne sais plus); et les catégories statistiques ne sont pas faites pour définir les gens, mais pour dégager de grandes tendances. Il faut éduquer les gens à la statistique, pas limiter volontairement l'outil scientifique par peur de créer des effets pervers. Enfin c'est mon avis.
Sinon, sur la discrimination positive, je suis d'accord avec vous.
Rédigé par : Guichardin | 18 avril 2007 à 08:33
@Guichardin : sur ces questions d'identité, je pense comme Sartre que c'est le regard de l'autre qui fait le juif. Toute mon expérience, tous mes discussions sur ce sujet avec des juifs, des métis… me font penser que c'est effectivement bien souvent le regard de l'autre qui fait le noir, l'arabe, le juif… On ne nait pas noir, on le devient. Pour ne vous donner qu'un exemple : je me souviens très bien d'un camarade noir, au lycée dans les années 60 (il devait le seul noir de l'établissement parisien) nous expliquant, dans un exposé sur ces questions demandé par un professeur curieux qu'il s'était découvert noir lorsqu'un enfant lui avait dit : mais tu es noir! avant, il l'ignorait…
Ceci dit, vous avez raison, dans nos sociétés, chacun s'interroge sur ce qu'il est, mais entre s'interroger et revendiquer des droits au nom de sa couleur, il y a une marge.
Rédigé par : Bernard Girard | 19 avril 2007 à 14:06
Le regard de l'autre est un facteur essentiel, mais il n'est pas le seul. Et surtout, il est un fait, et un fait solide. On découvre aussi ce qu'on est dans le regard de l'autre. Votre camarade noir était bel et bien noir... S'il ne s'en était pas aperçu, c'est qu'un aspect de sa personne lui avait échappé. Le regard de l'autre n'a pas inventé la pigmentation de sa peau, il la lui a révélée. Ce qu'il faut essayer d'éviter, c'est que les individus soient réduits ou se réduisent eux-mêmes à une seule de leurs caractéristiques. Mais pas besoin de nier ces caractéristiques pour cela, au contraire. C'est mon avis.
Rédigé par : Guichardin | 20 avril 2007 à 00:30
ce n'est pas moi qui parle de statistiques ethniques mais c'est le terme consacré cher ami ....il est peut-être connoté pour vous mais pas pour ceux qui l'étudient même en France (cf les travaux de Selod ) quand aux "dangers " personne ne les conteste y compris ceux qui y sont favorables . ceci dit quand vous interrogez qq dont vous connaissez les positions (je suis pour votre info le cousin de LS!!!) mieux vaut commencer par aller dans son sens pour le forcer à sortir du bois qu'à le braquer . Je suis d'ailleurs perso sur une ligne differente de LS .amitié Zaki laidi (l'interviewer)
Rédigé par : laidi | 20 avril 2007 à 12:42
Zaki : dont acte, avec mes excuses. Apres toutes ces annees a l'Insee je n'avais pas entendu ce terme...dont je continue a penser qu'il ne devrait pas etre employe, parce que pour le grand public "ethnique" a surement un sens tres different de celui que les intellectuels peuvent lui donner. Pour le reste, chacun peut juger de la facon dont vous avez amene LS a sortir du bois ! J'espere que vos dejeuners familiaux sont plus ouverts :-)
Cordialeemnt---BS.
Rédigé par : Bernard Salanié | 21 avril 2007 à 09:29