Je conclus mes billets sur les livres pré-présidentielle ; c'est un peu tard, j'en conviens, mais il est après tout plus que probable qu'il y aura un second tour, et des législatives ensuite...
Voici donc deux ouvrages publiés par Hachette dans la collection Telos, liée au blog éponyme : Les 20 chantiers de l'Elysée, et La fin des privilèges. Le premier comprend ving chapitres et autant de propositions, sur des sujets politiques (j'y relève Guy Carcassonne contre le cumul des mandats des députés, Olivier Roy contre la confusionnite dans notre perception des conflits que nous lions à l'Islam), économiques (voir plus bas), l'enseignement et la recherche (voir encore plus bas) et autres. Le second a été rédigé par Jacques Delpla et Charles Wyplosz (qui a également coédité le premier avec Zaki Laïdi)---voir tout en bas.
Commencons donc par les propositions économiques de l'ouvrage collectif. Les chapitres 2 et 3 (par Pierre Cahuc et Tito Boeri) traitent du marché du travail. Cahuc est bien connu en France ; Boeri n'est pas seulement un très bon économiste : il est aussi le fondateur du site La Voce, qui nous a tous précédés (en France) dans ce domaine et a une audience très importante en Italie.
Cahuc résume éloquemment comment le marasme dans lequel le syndicalisme francais se trouve a des conséquences négatives sur l'emploi. En l'absence de concurrence entre eux, et compte tenu de leur poids institutionnel garanti, les syndicats n'attirent plus du tout les jeunes.
Faute de militants et de cotisations, ils se reposent de plus en plus sur des financements publics, des emplois garantis pour leurs permanents (à la Sécu beaucoup plus que dans des entreprises) et diverses sinécures confortables, toujours attribuées par les politiques.
Cette situation malsaine doit changer ; diverses mesures ont déjà été prises, mais le caracan de la "representativité" de 1945 doit absolument sauter.
Boeri explique comment les reformes du marché du travail en France comme en Italie, ont eu le tort de n'aller que vers la flexibilisation accrue du déjà flexible, et détaille ce que pourrait être la mise en oeuvre d'un "contrat graduellement permanent". Un tel contrat pourrait comprendre trois phases :
- probation : une sorte de période d'essai de six mois, avec licenciement sans préavis ;
- insertion : pendant les huit ans suivants, chaque mois de travail accroît les indemnités à verser en cas de licenciement ;
- stabilité : après ces deux phases, le contrat deviendrait un CDI.
Dans le chapitre 7, Wyplosz propose que le pouvoir décisionnel sur la loi de finances (le budget de l´Etat) soit divisé. Le Parlement garderait naturellement son pouvoir d'allouer recettes et dépenses, mais sous une contrainte de solde budgétaire fixée par un Conseil de la Politique Budgétaire formé d'experts indépendants. Il y a quelque temps que les économistes, décus par l'incapacité des politiques à s'autodiscipliner, ont émis des propositions semblables. Sur le plan théorique, les arguments sont assez convaincants ; mais je dois dire que je suis très sceptique sur la probabilité qu'un tel plan soit mis en oeuvre dans un avenir prévisible.
Elie Cohen propose dans le chapitre 8 qu'au lieu du fatras de nouveaux organismes en charge de politqiues industrielles parfaitement incohérentes qu'on nous installe (ou des nouveaux qu'on nous promet), on revienne à l'inspiration du Comité Interministériel des Restructurations Industrielles de 1974-1985 : un organisme qui attribuerait des aides à des pôles de compétitivité, mais doté de moyens suffisants pour instruire des dossiers avec l'apport d'experts du secteur privé. Ce serait certainement une amélioration sur ce qui est existe (ou ce qui peut encore nous tomber dessus). Là où je rejoins entièrement EC, c'est sur la philosophie générale qui devrait sous-tendre la politique industrielle (comme les subventions aux énergies renouvelables d'ailleurs) : l'Etat est très mal équipé pour "pick winners".
Voilà pour l´économie---on peut aussi signaler que Salanié en remet une louche sur les droits de succession dans le chapitre 12, pour ses inconditionnels. L'ouvrage comporte plusieurs chapitres très intéressants sur l'enseignement et la recherche. Certains des thèmes ont déjà été évoqués sur ce blog. A propos de l'orientation scolaire, Olivier Galland montre bien comment les beaux slogans comme "faire de l´elève l'acteur central du système éducatif" ont dérivé : les conseillers en orientation font en fait du soutien psychologique, par crainte quasi-idéologique de forcer les choix des adolescents---il est vrai que (pour déverser les surplus des seconds cycles de psycho ?) on exige d'eux qu'ils aient un diplôme de psychologie... On a repoussé l'âge des choix dans les formations générales, mais pas dans les formations professionnelles où les adolescents sont pourtant sûrement moins à même de s'orienter.
Bernard Belloc revient sur l'autonomie des universités ; je l'ai souvent cité sur ce blog et il s'agit bien sûr d'un sujet crucial. J'ai moins abordé le financement des étudiants ; Alain Trannoy, qui a beaucoup travaillé ce sujet avec Robert Gary-Bobo, démonte un certain nombre de mythes à ce sujet. Il montre comment un système de prêts étudiants, associé à un planning de remboursements flexcibles en fonction des revenus acquis ensuite, ne serait pas ruineux et serait plus efficace et plus égalitaire que le système actuel.
Dand leur livre, sous-titré "payer pour réformer", Delpla et Wyplosz partent d'un dilemme classique. Il y a bien peu de réformes possibles qui puissent faire l'unanimité, parce qu'il y a toujours des perdants. Certaines de ces réformes ne sont d'ailleurs pas souhaitables, car les gains des gagnants sont inférieurs aux pertes des perdants---je laisse de côté la très épineuse question de l'addition des gains et des pertes. Mais il existe de nombreux domaines où la réforme, en rendant l´économie plus efficace, créeraient des gains suffisants pour que l'Etat, en taxant les gagnants, puisse deédommager les perdants.
En termes d´économie publique, pour les aficionados :
- les améliorations au sens de Pareto sont rares ;
- mais il est plus facile de trouver des améliorations au sens de Hicks-Kaldor.
(voir la première partie de cet excellent livre). Bien sûr, il y a deux écueils : les perdants ne veulent pas attendre pour être---hypothétiquement--compensés, et les gagnants ne sont pas suffisamment sûrs de leurs gains pour accepter un impôt-compensation. D'où l'idée de D&W, assez logique : compensons les perdants dès aujourd'hui, au prix d'un accroissement de la dette publique qui sera lui-même remboursé par les impôts futurs.
L'idée est séduisante. Il y a bien sûr des chausse-trapes. La première est qu'en politique, les réglements "pour solde de tous comptes" sont rarement gravés dans le bronze. Joe Stiglitz raconte volontiers comment le Farm Bill dont il était si fier quand il conseillait Bill Clinton, qui fonctionnait selon un principe similaire, n'a pas empêché les agriculteurs de revenir à la charge dès l'année suivante...il y a toujours des "circonstances exceptionnelles" pour les lobbies. Le second, bien sûr, réside dans les modalités de ce grand marchandage. Ceci dit, les auteurs en sontr parfaitement conscients et leurs idées méritent vraiment d'être explorées. Le livre est écrit sur un ton assez polémique, et je ne reprendrais pas forcément toutes ses analyses ; mais la lecture en est très stimulante et il contient des détails très intéressants. Je vous le recommande vivement, entre les deux tours...
Ce n'est pas la premiere fois que je vois la proposition de Boeri citée mais je ne comprends pas l'enthousiame qu'elle génère. En effet, une disposition telle que celle là donne la part trop belle à l'ancienneté qui devient prépondérante pour la protection du salarié mais entraîne deux problèmes majeurs:
(1)La période "probatoire" est très longue (8ans) et met par conséquent un très grand nombre de personnes dans une situation fragile surtout que
(2) C'est un frein considérable à la mobilité, qui a envie de reprendre 8 ans de période probatoire ?
Avec ce système il va y avoir de personnes qui se retrouveront toute leur vie en période "probatoire".
A tout prendre le système anglo-saxon de faible protection mais de grande fluidité est nettement moins injuste et surement plus efficace sur le plan économique.
Je pense que la proposition de Boeri doit être critiquée pour voir si vraiment elle tient la route ce que je ne pense pas.
Rédigé par : SterWen | 21 avril 2007 à 16:43
Petit point de comparaison, purement descriptif et esquissé en très gros traits : en Belgique, pour les CDI concernant des salariés bénéficiant de rémunérations au-dessus d'un certain plafond, les parties fixent le préavis au plus tôt au moment du congé.
A défaut d'accord, la partie "la plus diligente" saisit les tribunaux, lesquels se réfèrent fréquemment à la "grille Claeys", même si elle n'a qu'une valeur indicative. C'est en qqe sorte une moyenne des décisions de jurisprudence qui est régulièrement réactualisée.
La formule actuelle est la suivante :
Durée du préavis en mois = (0,88 x ancienneté) + (0,06 x âge) + 0,033 x [(rémunération x 112,59) / index off. du mois de congé (base '96)] - 1
Pour un exemple,
http://www.comptable.be/modules/news/article.php?storyid=183
Bref, trois piliers : âge, ancienneté et rémunération. Certains plaident pour différencier en plus selon certains types de fonctions, partant de l'idée que le savoir-faire acquis est moins facilement exportable dans certains cas...
Au vu de cela, j'ai comme l'impression que Boeri réinvente l'eau chaude, en en simplifiant fortement le procédé...Que dire de la durée pivot qu'il retient (8 ans) si ce n'est qu'elle paraît tout particulièrement arbitraire (on pourrait aussi pinailler sur la durée de la période d'essai mais bon)...
Rédigé par : lo | 23 avril 2007 à 15:15
Je n'ai pas un avis très informé sur la proposition de Boeri, et j'ignorais qu'elle avait été débattue en France---je perds contact avec le débat de politique économique "outre-Atlantique" plus rapidement que je ne l'espérais. Il me semble simplement qu'il faut que des propositions un peu détaillées soient mises sur la table et discutées, au-delà des vagues déclarations sur "le contrat unique". L'examen des expériences étrangères est essentiel à cet égard.
Rédigé par : Bernard Salanié | 24 avril 2007 à 09:43