Je regardais hier soir le sémillant jeune responsable de la consultation populaire qui doit accoucher du programme de Ségolène Royal, apppelons-le JSS. Il expliquait le processus selon lequel les suggestions sont d'abord triées par sujet, puis filtrées en fonction du nombre de suggestions similaires. En bon économiste, je cherche les incitations afin d'essayer de prédire l'aboutissement de ce magnifique processus démocratique. Qui va contribuer ? 1) Les gens les plus militants 2) ceux qui ont du temps à perdre 3) ceux qui ont une connexion Internet. Que vont-ils contribuer ? Ledit JSS nous donne la clé pour le comprendre : les auteurs des suggestions retenues verront leur nom cité sur le programme final.
Je me suis revu enfant, lisant "Un certain Monsieur Blot" du regretté Pierre Daninos chez un coiffeur de banlieue. (Pardonnez-moi cette madeleine proustienne---ici, on dit "rusk", quelle horreur). Monsieur Blot est un courtier en assurance qui a gagné un concours désignant le participant le plus proche du Français moyen, ledit Français moyen étant approché par la moyenne des autodescriptions des participants. Pour gagner à ce concours, il fallait donc anticiper les caractéristiques des participants. Keynes l'avait expliqué en 1936 en ce qui concerne les bulles boursières (chapitre 12 de la Théorie générale) :
[...] professional investment may be likened to those newspaper competitions in which the competitors have to pick out the six prettiest faces from a hundred photographs, the prize being awarded to the competitor whose choice most nearly corresponds to the average preferences of the competitors as a whole; so that each competitor has to pick, not those faces which he himself finds prettiest, but those which he thinks likeliest to catch the fancy of the other competitors, all of whom are looking at the problem from the same point of view. It is not a case of choosing those which, to the best of one's judgment, are really the prettiest, nor even those which average opinion genuinely thinks the prettiest. We have reached the third degree where we devote our intelligences to anticipating what average opinion expects the average opinion to be. And there are some, I believe, who practise the fourth, fifth and higher degrees.
Formidable ! Le Parti Socialiste français a enfin accompli sa mue : après avoir abandonné le marxisme, il laisse aujourd'hui derrière lui le keynesianisme. Il reste le "blotisme".... le programme du PS sera déterminé par une sorte de jeu de société qui a les défauts des marchés financiers (les bulles) sans leurs qualités (la prudence indiquée par le fait de jouer avec ses propres sous). Que va-t-il en sortir ? I can hardly wait; mais comme le disait Keynes encore,
Worldly wisdom teaches that it is better for reputation to fail conventionally than to succeed unconventionally.
Dans une multinationale américaine (et non la moindre) on pratiquait une méthode similaire en réunion avec un matériel "métaplan" dans les années 90. Pour ne pas enfermer tout le monde dans un questionnaire à choix multiple et ne pas décourager les plus timides de mettre des idées sur le tableau, on commençait par soliciter les idées de chacun sur fiches, puis, le "facilitateur" animait le regroupement synthétisant des idées. Une sorte de boîte à suggestions avec dépouillement consensuel. Le risque, comme vous signalez, est que les absents ne participent pas et donc, comme d'hab, ont tort.
Cela dit, je trouve que ça vient un peu tard, et je n'accepte pas qu'un(e) candidat(e) à la presidentielle se présente sans vision à nous proposer mais en demandant quelle vision on aimerait qu'on nous propose. Un de Villiers ou un Besancenot a le mérite d'être plus "transparent".
Rédigé par : ducked ape | 06 février 2007 à 16:12
Que faut-il comprendre de la dernière phrase du billet, que Ségolène Royal va gagner de façon non conventionnelle et c'est mauvais pour sa réputation, et que Sarko va perdre de façon conventionnelle et que c'est mieux pour lui, c'est ça? :)
Rédigé par : EW | 08 février 2007 à 01:47
A force de voir de la rationalité instrumentale partout, les économistes - mêmes les meilleurs - finissent par perdre de vue la réalité des choses ?
Ce serait la réputation qui motiverait les participants ? Mais les posts sur le site Desirs d'avenir sont sous pseudos et ces pseudos sont à peu près toujours indéchiffrables...
Ce serait mal que les plus militants soient à l'origine du programme ? Mais alors qui ? Les experts dans leur tour d'ivoire ?
Tout le programme de SR viendrait des débats ? Et les projet du PS ? Et la place des élus ? Et celle des experts "policistes" proches d'elle et qu'elle auditionne ?
Il y a là un tour d'esprit qui, s'il est compréhensible de la part d'un universitaire, devient malsain en politique : parce que le peuple n'a pas les mêmes représentations et idées qu'un expert, cet expert souhaiterait qu'on enlève la parole au peuple ? Mais ce n'est pas de la politique, ça, c'est une mise sous tutelle !
Rédigé par : Trop d'économie tue l'économie | 08 février 2007 à 03:47
* EW : dans mon esprit, "conventionnel" signifiait "conduit par les conventions", c-a-d par le sens commun, revele par la democratie participative...
* Trop: le pouvoir au peuple, bien sur, et je ne crois pas que les experts revendiquent de filtrer l'expression de la democratie. Mais en quoi les participants (anonymes, d'accord, mais est-ce un plus ? toutes les manipulations sont permises) definissent-ils le peuple ? Ce type de procedure aboutit a surponderer les voix de ceux qui ont le gout et le temps d'y participer. Je ne vois pas que la democratie y gagne.
Rédigé par : Bernard Salanie | 09 février 2007 à 08:57
Je crois que le vote echappe encore a l'analyse economique. Si on compare la probabilite d'une voix a etre pivotale dans une election presidentielle et celle de voir une proposition mise dans le calepin de JSS puis dans le programme socialiste puis si Royal est elue a etre appliquee,tout ca en prenant en compte le cout d'aller voter ou d'envoyer sa propostion par internet, il est toujours plus rationnelle de faire cette proposition que d'aller voter...
Rédigé par : Henri | 10 février 2007 à 19:19
Je crois que le vote echappe encore a l'analyse economique. Si on compare la probabilite d'une voix a etre pivotale dans une election presidentielle et celle de voir une proposition mise dans le calepin de JSS puis dans le programme socialiste puis si Royal est elue a etre appliquee,tout ca en prenant en compte le cout d'aller voter ou d'envoyer sa propostion par internet, il est toujours plus rationnelle de faire cette proposition que d'aller voter...
Rédigé par : Henri | 10 février 2007 à 19:19
On peut se moquer de la méthode de Ségolène Royal mais elle mérite mieux. Comme le signale ducked ape (étrange pseudo, by the way), elle s'inspire directement de techniques marketing que les entreprises utilisent depuis des années pour recueillir et COMPRENDRE les attentes des consommateurs. La méthode Métaplan qu'il décrit n'est que l'une de ces techniques qui ont deux missions :
- identifier les thèmes, les préoccupations des consommateurs pour guider l'entreprise dans la conception de ses produits (ici le programme),
- trouver le vocabulaire, la bonne communication, les mots qui touchent et
Ceux qui participent à ces réunions ne sont évidemment pas l'électeur ordinaire. Ce sont des électeurs particulièrement intéressés, qui ont des opinions et qui aiment les afficher. Ce sont pour utiliser une nouvelle fois le vocabulaire du marketing des leaders d'opinion, des consommateurs pionniers (voir là-dessus les travaux de Rogers et Bass).
L'expérience montre (et celle de Ségolène Royal semble le confirmer) que tout le monde dans ces réunions s'exprime, tout est fait pour.
On verra ce que tout cela donne, mais l'utilisation de ces méthodes en politique peut rendre le discours politique plus concret, peut faire entrer dans le débat politique la "vraie vie", disons les préoccupations des électeurs. Et qui pourrait s'en plaindre?
Les économistes ont trop souvent confondu électeurs et consommateurs pour se choquer d'une démarche qui emprunte au monde du travail quelques uns de ses outils.
Rédigé par : Bernard Girard | 11 février 2007 à 02:17
A B. Salanié : Plus généralement, quelle place pour les économistes dans la campagne ? Les modèles éconmétriques ne permettent pas de "prédire", peuvent ils aider au chiffrage des programmes des DIVERS candidats ? Ou bien est ce hors d'atteinte :
- parce que la prévision est trop complexe quand elle concerne l'avenir (!)
- parce que l'idéologie l'emportera sur l'expertise et les chiffrages des divers experts seront incommensurables.
Rédigé par : Hadjian | 12 février 2007 à 07:30
Excellente question qui meritait bien un billet entier...voir la page d'accueil.
Rédigé par : Bernard Salanie | 12 février 2007 à 08:54