Lorsque les petits pays (ou, maintenant, les plus grands comme l'Inde ou le Brésil) se plaignent de ce que les institutions qui régissent le commerce international sont biaisées contre eux, les Grands, les Etats-Unis et l'UE au premier rang, ont beau jeu de leur rappeler que chaque pays ne dispose que d'une voix à l'OMC et que les procédures y sont strictement égalitaires. C'est exact, bien sûr ; et ce n'est pas tant l'OMC que l'hypocrisie desdits Grands qui créent des obstacles cachés aux exportations des pays pauvres. Ce billet publié sur Telos-EU par Olivier Cadot et Jaime de Melo nous le rappelle utilement : au-delà des accords sur les grands principes, c'est la facon de les mettre en oeuvre qui pose problème. Pour prendre une analogie "intérieure", le commerce mondial a sa Constitution et même sa Cour Suprême (l'OMC), il a ses lois (les accords conclus), ses décrets d'application (les protocoles), mais hélas aussi les directives d'interprétation que les signataires prennent sans guère de contrôle.
Parfois, c'est au niveau des "lois" elle-même que le bât blesse. L'Union Européenne (et le gouvernement francais ultra pares) ne manque pas une occasion de rappeler sa valeureuse initiative "tout-sauf-les-armes".... qui a pris grand soin d'exclure, dans l'immédiat qui se prolonge, les importations des produits les plus "sensibles", dont la libéralisation aurait un bénéfice considérable pour les pays pauvres.
Selon les annonces faites à Hong Kong dans le cadre d'un "cycle de Doha" bien mal en point, tout le monde serait d'accord ou presque pour que les pays en voie de développement pourraient exporter vers les pays riches en toute franchise de droits et de quotas sur 97% des lignes tarifaires. Pour le profane, il devient difficile de comprendre pourquoi on n'arrive pas à un accord quand c'est déjà fait a 97%... le problème, bien sûr, c'est que les exportations des pays pauvres sont concentrées sur les 3% restants. A contrario, les résistances aux Etats-Unis et surtout en Europe (et en France !) risquent de remettre en cause un tout petit 1% des lignes portant sur les exportations agricoles ; mais selon certaines estimations, l'exclusion de ces 1% suffirait à réduire les gains espérés des pays pauvres d'un tiers.
Le manque d'expertise économique et juridique dans les pays pauvres nuit à leur capacité à défendre leurs intérêts dans des enceintes comme l'OMC. Les ONG (désolé pour les acronymes) tentent d'y remédier ; mais à lire leur prose, elles tendent à attirer par essence des militants dont le coefficient d'indignation morale est élevé. L'extraordinaire travail que beaucoup d'entre elles font sur le terrain a ainsi parfois du mal à se convertir, à Genève et autres lieux où ces questions se débattent, en une pression efficace sur les points souvent très techniques qui font ou défont les effets des accords.
Voici donc une proposition : qu'une partie de l'aide au développement des gouvernements riches aille à un fonds d'expertise auquel les pays pauvres pourraient recourir à faible prix (pas nul, jamais nul !). Ce fonds devrait bien sûr être administré en toute indépendance des pays donateurs, ce qui suppose qu'ils s'engagent de manière durable sur un financement minimal. (Et je m'engage quand à moi à ne pas bénéficier de cette manne...)
Quand on voit le niveau du discours politique sur la question du libre-echange (Sarkozy qui parle de préférence communautaire, Guigou qui publie un texte ouvertement protectionniste, Hulot qui fait signer a tous les candidats un texte qui exige des protections vis a vis des pays qui n ont pas les mêmes standards écolos que les nôtres, et je passe sur Le Pen, Besancenot, Buffet, De Villiers etc), sur la question de la PAC, sur les délocalisations etc, on se dit que votre idée d un fond d expertise devrait être étendue a certains pays de l OCDE, et en particulier a un pays commencant par Fr et finissant par ance.
Alors moi aussi j y vais de mon idée a l emporte-pièce. Plutôt que de rééduquer tous les citoyens en leur expliquant la logique des avantages comparatifs ou l extension du surplus du consommateur grâce au commerce international (ça coûterait cher, le niveau en économie est tellement bas, et les bons profs d eco en France sont minoritaires), je propose de financer, pour tous, a 100 %, un billet d avion aller-retour pour Pyongwang et Seoul, avec l hôtel etc pour 10 jours. La comparaison de ces deux villes est assez édifiante. Admettons que 5 millions de Français fasse le voyage (c est beaucoup), pour un coût unitaire de 4000 euros (et a condition bien sur de soudoyer un peu les autorités nord-coréennes pour les visas, disons 1 milliard d euros, et quelques missiles), cela fait 21 milliards d euros, et on se débarrasse ainsi du débat pour 20 ans, et on peut tranquillement mener une politique libre-échangiste (et libérale tout court) qui nous rapportera au moins 4 ou 5 fois la mise sur la période considérée. On pourrait cibler la population visée pour avoir plus d impact, et on pourrait proposer seulement un aller simple pour certains !
Variante : on interdit tous les produits étrangers a la vente pendant 3 mois. Chaos social absolu, le bo-bo pro-Jose Bove ne peut plus s acheter son écran plasma, un parti libre-echangiste de masse se crée et renverse la Ve république pour abolir les frontières aux échanges, ces blocus que l on s impose a nous mêmes. On nous parle beaucoup d économie expérimentale, alors pourquoi ne pas se lacher franchement...
Rédigé par : mucherie | 19 février 2007 à 19:21
normalement, si le niveau général en économie est très bas, le coût marginal de la formation doit être très faible. Par exemple, pour moins de 20 euros seulement par personne, on peut subventionner l'achat DU livre pour tous (non non, pas le Petit Livre Rouge, ou du moins un autre petit livre, rouge également), et ainsi monter le niveau de base en économie.
Cela permettrait par la meme occasion de changer la politique de vente des librairies françaises, qui ont facilement 2 rayons entiers de sociologie, 4 rayons de psychologie, 1 étalage d'essais politiques sans intérêt, et en tout et pour tout 5 livres d'économie, dont 3 de Bernard Maris qui sont en fait exactement les mêmes.
Rédigé par : Olivier | 20 février 2007 à 07:55
On peut toujours subventionner, pas sur que cela marcherait : la plupart des français trouveraient déshonorant (même avec un crédit d impôt de 1000 euros a la clé) de posséder un ouvrage d un économiste professionnel dans leur bibliothèque, c est moins bien vu que du porno (surtout si l auteur bosse aux USA, alors la c est l horreur de l abomination). Les meilleurs auteurs sont de moins en moins traduits et édités en langue française ; remarquez, j habite a Chicago et ici c est 5 rayons sur comment gagner en bourse, 3 rayons sur la pénurie globale de pétrole pour l année prochaine, 1 rayon de stiglitz and Krugman et seulement une dizaine de bons livres, mais a 50 dollars l unité...
Le marché des idées est-il vraiment guidé par l offre comme le pensait Keynes ? pour les sciences économiques, les gens ne souhaitent peut-être qu une confirmation de leurs opinions (et chacun a son opinion sur ces questions helas, ce n est pas comme pour la physique quantique...).
Ma vieille tante, 68arde rurale anti-OGM disait vouloir ``comprendre le monde``, idem pour mon jeune cousin en Deug d eco et révolté par la misère-en-Afrique-liée-aux-grandes-firmes multinationales ; je leur ai proposé du Mankiw, du Bastiat, du Friedman, du hernando de Soto et du William Easterly ; bien entendu ils ont préféré se fier a des économistes authentiques (Bernard Maris, Bernard Cassen, Amanda Lear...). Diffuser un bon livre ou de bons articles dans ces conditions, c est Sisyphe poussant son rocher ; après 4 années de boulot et des centaines de pages publiées pour un site de l Institut de l entreprise destiné a améliorer le niveau des enseignants et des élèves, j abandonne la partie.
Comme dirait Lenine : Que faire ?
J en reviens a l idée d apprentissage par l expérience, et plus précisément par l échec. Il faudra peut-être toucher le fond après des politiques encore plus néfastes que celles de Mitterrand-Chirac pour que les citoyens achètent du Salanie plutôt que du Maris et exigent une thérapie de choc ou des politiques a peu près convenables. On trouve aujourd hui une très bonne culture générale en économie dans la population de la plupart des anciens pays de l Est... faudra-t-il descendre aussi bas ? faut-il pratiquer la politique du pire, dont on nous dit toujours que c est la pire des politiques ? et l expérience collective instruit-elle vraiment (quand on voit un pays comme l Argentine, on peut en douter) ? sur ce dernier point, existe-t-il une étude économique intéressante ?
Rédigé par : mucherie | 20 février 2007 à 15:54
Quiconque entretient un site web de ressources universitaires est assailli de demandes de livres, de cours, de documents, de cursus, émanant d'étudiants africains ou asiatiques (dans les pays où le mail traverse les frontières, du moins).
Mieux vaudrait monter des universités ou des écoles en Afrique, ou promouvoir les Creative Commons sur des documents pédagogiques de qualité universitaire, promouvoir les modèles de télé-enseignement finlandais ou les systèmes de parachutage d'enseignants de l'Open University anglaise, favoriser l'envoi de matériel informatique "dépassé" en Afrique.... et laisser le temps faire son oeuvre.
Au fait, le MIT le fait déjà avec son projet OpenCourseWare
Au fait, pour une ressource française, vous en trouverez douze anglophones. Jetez un oeil au projet Perseus, de Tufts par exemple.
Rédigé par : Passant | 22 février 2007 à 15:11