Ce n'est pas qu'une habile parade destinée à m'éviter un accord de genre encore hypothétique. A vrai dire, hypothétique ne veut pas dire équiprobable, et de moins en moins s'il faut en croire
Oddschecker. Voyez par exemple Betfair : la formule magique p/p'=(R'+1)/(R+1) nous indique que ses bookmakers attribuent à Sarkozy une probabilité d'être élu qui est plus du double de celle de Royal (3,28/1.55).
Mais en fait, c'était bien President's Day aujourd'hui---un jour férié nouveau pour moi, mais Columbia travaillait bien sûr. En tout cas, c'est le jour bêtement approprié pour examiner les programmes, tâche facilitée par le site très convivial
votons.info (essayez l'option "Comparer"...). Je me suis aussi reporté au Pacte Présidentiel de Royal, et au projet de l'Ump pour Sarkozy. Le second est beaucoup plus long, et parfois---pas toujours---plus détaillé ; et il semble qu'il soit une cible mouvante, ce qui s'applique sans doute aussi au premier.
Mais procédons avec courage après ce caveat. Comme promis, je me concentre sur les sujets que je connais un peu : enseignement supérieur et recherche ce soir, changement climatique ensuite, et plus longuement, économie. J'évacue les professions de foi (très prisées par Royal) ou les propositions comme "je me fixerai un objectif que j'annoncerai" (un tic pour l'Ump).
Chacun a son style, assez typé : "gagner la bataille mondiale de l'intelligence" pour un Sarkozy très martial, "adopter une loi de programmation" pour Royal, on cherche visiblement à ressembler à sa caricature. Mais allons à la substantifique moelle.
Côté enseignement et recherche, Royal commence très fort puisque la première de ses cent propositions vise à "investir massivement dans l'enseignement et la recherche". Elle veut accroître le budget public de la recherche de 10% par an. Est-ce "massif" ? Pas tellement, en fait : pour calculer de combien la part dudit budget dans le PIB augmenterait, il faut retrancher l'inflation et la croissance, disons 2%+2%. Il reste 6%, soit 30% pour le quinquennat ; mais 30% de croissance sur 0,8% du PIB nous amènerait à 1% du PIB...le niveau de 2002 ! Moyennement massif, donc---sans compter sur l'absence de propositions plus "structurelles."
Sarkozy (ou le projet de l'Ump) est plus disert sur ce sujet, et l'énumération des mesures est encourageante : campus de recherche de niveau international---lisez : concentration des moyens publics sur quelques foyers d'élite---transformation des grands organismes de recherche en agences de financement, c'est déjà commencé et c'est certainement la voie à suivre. Je suis plus inquiet des "contrats d'une durée minimale de cinq ans proposés à nos post-doctorants et à nos jeunes chercheurs". Les jeunes chercheurs, pour ceux qui n'ont pas encore ce type de contrat, soit ; mais les post-doctorants ? Les centres de recherche vont devoir les sélectionner avec beaucoup de soin, ce qui réduira sans doute les échanges.
Quand à l'accroissement de la dépense nationale de recherche, Sarkozy y va fort : 15 milliards d'euros, disons 0,8% du PIB...mais seulement 4 de ces 15 milliards sont de la dépense publique. Sur le plan des moyens financiers, match nul donc.
Pour l'université, nous avons les propositions 30, 31 et 32 de Royal (selon la règle annoncée plus haut, la 33 ne compte pas). La 30 nous dit que nous allons amener la dépense par étudiant au niveau moyen de l'OCDE. Mais il doit s'agir de la dépense publique par étudiant, puisque les dépenses privées ne dépendent pas (directement) d'elle. Et en fait, la dépense publique par étudiant ne fait pas si mauvaise figure en France...c'est la dépense totale qui fait défaut. A titre d illustration, les Etats-Unis dépensent 2,9% du PIB dans l'enseignement supérieur, contre nos petits 1,3%. Mais nous sommes pratiquement à égalité en ce qui concerne la dépense publique : 1,2% contre 1,1%.
Ceci n'est pas pour dire que la France doit financer son enseignement supérieur comme les Etats-Unis le font : mais la seule augmentation de la dépense publique au niveau moyen de l'Ocde ne résoudra pas grand'chose. Les deux candidats mentionnent le renforcement de l'autonomie des universités (je signale à cet égard le
très bon texte de Bernard Belloc sur Telos-EU). Pour Royal, c'est très langue de bois, clientèle exige : "Renforcer l'autonomie des universités dans un cadre national", comprenne qui pourra---on attend avec intérêt les détails. Sarkozy là encore est plus prescriptif, avec la mise en place d'un système incitatif : les universités qui se dirigeront vers une autonomie accrue bénéficieront de plus de moyens. Evidemment, sur le plan de l'économie politique c'est un peu paradoxal...il faudra une forte volonté pour imposer cela.
Sarkozy se lance bravement, sur ce chapitre comme sur d'autres, dans la "récompense au mérite". Les bourses universitaires, par exemple, qui tiennent du saupoudrage---pour en avoir attribué, je peux témoigner que c'est un exercice très déprimant. On augmentera les moyens, nous dit-on ; mais surtout, le montant et même le maintien de la bourse seront conditionnés à la réussite de l'étudiant, et au fait qu'il démontre sa motivation en apportant lui-même une partie de son financement. Les modalités évoquées ne me paraissent pas optimales, mais le principe est juste ; les plans de financement offerts par Columbia, par exemple, fonctionnent ainsi.
Enfin, les deux candidats s'accordent sur un point : donner plus d'information aux étudiants sur les débouchés des filières universitaires. Chez Sarkozy, on va plus loin puisque les effectifs desdites filières seront adaptés aux débouchés---cela nous promet des luttes homériques. (Et le jour où on passera d'"informer sur les débouchés de la filière X" à "informer sur les débouchés des étudiants qui ont suivi cette filière dans les différentes universités",...on n'en parle pas.)
Il est bien tard... President's Day est derrière nous, à New York tout au moins. La suite à une autre chronique.