...enfin, socialiste à l'américaine. Décidément, "tout est économie". Je savais déjà que "Le Magicien d'Oz" était à l'origine une parabole sur la lutte entre les bimétallistes et les partisans de l'étalon-or ; voici que j'apprends que le Monopoly a été créé pour démontrer les vertus de la "single tax" !
Un peu de contexte : Henry George (1839-1897) était un journaliste américain philanthrope qui a eu un jour une Grande Idée, source de son "Progress et Poverty" (1879) qui reste l'un des livres d'économie les mieux vendus à ce jour. Je parlais hier du dilemme efficacité et équité ; mais quid si nous pouvions lkes concilier en trouvant une assiette fiscale qui ne réagirait pas du tout à l'imposition, si bien qu'un impôt fondé sur cette assiette ne changerait pas les décisions des agents et serait donc "efficace" ?
Il y a au moins deux types d'impôts qui ont cette miraculeuse propriété. Le premier est l'"impôt forfaitaire" cher aux manuels de microéconomie : on décide arbitrairement que Dupond devra payer 1 000 euros et Dupont 2 000, quoi qu'ils fassent. Comme leur facture fiscale ne dépend aucunement de leurs actions, l'impôt ne changera pas leurs décisions---pour être plus précis, pas de manière à gêner le fonctionnement de l'économie. Sur le plan politique, c'est évidemment un peu délicat à gérer.
Le second impôt "neutre" cher aux manuels (de macroéconomie, ces temps-ci) est une "windfall tax" sur le capital accumulé : on annonce brutalement aux riches qu'on va leur prélever 10% de leurs patrimoine. L'ennui, évidemment, c'est qu'on peut difficilement avoir recours à ce type d'impôt sans craindre que les capitalistes échaudés ne réduisent leur épargne future.
Henry George (après d'autres) a eu la brillante idée que les "terrains non améliorés" (unimproved land) constituaient une troisième assiette idéale. Mon propriétaire, par exemple, a construit un bâtiment sur un terrain près de Central Park. On pourrait imposer les loyers qu'il perçoit ; mais ce n'est pas neutre, puisque cela a des tas de répercussions : sur son incitation à entretenir l'immeuble, sur le loyer qu'il me demande et donc sur ma décision de rester à New York, sur le revenu des commercants auxquels j'achète ma pitance, etc. En revanche, pourquoi ne pas l'imposer sur la valeur du terrain non construit ? Il n'a rien fait pour créer cette valeur, il l'a juste achetée sur le marché immobilier ; partant, un impôt de 1% tous les ans sur cette valeur ne change pas les comportements et donc l'efficacité de l'économie, bingo.
Cette idée a eu une extraordinaire réception populaire... et zéro impact en pratique. Elle a trois problèmes : le premier est qu'il est très difficile d'évaluer, dans la valeur de mon immeuble, ce qui ne relève que du terrain non construit. Le second est qu'un terrain sur Central Park West a une valeur largement déterminée par des millions de décisions individuelles---quid si Manhattan était un parc naturel ? Et le troisième est que la "valeur des terrains non améliorées" ne constitue dans une économie moderne qu'une assiette fiscale très modeste, impropre à financer les dépenses publiques.
Et pourquoi "socialiste" ? HG se considérait .lui-même comme un réformateur social radical, et ses idées horrifiaient la classe dirigeante. Ceci dit, c'était plutôt un "socialiste de marché", comme Walras. Il voulait une société plus juste, mais régie par une économie de marché libre, et il détestait les protectionnistes. Pas vraiment le PS français...
Le livre en ligne : http://www.econlib.org/library/YPDBooks/George/grgPP.html
Est-ce qu'il parle de l'impot sur les successions ? Il me semble que c'est une bonne assiete pour des tas de choses, non ? Quand on parle d'équité il ne faut pas oublier la situation initiale :).
Rédigé par : Laurent GUERBY | 13 janvier 2007 à 17:51
A méditer...
Rédigé par : Ego | 16 janvier 2007 à 05:10
Je suis pas sûr de bien voir en quoi l'impôt forfaitaire ne change pas les décisions des agents... On compare à quoi, la situation sans impôts ?
Bon, si j'ai une taxe forfaitaire de 10 000 euros (ça paraît beaucoup comme ça, mais si je ramène la totalité des prélèvements par tête, on doit pas être loin, même sans les charges sociales...), bah, première conséquence, je ne peux choisir aucune solution qui est en-dessous de ce montant (sinon, je vais en prison ?), donc ça un gros changement dans les comportements. En plus, à supposer qu'il n'y ait pas ce problème, ça change radicalement ma fonction d'utilité vis à vis de la monnaie (qui de concave) devient indeterminée... et je vois pas comment ça changerait pas les comportements, notamment si y'a un arbitrage loisir/revenu.
La taxe tombée du ciel (ou avec le vent, ça revient au même :-)), OK, les agents apprennent.
Pour les terrains non-améliorés, dès qu'on met de l'incertitude, ça marche plus... J'achète ce terrain parce qu'il y a une possibilité que ça monte fortement (suffisament fortement pour motiver cet achat), d'ici les n prochaines années.
Il est tout à fait possible que ça monte suffisament fortement pour me permettre d'être rentable (par rapport à un autre type d'investissement) mais pas si je dois payer une taxe dessus chaque année. Cet impôt change donc le comportement.
D'une manière générale, si on compare, cas sans impôts, cas avec impôts, je vois pas comment il est possible que personne ne change son comportement. Il y a forcément un agent qui paye des impôts (sinon, c'est le cas pas d'impôts), et le fait de payer des impôts changent sa contrainte budgétaire et soit son épargne soit sa consommation soit les deux sont affectés...
A moins que ce soit une propriété "secondaire" qui doit ne pas être affectée (que sais-je la division travail/loisir, épargne/consommation, etc...) Mais je vois pas bien pourquoi il serait bien que l'impôt soit neutre sur ces choix et pas sur d'autres (la quantité "absolue" d'épargne, etc...). Je suis perdu.
PS : OK, je pinaille, mais bon...
Rédigé par : arcop | 18 janvier 2007 à 12:03
Excellente question, arcop, que j'avais finassee en ecrivant : "'impôt ne changera pas leurs décisions---pour être plus précis, pas de manière à gêner le fonctionnement de l'économie". Si on me prend 10 000 euros pour vous les donner, je serai moins riche et vous serez moins pauvre :-). En consequence, je revendrai ma Ferrari et vous vous mettrez a manger de la viande tous les jours. Nos comportements ont donc change ; mais l'efficacite de l'economie n'en est pas affectee, parce qu'elle repose sur l'idee que les prix que les consommateurs paient pour leurs achats de viande, de Ferraris etc doivent refleter la difficulte de production de ces differents biens. Un impot sur les consommations de luxe, type Ferrari, conduit a une sous-production de Ferraris (par rapport a une economie efficace) ; un transfert de sous de vous vers moi n'aura pas cet effet. Vous acheterez plus de viande et moi moins de Ferrari, si bien que le prix d'une Ferrari en terme de beefsteak baissera. Du coup, l'economie produira bien moins de Ferrari et plus de viande---mais les prix refleteront toujours les couts. Je sais, c'est difficile... je fais ce que je peux :-)
Rédigé par : Bernard Salanie | 19 janvier 2007 à 15:53
Attention ça va pinailler.
En gros, ce que l'on veut c'est que le prix soit égal au coût marginal ? Je vois pas bien en quoi c'est efficace (Pareto-optimal), sauf à supposer que l'Etat détruit ce qu'il perçoit.
Supposons que je mette une taxe sur un produit, certes le prix n'est plus égal au coût marginal mais la "valeur" collectée peut ensuite être utiliée d'une façon ou d'une autre, de telle manière que ce ne soit pas dominé par la situation sans taxe (redistribution, ou bien public). Où est le truc ?
Rédigé par : arcop | 20 janvier 2007 à 02:18
Le truc ?? Il n'y a pas de truc, juste le fait que taxer le chocolat pour subventionner la poire, c'est distordre 2 fois...
Rédigé par : Bernard Salanie | 20 janvier 2007 à 21:43