L'attitude des Français face au capitalisme, à la concurrence, au marché a connu des hauts et des bas. Avant la Première Guerre Mondiale, les élites étaient fortement libérales, et l'idéologie radicale (de gauche) qui dominait exaltait la petite propriété et "le citoyen face aux pouvoirs". On sait maintenant, par exemple par l'analyse des successions, que la proportion de ménages français détenteurs d'actions était au moins aussi élevée en 1913 qu'aujourd'hui ; et la capitalisation boursière de la place de Paris représentait 70% du PIB. Même les socialistes de l'époque étaient favorables à la (première) mondialisation ! (Voir l'excellent petit livre de Suzanne Berger sur la question).
Les choses ont bien changé depuis. Nos grands traumatismes historiques ont laissé des traces, et notamment la Deuxième Guerre Mondiale. L'"étrange défaite" a déshonoré la Troisième République dans l'esprit des Français ; et le succès spectaculaire de l''economie française pendant ce que Barry Eichengreen appelle reconstruction et catch-up a donné aux Français l'impression que l'économie dirigée---assez peu, en fait---il n'y avait pas mieux. Après la conversion des socialistes français en 1982-83, les enquêtes d'opinion montraiemt que les Français acceptaient beaucoup mieux "le marché". La libéralisation financière imposée par Bérégovoy aurait pu leur donner l'occasion de le démontrer en redevenant actionnaires ; mais paf ! c'est allé très vite ... et comme on n'a pas stimulé les retraites par capitalisation, en même temps, l'épargne des Français n'a pas suivi. Résultat : les investisseurs étrangers ne détenaient que 5% de la capitalisation boursière de Paris en 1982, mais 13% en 1990, et plus du tiers aujourd'hui.
Contrechoc, rendu encore plus violent par le fait que lesdits investisseurs étrangers se tournent naturellement vers les titres des grosses entreprises, plus liquides : "notre patrimoine passe aux fonds de pensions américains !" . Cela n'a pas peu contribué à un retournement de l'opinion, qui aujourd'hui bat des records de méfiance par rapport au marché. Jacques Chirac, toujours fin populiste, l'a bien compris, cf son intervention du 30 mai 2006 qui ouvre le formidable petit livre d'Augustin Landier et David Thesmar :
On fait de l'argent sur le dos des gens et après on fiche tout le monde dehors. La dictature de la rentabilité financière ça suffit. (sic, resic et triple sic)
Landier et Thesmar racontent cette triste histoire et démontent certains mythes, dont beaucoup sont alimentés complaisamment par les grands patrons, les politiques et les journalistes. (Cet amalgame n'est pas qu'un outil rhétorique : outre l'étonnant pourcentage de journalistes qui sont en ménage avec des politiques, je citerai un chiffre ahurissant picoré dans Landier-Thesmar : la somme des capitalisations boursières des entreprises dirigées par d'ex-hauts fonctionnaires représente 63% de la valeur de la Bourse de Paris !). Je ne veus pas vous gâcher le plaisir de lire L et T, et je ne mentionnerai donc qu'un mythe, celui du court-termisme : la Bourse ne s'intéresserait qu'aux gains de court terme. Mais LT le montrent bien : beaucoup d'entreprises cotées à la Bourse américiane ("ce sont les pires !") ne sont pas près de faire des profits, ce qui ne les empêche pas d'attirer les investisseurs.
Pour finir, l'ultracélèbre affaire des "licenciements boursiers" de Michelin en 1997, censés, on l'aura dit et redit, permettre aux actionnaires de faire des plus-values mirobolantes sur le dos des salariés. Qu'a-t-on vu depuis (1998-2005) ? Le prix des pneumatiques a baissé de 10% en termes réels, et les actionnaires de Michelin n'ont eu qu'un rendement (brut, inflation et impôts non déduits) de 8%---vraiment pas terrible. En revanche, la masse salariale de Michelin s'est accrue de 10%.
L'intervention de Royal sur tf1 est pas mal dans le genre :
"la mise en exergue des dégats du libéralisme : la vie chère, le chômage, les jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail, la dégradation du cadre de vie, de l'environnement, la question de l'éducation, l'angoisse de la réussite scolaire de ses enfant" (sic, sic, sic, et reresic)
http://www.dailymotion.com/video/x10z8c_segolene-royal-chez-claire-chazal
(je passe sur le creux du discours et les phrases sans queue ni tête).
Et pour le plaisir :
http://www.dailymotion.com/pierrequiroule/video/x10lur_segolene-royal-a-toulon
Rédigé par : proti | 21 janvier 2007 à 09:44
Pour reprendre les distinctions de Pareto (idée juste / idée fausse, idée utile / idée inutile), le Grand Méchant Marché est une idée fausse utile. Utile à qui, on le comprend (les monopoleurs, les étatistes, les socialistes, les subventionnés de toutes sortes etc.)
Là où la question devient intéressante : pourquoi l'idée du GMM est beaucoup plus répandue en France qu'ailleurs, même en Chine ?
Rédigé par : fboizard | 21 janvier 2007 à 15:11
Ouh la la, un bon zéro sur vingt en chiffres boursiers !
En 1998 l'action Michelin a chuté de 60 euros a 30 euros, avec une très forte volatilité. L'action a ensuite oscillé jusqu'en 2005 entre 25 et 50 euros. Sur les six derniers mois l'action est passé de 45 a 70 euros (montée en fleche).
Bref le rendement (annuel ?) de "8%" ne veut rien dire sur une action qui a un parcours pareil (dependant de la date initiale) et il faudrait inclure les dividendes qui sont passés de 0.64 en 1998 a 1.31 en 2006 sur une progression (tres) reguliere.
Quelqu'un qui a acheté un titre michelin en 1998 a 30 euros, a maintenant un titre qui vaut 70 euros plus autour de 10 euros en dividendes, soit un rendement annuel brut de plus de 11% (imposable a 0 dans tout bon PEA). Un petit malin qui a acheté en juillet dernier a un rendement de plus de 100%.
"la masse salariale de Michelin s'est accrue de 10%." Hmm, +200% pour le management et -5% pour les ouvriers ? Allez savoir ... Du bon usage des moyennes.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 25 janvier 2007 à 17:33
Laurent : je transmets aux auteurs...
Rédigé par : Bernard Salanie | 25 janvier 2007 à 22:04