La dette française est un sujet fascinant, mais la dette publique américaine a une importance sûrement beaucoup plus grande dans l'économie mondiale. Si vous avez suivi l'épisode précédent, je vous ferais injure en vous rappelant que la dette publique est l'ensemble des emprunts contractés par le gouvernement américain (fédéral, pour ce billet) qu'il n'a pas encore remboursés. Ces emprunts se font essentiellement par émission de "US Treasuries"---des obligations ("bonds") qui sont remboursables à échéance très variable. J'en avais déjà parlé ici, et une discussion s'était ensuivie sur un sujet politique très chaud : pour résumer, est-il exact que l'essentiel de la dette publique américaine est détenu par des gouvernements étrangers dont la relation avec l'Amérique est tendue---ce qui leur donnerait un moyen de pression important ?
Le New York Times d'aujourd'hui publie le graphique ci-dessous.
J'ai eu un peu de mal à comprendre comment ces chiffres étaient construits ; mais au vu de ce tableau de la Fed., ils proviennent surtout d'enquêtes menées auprès des différents intermédiaires financiers (publics et privés) dans le monde. Ce n'est pas parfait : les banques britanniques, par exemple, détiennent à l'évidence de la dette publique américaine pour le compte de clients d'autres pays. Mais cela signifie sans doute que la part de la Chine, par exemple, est sous-estimée. On notera que la Chine détient maintenant plus de 15% de la dette publique américaine, contre 5% en 2000. Il est également curieux de constater que les Brésiliens ou les Mexicains, dont le Produit Intérieur Brut en dollars courants est de 600 à 700 milliards de dollars par an, détiennent chacun 40 milliards de dollars de dette publique américaine... la France (un gouvernement notoirement hostile :-) en a moins apparemment, pour un PIB trois fois plus élevé.
L'article du NYT mentionne également qu'au premier semestre de 2006, les Américains n'ont acquis que 13% des nouveaux emprunts de leur gouvernement. A ce rythme---et compte tenu des perspectives d'évolution des dépenses budgétaires---les étrangers détiendront plus des trois-quarts de la dette publique américaine dans quelques années, ce qui risque de devenir un sujet bien plus brûlant que l'immigration.
Concretement, en quoi est-ce un moyen de pression ? La seule façon de nuire, pour les pays créanciers "hostiles" serait de vendre massivement leurs obligations d'Etat US pour faire pression à la baisse sur les cours, mais est-ce vraiment si embêtant que ça pour le gouvernement américain ? Après tout, ça n'altère en rien sa capacité de remboursement, donc ses obligations resteront un placement sûr.
Rédigé par : Antoine | 04 novembre 2006 à 09:41
La moindre maladresse d'un responsable d'une banque centrale asiatique peut créer une crise de confiance sans précédent sur le dollar (un 9/11 du $ comme disait je ne sais plus qui).
également : Le créancier qui tient son débiteur peut exiger des intérêts de plus en plus élevés. Donc ne pas tuer la bête mais serrer la corde petit à petit et faire juter, voilà la méthode, elle est ancienne.
Rédigé par : all | 04 novembre 2006 à 10:39
Qu'est-ce qui oblige réellement un état à rembourser ses créanciers, par exemple, les créanciers citoyens de pays "ennemis", surtout s'il dispose de l'armée des USA ?
Rédigé par : Hop | 04 novembre 2006 à 10:56
Antoine : non, mais cela obère la capacité d'emprunt futur du gouvernement américain. S'il émet un emprunt et qu'au même moment la banque centrale chinoise vend son stock, l'emprunt risque de ne pas être satisfait, ou alors à un taux élevé. C'est là qu'il y a possibilité de pression.
Rédigé par : alexandre delaigue | 04 novembre 2006 à 11:47
Les chiffres du NYT concernent la dette US negociable,la dette totale est plus de 2 fois superieure, tres exactement a $8,593,660,306,834 au 2 novembre 2006 [voir http://www.publicdebt.treas.gov/opd/opdpdodt.htm]
les "chinois" ont donc (339/4894=> moins de 7% de la dette US negotiable et (339/8593)=> moins de 4% de la dette totale...enfin si on croit les chiffres du NYT...
Si il y a un probleme avec la dette US c'est que la partie negocable est trop faible par rapport aux besoins du marche ce qui mene a des problemes de manipulation des cours et d'autres choses interessantes comme des taux de refinancement negatif
voir:
http://www.aleablog.com/?p=22
Rédigé par : jck | 04 novembre 2006 à 13:09
La dette non-négociable n'a pas autant d'importance : elle est largement détenue par la Social Security et les banques du Federal Reserve System.
Le gouvernement américain, comme le nôtre, fait du "roll-over" : il finance le remboursement des emprunts arrivant à échéance par de nouveaux emprunts. Si les Chinois, par exemple, refusent de continuer à s'y prêter, la demande de US Treasuries chutera et le coût des emprunts deviendra plus élevé, peut-être de beaucoup s'il est exact que les Chinois aborbent une grosse part des nouveaux emprunts. Ce n'est pas de la manipulation, juste le jeu de l'offre et de la demande...demandez aux Italiens, dont la dette vient d'être décotée par les agences de rating.
Rédigé par : Bernard Salanie | 04 novembre 2006 à 14:40
Ici un compteur de la dette US qui m'a l'air précis :
http://brillig.com/debt_clock/
Rédigé par : all | 05 novembre 2006 à 02:56
La mesure du phénomène que décrit Bernard peut se lire dans la "duration" de la dette qui diminue dans le cas des USA, voir p7 des données de novembre 2006 pour un joli graphique :
http://www.treas.gov/offices/domestic-finance/debt-management/qrc/
Plus la dette est courte plus il faut roller de gros montants au quotidien, et donc plus on est dépendant de la demande des marchés pour la dette.
Pour l'Italie, après les annonces des deux agences S&P et Fitch (mais pas Moody's la plus grosse donc la plus influente) je suis allé voir mes collègues traders sur taux qui m'ont dit que les spreads de la dette italienne ont monté sur l'instant mais sont redescendus en dessous de leur niveau pré-annonce rapidement (je n'ai pas trouvé de courbe publique - je suis preneur). Comme quoi ...
Rédigé par : Laurent GUERBY | 05 novembre 2006 à 06:12
Le spread est p10 de l'ecoweek BNP Paribas 06-39 d'octobre 2006 :
http://economic-research.bnpparibas.com/applis/www/RechEco.nsf/EcoWeekByDateEN/7E4C22984C94FEAEC1257211002476EE/$File/EcoWeek_06-39-EN.pdf?OpenElement
Visiblement il a beaucoup bougé début 2006, depuis il oscille.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 05 novembre 2006 à 06:28
Alexandre : d’accord, mais ça n’est ‘que’ ça. La pression consiste à dire : « vous êtes bien contents qu’on finance vos investissements avec notre épargne : en cas de désaccord politique, on arrête et il vous faudra épargner plus ou investir moins. » Et encore, si j’ai bien compris le graphique, il ne s’agit pas uniquement de banques centrales, mais de l’ensemble des créanciers, y compris des ‘petits’ dont je vois mal comment ils pourraient se coordonner pour mettre en place une mesure de rétorsion.
Vous connaissez l’impact émotionnel des phrases choc concernant la dette. Dans le cas d’espèce, dire que la dette d’un Etat est détenue par des étrangers hostiles, ça risque d’évoquer des choses bien plus sensibles et infondées que ce qui est réellement en jeu. Ca peut faire penser, par exemple, à un groupe d’actionnaires majoritaires malveillants. Ou alors, ça peut évoquer une entreprise en faillite (ce que n’est évidemment pas l’Etat américain) dont les créanciers pourraient se « payer sur la bête ». La réalité est beaucoup plus banale : posséder des obligations d’Etat donne juste le droit à percevoir des coupons d’un montant prévu à l’avance et à les revendre, ni plus ni moins.
Rédigé par : Antoine | 05 novembre 2006 à 19:30
Bonjour,
Mon blog, intitulé "Vive la République" propose des réflexions, des analyses et des commentaires sur la sitution politique de la France. Il vise à aborder les véritables questions de fond à l'approche des échéances de 2007. Loin de la superficialité de la politique-spectacle et de la peoplisation des candidats, il propose de formuler des propositions concrètes qui suscitent le débat chez les internautes.
Voici l'adresse : http://vivelarepublik.blogspot.com
Venez nombreux pour débattre...
Rédigé par : Vive la République | 07 novembre 2006 à 18:49