Je concluais il y a peu mon texte sur la dette publique en suggérant que le débat devrait plutôt porter sur le montant et la composition des recettes et des dépenses. Prenons les dépenses. Comment décider si un euro de dépense publique est justifié ou non ? En principe, les choses sont simples. Cet euro provient (tôt ou tard, quand la dette sera remboursée...) de la poche des contribuables, qui l'auraient dépensé (tôt ou tard) d'une manière ou d'une autre---restons vague, c'est plus prudent, la précision n'est pas nécessaire ici. Disons que cet euro aurait été utilisé par M. Martin pour acheter un pain. Le "gouvernement" (les administrations publiques, pour être exact) a préféré lui prélever cet euro pour financer une dépense. Cette dépense peut être de même nature : en bon style Robin des Bois, le gouvernement peut par exemple utiliser l'euro prélevé pour fournir un pain à M. Dupond, qui est plus pauvre---nous négligerons le cas, pas forcément irréaliste, où le gouvernement prélève à ses opposants pour engraisser ses clients.
Cet exemple peut paraître caricatural, mais il permet de simplifier les termes du problème. On peut penser que prendre un euro à un riche pour le donner à un pauvre est moralement incontestable ; et si la supériorité du riche est entièrement due au fait qu'il a tiré le bon ticket à la loterie, il n'y a effectivement rien à redire à mon sens. Les choses deviennent plus complexes si la richesse accumulée par M. Martin dépend en partie de choix qu'il a faits. C'est presque toujours le cas : M. Martin est devenu riche en partie parce qu'il est né intelligent, parce qu'il a travaillé dur, ou parce que ses talents sont très appréciés. Notez bien que le premier de ces éléments est moralement contingent (il n'est pas lié au mérite de M. Martin, sauf peut-être pour un bouddhiste) ; que le troisième est au moins ambigü ; et que selon votre philosophie, le second peut l'être ou non. Peu importe : ce qui compte, c'est que quand M. Martin est imposé par le gouvernement, il modifie son comportement afin de réduire sa facture fiscale. Cette modification peut être très marginale---les hommes de quarante ans réduisent très peu leur offre de travail quand les impôts augmentent, les jeunes mères beaucoup plus ; elle peut être cosmétique (un petit patron peut percevoir ses revenus comme salaires ou comme dividendes, selon la fiscalité) ; elle peut être plus radicale, si une entreprise se délocalise. Quoi qu'il en soit, l'euro prélevé à M. Martin a un coût social qui provient de la modification résultante de son comportement.
Disons (c'est un ordre de grandeur très approximatif mais raisonnable) que ce coût est de 20 centimes. Le gouvernement, pour transférer un euro d'un riche à un pauvre, a détruit 20 centimes au passage. Que doit-on en penser ? Le point important est que même une dépense publique apparemment incontestable, et qui ne peut aucunement s'effectuer par le jeu du marché, peut faire l'objet d'un débat : si M. Dupond n'est qu'un peu moins riche que M. Martin, Et quid si je pense que le coût social est de 10 centimes seulement, ou va jusqu'à 50 centimes ? Il peut y avoir désaccord sur les chiffres ; de plus, certains modes d'imposition détruisent plus de valeur que d'autres. En principe, le jeu budgétaire d'une démocratie tourne autour de ce genre d'arbitrages, et d'autres, nettement plus complexes, qui tournent autour de l'utilité de construire un pont à Millau, de financer des jeux du stade à Paris, ou d'augmenter la Prime pour l'Emploi.
Au minimum, on s'attendrait à ce que ces arbitrages se déplacent au cours du temps : les circonstances évoluent, les idées dominantes aussi. Le graphique ci-dessous (si Writely marche bien, c'est mon premier essai ! ) montre que la plupart des gouvernements ont nettement réduit la part des dépenses publiques dans le PIB de leur pays.
Même l'Italie a réduit de 15% (soit de 8 points de PIB) cette part, depuis le pic atteint en 1993. Et en France ? Le pic a été atteint en 2000---il n'était d'ailleurs pas tellement plus élevé qu'en 1990 ou en 1995 ; depuis, la droite a succédé à la gauche, pas mal de choses sont arrivées dans le monde...mais rien ne bouge en France. Il n'y a qu'une explication, bien sûr : la situation française a été, reste, et restera socialement optimale...
NB: je suis infichu de publier sur mon blog Typepad avec Writely ; toute suggestion sera bienvenue !
Et oui, c'est optimal ! Enfin, ça dépend de quel côté on se place :-)
http://www.crest.fr/pageperso/laroque/presidfin.pdf
LSR
Rédigé par : Elessar | 08 novembre 2006 à 22:23
Vous avez de bonnes lectures...mais sauf erreur, Laroque montre simplement que compte tenu du montant total des *recettes publiques* que le gouvernment collecte, la repartition qu'il a mise en oeuvre semble proche de celle qu'un gouvernement Rawlsien aurait choisie.
Rédigé par : Bernard Salanie | 08 novembre 2006 à 22:37
Qui de la correlation entre ces chiffres sur la réducation des dépenses publiques avec le taux d'endettement de l'Etat au moment du pic ? J'ai en tête une comparaison France vs Belgique ou France vs Italie...
Rédigé par : Etienne LEHMANN | 09 novembre 2006 à 04:22
Le graphique Writely s'affiche très bien, il est même assez élégant.
Rédigé par : Fr. | 09 novembre 2006 à 07:18
"Cet exemple peut paraître caricatural, mais il permet de simplifier les termes du problème"
Je ne le trouve pas tellement caricatural : les services publics ne sont guère qu'organiser en théorie mieux que la société civile ce que la société civile fait déjà.
Le fond du problème étant que plutôt que de s'interroger sur ce que la société civile fait mal seule pour déterminer ce que devraient être les services publics, les idéologues de tout poil commencent avant tout par déterminer quel levier politique pourrait leur offrir le contrôle de telle activité sociale : soit à l'occasion d'une de leur participation au gouvernement, soit par des biais syndicaux ou corporatistes.
Reste que, dans certains cas, un service public même instrumentalisé par un groupe idéologique fonctionne mieux que le laisser-faire et que, dans d'autres cas, même réellement exempt de toute influence idéologique, un service public fonctionne mal. Mais ce qui détermine si un service public survit ou non n'est pas sa performance, mais son utilité politique telle que perçue par les grands réseaux politiques (en gros, les partis de gouvernement).
D'où la tentation, en l'absence d'informations su le fonctionnement réel de quelque service public que soit, et donc, au vu de l'impossibilité d'en juger sereinement, de commencer par se dire que plus il se lèvera de corporations pour défendre un service public, plus on peut éventuellement à vue de nez se dire que vérifier son efficacité effective par rapport à rien pourrait permettre de réduire la pauvreté, en rendant à ceux qui ont peu des prélèvements obligatoires superflus. Mais encore faut-il pour cela s'intéresser sincèrement au sort des plus démunis.
Rédigé par : Mouaips. | 09 novembre 2006 à 11:17
Quitte a paraitre outrancierement concerne par des questions de basse statistique, je signale que j'ai personnellement un peu de mal a juger de la significativite statistique de la "difference entre deux changements (relatifs ou absolus)" calcules sur deux periodes differentes... Je soupconne que l'ecart est bien significatif entre le Canada et le Danemark (pour lesquels les pic sont ete atteints a deux dates similaires) mais pour le reste... Ca ne modifie pas l'ensemble du discours (mais ca prouve au moins que je peux lire le graphique :)
Rédigé par : fred jouneau-sion | 09 novembre 2006 à 14:29
"Disons (c'est un ordre de grandeur très approximatif mais raisonnable) que ce coût est de 20 centimes"
Il y a des papiers abordables sur le sujet ?
Rédigé par : Laurent GUERBY | 10 novembre 2006 à 13:34