Entre le monde unipolaire où une "hyperpuissance" américaine fait parfois l'effet d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, et le monde multipolaire que la diplomatie française semble appeler de ses voeux, lequel est préférable ? On aimerait pouvoir disposer d'un joker. Le nouveau pole chinois peut facilement devenir un nouvel éléphant dans le magasin, moins les contraintes imposées par le processus démocratique ; et la Russie, sujet de ce billet, en a largement pris le chemin---heureusement entravée jusqu'ici par le manque de finesse de ses dirigeants.
Il y a un "miracle économique" en Russie depuis cinq ans. Il n'a pas grand'chose à voir avec la politique économique suivie par Poutine, sauf en ce que le maintien (relatif) de l'ordre public est assuré---le concept poutinien de l'ordre public n'inclut évidemment pas le maintien des libertés publiques, de la presse en particulier comme les nouvelles d'aujourd'hui nous le rappellent. Le miracle prend ses sources dans deux désastres : la dévaluation forcée de 1998, et les conséquences du terrorisme pour le prix du pétrole.
La Russie dépend largement de ses ressources naturelles : elles constituent 80% de ses exportations. Le pétrole et le gaz naturel sont au premier rang, et l'industrie énergétique russe porte donc les espoirs de tout un peuple. En fait, la Banque Mondiale estime qu'un dollar de plus sur le prix du baril augmente les ressources budgétaires de l'Etat russe de 0,35% du PIB. Faites le calcul... la flambée des prix, ajoutée à l'effet de la dévaluation qui a rendu le pétrole (tarifé en dollars) plus rentable, a rapidement fait basculer la Russie dans une expansion spectaculaire, qui lui a égalemnt permis de moderniser les équipements du secteur énergétique et ainsi de doubler sa production. Le résultat est patent : 6% de croissance du PIB depuis 5 ans---avec une population en baisse, c'est une sacrée amélioration du niveau de vie.
Du coup, on parle maintenant de l'émergence d'une classe moyenne russe, entre les oligarches corrompus et les perdants de la transition. Cette classe moyenne, dans le meilleur style russe, vit de l'état : la moitié des russes qui se réclament de la classe moyenne sont fonctionnaires. Le nombre de fonctionnaires civils est... le meme que du temps de l'URSS. Le pouvoir distribue gaiement du pouvoir d'achat à ces fonctionnaires, qui forment le socle de son influence. Ils se servent bien sûr à foison, corruption oblige. On cite le chiffre de 55 milliards de dollars de pots-de-vin par an---soit environ 5% du PIB. Un poste dirigeant aux Douanes se négocie à 1 million de dollars, ce qui donne une idée des sommes que l'"acquéreur" espère détourner.
Conséquence immédiate : le pays est de plus en plus dépendant des grandes entreprises du secteur énergétique. On ne recense qu'un million de petites entreprises ; c'est très peu, pour un pays semi-développé de 140 millions d'habitants---ses voisins d'Europe de l'Est en ont, proportionnellement, cinq ou six fois plus. Les bureaucrates russes, plus bêtes que les virus, n'attendent meme pas que le tissu économique se soit formé pour l'attaquer : ils se servent dès la première demande administrative, au point d'avoir ettouffé la création d'entreprises. Tant que les exportations de pétrole continuent à ce rythme, pourquoi se priver ?
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