Depuis que je tiens ce blog, de nombreux parents m'écrivent pour me demander comment ils peuvent faire de leurs rejetons de futurs bons économistes.Grâce à Scientific American (voir par exemple cet article), je tiens la réponse : il faut qu'ils commencent jeunes, il faut les mettre en concurrence très tôt, et de préférence avec des enfants moins doués ou moins bien entraînés. Caveat: cet ensemble de trois conditions n'est pas suffisant, et aucune d'elles n'est probablement nécessaire---et si vous jugez cette réponse un peu dilatoire, vous devriez probablement diriger vos enfants vers une science plus simple, comme la physique des particules.
Ces principes découlent de l'observation de plusieurs catégories d'"experts", et notamment les grands joueurs d'échecs. A les voir explorer les conséquences d'une position donnée, parfois en partie simultanée, on peut imaginer que leurs capacités d'analyse dépassent l'entendement. En fait, il semble que ce type de réussite très spécialisée soit surtout, comme toujours, le résultat de 95% de transpiration : l'examen répétée de positions classiques à un jeune âge permet d'apprendre une grammaire de base ; cet avantage permet de gagner de petits tournois et donc soutient la motivation de l'enfant ; et il autorise également le "chunking". Prenons la phrase courante qui suit :
Quand il eut passé le pont, les vampires vinrent à sa rencontre.
Elle est très facile à mémoriser, essayez ; mais vous auriez plus de mal si elle était dans l'original transylvanien, pas parce que le contenu en serait plus complexe, mais simplement parce que la grammaire de base vous ferait défaut. (Un souvenir personnel cuisant : j'ai ainsi eu du mal à mémoriser un autre texte d'emploi courant, la fameuse Chanson des Eléphants :
Patali dirapata
Cromda cromda ripalo
Pata pata ko ko ko. )
De même, un bon joueur d'échecs mémorise une position beaucoup plus facilement qu'un joueur médiocre, mais seulement si cette position est proche d'une position courante dans les parties d'échecs ; son avantage est bien moindre pour des positions légales mais arbitraires.
Grammaire + enthousiasme : c'est aussi la raison pour laquelle les joueurs de football professionnels se recrutent souvent parmi les bébés nés au premier trimestre. Ils ont ainsi eu l'avantage de commencer le football un peu plus développés physiquement, d'où une réussite (et un monopole de la balle) qui ont eu un effet cumulatif dans la suite de leur apprentissage.
Tout ceci ne remet pas en cause le fait que les très grands joueurs d'échecs (ou footballeurs, ou peut-être économistes) sont très doués. Mais il semble que dans de nombreux cas, les trois facteurs cités plus haut jouent un rôle très important.Exercice d'application : les soeurs Williams...
On peut s'amuser à faire un parallèle avec la fonction de production Y(K,L) en économie. Supposons que le niveau d'expertise d'un invidividu dépende de facteurs innés et acquis : E(I,A). "L'inspiration" est représentée par le talent inné de chacun, si tant est qu'on puisse le réduire à une variable I... La "transpiration" est dans le facteur A : un meilleur entraînement, une date de naissance favorable, une meilleure alimentation, etc. permettent d'obtenir de meilleurs résultats, ceteris paribus.
Sachant que les experts ont par définition des compétences exceptionnelles, et qu'ils ont la plupart du temps beaucoup transpiré pour atteindre ce niveau, que peut-on en déduire concernant leurs qualités innées? Sachant que les pays riches ont un stock de capital important, qu'est-ce que cela nous apprend concernant les autres facteurs? Pas grand-chose.
Il existe une méthode couramment utilisée en psychologie pour déméler les facteurs héréditaires et environnements. Ce sont les études de jumeaux et d'enfants adoptifs. Des jumeaux homozygotes partagent 100% de leurs gènes, des frères 50%, deux individus non apparentés 0%. Cela permet de faire varier le facteur I. De même, des enfants adoptifs ayant grandi dans la même famille ont une part de leur environnement qui est commun. Cela permet de faire varier le facteur A (mais avec de nombreuses difficultés techniques).
Je n'ai pas connaissance d'études précises sur les joueurs d'échecs ou les économistes ;-) mais cette méthode a été appliquée à de nombreux domaines : la personnalité, l'intelligence, les troubles psychiatriques et... les tendances politiques!
Rédigé par : Gu Si Fang | 22 octobre 2006 à 02:54
Parents, prenez exemple sur Kenneth Rogoff qui fut un grand joueur d'échec et est un grand économiste !
http://www.economics.harvard.edu/faculty/rogoff/bio.html
Rédigé par : Greg | 22 octobre 2006 à 03:24
Gu si fang : ce que tendent à montrer les études psychologiques, c'est qu'il n'y a pas directement de capacité innée pour être un génie dans un domaine; en faisant suffisamment d'efforts, n'importe qui peut en théorie devenir un génie en n'importe quoi. Le problème réside dans la capacité de supporter, et même d'apprécier,la charge d'effort nécessaire, qui est elle peut-être d'ordre héréditaire. Voir en plus de l'article cité par BS Steven Levitt :
http://www.freakonomics.com/times0507col.html?_r=1&oref=slogin%20
et cet article de the economist consacré aux travaux d'Anders Ericsson :
http://www.economist.com/science/displaystory.cfm?story_id=E1_QSTVGP
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 22 octobre 2006 à 03:39
A partir du fameux précepte d'Edison, inventeur à répétition très admiré aux USA:
l'invention c'est 5% d'inspiration , 95% de transpiration,
beaucoup ont rajouté depuis: et 15% de commission...
Le facteur rétribution de l'effort et gain potentiel compte à mon sens, même pour les personnalités exreptionnelles...
cf. les footballeurs issus des classes populaires...
Donc, pour avoir plus d'économistes, de prix nobel en éco..il faut mieux les payer.
Difficile quand on voit l'attractivité salariale des "salles de marché"
sur les élèves formés en économie...
A moins que ce ne soit ce métier que visent les parents qui posent la question...
FRANCIS
Rédigé par : francis | 22 octobre 2006 à 03:52
* quelques etudes ont utilise les comparaisons de jumeaux homozygotes en economie, pour etudier par exemple les rendements de l'education. Quel est le benefice d'une annee d'etude supplementaire, en termes d'accroissement de salaire ? La difficulte est ici de maintenir fixes les autres determinants possibles des salaires. La gemellite aide...avec de "nombreuses hypotheses", qui ne sont pas toutes "techniques".
* Econoclaste : merci, somme souvent, pour ces excellentes references.
* Francis : je suis persuade que les "15% de commission" jouent un role important pour les chercheurs de niveau moyen (comme moi !), qui ont une grande importance pratique---tout le monde n'est pas Einstein, et il a fallu des centaines de contributeurs pour que "la" theorie de la relativite prenne toute son ampleur. J'en suis moins sur en ce qui concerne les personnalites exceptionnelles ; cf la citation d'Hayek dans les commentaires a
http://bsalanie.blogs.com/economie_sans_tabou/2005/10/publish_and_per.html
Rédigé par : Bernard Salanie | 22 octobre 2006 à 20:48
Quand il eut passé le pont, ce furent des fantômes, et non des vampires, qui vinrent à sa rencontre ...
Rédigé par : Bladsurb | 25 octobre 2006 à 08:41
Aie ! Cela refute la theorie du chunking...
Rédigé par : Bernard Salanié | 25 octobre 2006 à 10:52