37, comme Amphitryon, parce que c'est un sujet récurrent en économie et qui tient à mes recherches actuelles : la variété des goûts et des couleurs. Notre paradigme est fondé en grande partie sur l'idée que chaque personne a des objectifs, des priorités, des préférences qui sont stables : elles peuvent changer avec l'âge, la naissance d'enfants, ... mais elles sont largement cohérentes. (Oui, je sais, cette phrase est chargée de multiples approximations, ne tirez pas s'il vous plait). Comme toujours, Gary Becker l'a exprimé très clairement :
The combined assumptions of maximizing behavior, market equilibrium, and stable preferences, used relentlessly and unflinchingly, form the heart of the economic approach as I see it.
C'était en 1976 ; nous sommes devenus plus éclectiques aujourd'hui, ce qui a ses avantages (notre approche s'est enrichie) mais aussi ses inconvénients (un manque de discipline, au sens scholastique du terme). Il est difficile toutefois d'envisager une science économique construite sur l'idée que les agents font un peu n'importe quoi comme il leur chante : une certaine stabilité des préférences nous est indispensable.
Quid de la variété des préférences ? En ce domaine nous avons toujours été très libéraux : nous pouvons théoriser les égoïstes comme les altruistes, les mystiques comme les sadiques. Mais dans les années 70, beaucoup d'économistes ont adopté la fiction commode de "l''agent représentatif". Ce n'est pas nouveau, Alfred Marshall l'avait fait en 1890 pour les entreprises : pour simplifier l'analyse, on néglige l'hétérogénéité. Sous certaines hypothèses, c'est en fait un théorème : si les marchés fonctionnent de manière idéalisée, alors on peut agréger les millions de consommateurs français par un Etre Collectif dont les réactions "expliquent" les leurs. Evidemment, ce n'est pas de ce genre de modèle qu'il faut attendre une analyse profonde de l'inégalité des revenus ; mais il peut suffire à l'analyse de la politique monétaire ou des hausses de la TVA, en première intention tout au moins.
The combined assumptions of maximizing behavior, market equilibrium, and stable preferences, used relentlessly and unflinchingly, form the heart of the economic approach as I see it.
C'était en 1976 ; nous sommes devenus plus éclectiques aujourd'hui, ce qui a ses avantages (notre approche s'est enrichie) mais aussi ses inconvénients (un manque de discipline, au sens scholastique du terme). Il est difficile toutefois d'envisager une science économique construite sur l'idée que les agents font un peu n'importe quoi comme il leur chante : une certaine stabilité des préférences nous est indispensable.
Quid de la variété des préférences ? En ce domaine nous avons toujours été très libéraux : nous pouvons théoriser les égoïstes comme les altruistes, les mystiques comme les sadiques. Mais dans les années 70, beaucoup d'économistes ont adopté la fiction commode de "l''agent représentatif". Ce n'est pas nouveau, Alfred Marshall l'avait fait en 1890 pour les entreprises : pour simplifier l'analyse, on néglige l'hétérogénéité. Sous certaines hypothèses, c'est en fait un théorème : si les marchés fonctionnent de manière idéalisée, alors on peut agréger les millions de consommateurs français par un Etre Collectif dont les réactions "expliquent" les leurs. Evidemment, ce n'est pas de ce genre de modèle qu'il faut attendre une analyse profonde de l'inégalité des revenus ; mais il peut suffire à l'analyse de la politique monétaire ou des hausses de la TVA, en première intention tout au moins.
Plus les théoriciens s'abandonnaient à cette idée... et plus les économètres s'en écartaient. Depuis trente ans, une grande part des avancées économétriques a été consacrée, d'une manière ou d'une autre, à mieux prendre en compte les effets de l'hétérogénéité des situations et des goûts. Le prix Nobel de Jim Heckman et Daniel McFadden en porte témoignage. Après cette longue introduction, voyons le contre-exemple que le New York Times nous a livré ce week-end. Il concerne les choix de parcours universitaires, et plus précisément l'jnscription dans la crême des colleges des meilleurs lycéens américains. L'analogie évidente en France serait les choix de grandes écoles des recus aux concours, dont on sait que dans le haut du classement, ils sont étonnamment rigides---sans parler des choix de Grands Corps des X et des énarques à la sortie de leurs écoles respectives.
Pourquoi choisir un college plus qu'un autre ? Il y a la qualité des enseignants, la qualité de la vie (je recommande New York plutôt que Princeton, New Jersey ou College Station, Texas), et la "qualité du diplôme", telle que les étudiants (ou leurs parents, qui paient l'addition) perçoivent que les employeurs, mais aussi les futurs époux-amis-amants, la perçoivent. Lorsqu'on étudie les déterminants des choix des individus (ou des ménages) entre des frigidaires ou des voitures, on a bien du mal à expliquer plus d'un tiers de la variation des choix entre individus. Pourquoi M. Dupont achète-t-il une Trabant alors que M. Dupond, dont les caractéristiques observables sont identiques à une consonne près, roule en Zil ? Mystère. Autre mystère : pourquoi les préférences, aussi hétérogènes en général, sont-elles aussi homogènes en ce qui concerne les établissements d'enseignement ? Rares sont les reçus à Normale Sup qui préfèrent intégrer Supélec en France ; mais, c'est bien connu, nous sommes des animaux à habitus rigide. Aux Etats-Unis, on s'attendrait à ce que le choix entre Harvard et le MIT, disons, se fasse en partie sur des différences de goût, sans parler de New York University (dans le Village) contre Duke (en Caroline du Nord).Que non, semble-t-il au vu de ce joli tableau :
Pourquoi choisir un college plus qu'un autre ? Il y a la qualité des enseignants, la qualité de la vie (je recommande New York plutôt que Princeton, New Jersey ou College Station, Texas), et la "qualité du diplôme", telle que les étudiants (ou leurs parents, qui paient l'addition) perçoivent que les employeurs, mais aussi les futurs époux-amis-amants, la perçoivent. Lorsqu'on étudie les déterminants des choix des individus (ou des ménages) entre des frigidaires ou des voitures, on a bien du mal à expliquer plus d'un tiers de la variation des choix entre individus. Pourquoi M. Dupont achète-t-il une Trabant alors que M. Dupond, dont les caractéristiques observables sont identiques à une consonne près, roule en Zil ? Mystère. Autre mystère : pourquoi les préférences, aussi hétérogènes en général, sont-elles aussi homogènes en ce qui concerne les établissements d'enseignement ? Rares sont les reçus à Normale Sup qui préfèrent intégrer Supélec en France ; mais, c'est bien connu, nous sommes des animaux à habitus rigide. Aux Etats-Unis, on s'attendrait à ce que le choix entre Harvard et le MIT, disons, se fasse en partie sur des différences de goût, sans parler de New York University (dans le Village) contre Duke (en Caroline du Nord).Que non, semble-t-il au vu de ce joli tableau :


La domination de Harvard est écrasante : Yale lui résiste le mieux, mais il n'y a pas photo. La prédominance de scores proches de 100 ou de 0 est aussi frappante. Les différences de qualité de l'enseignement ne peuvent pas être aussi fortes ; la triste conclusion que suggère cette étude, c'est que Michael Spence a mérité son prix Nobel (2001)... comme en France, c'est l'admission dans un college d'élite qui joue le rôle de signal essentiel pour les employeurs : avec 98% d'admis qui ont leur diplôme en temps et en heure, Harvard bat les records de grade inflation, mais Chicago, la plus vertueuse, approche les 90%. Toute ressemblance avec le système des grandes écoles ne serait pas fortuite.
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Sauf erreur, il faut attendre un peu plus de précisions sur les comportement d'emploi avant d'en tirer une conclusion à la Spence. Une telle domination pourrait en effet résulter d'un mécanisme d'hystérèse informationnelle.
Supposons en effet que les recruteurs soient eux-mêmes issus des écoles en question. Mécaniquement, ils seront (ou croiront être) mieux informés sur la valeur du diplôme de leur alma mater que sur celle des autres université, exceptées celles considérées comme supérieures à la leur quand ils étaient eux-mêmes étudiants. Comme acquérir de l'information sur la valeur d'une formation est coûteux (il est difficile de le faire sans embaucher quelqu'un qui l'a suivie), les recruteurs ont rationnellement intérêt à recruter sur la base de cette information partielle. Anticipant cela, les meilleurs étudiants font leurs choix.
Un test possible de cette hypothèse sur le cas français : l'influence de statut de normalien pour l'obtention de postes de MdC ou de professeur des universités en histoire et en philosophie (matières où il est reconnu que le niveau des nromaliens n'est pas significativement meilleur que celui des meilleurs éléments ayant un cursus purement universitaire).
Rédigé par : leconomiste | 21 septembre 2006 à 08:55
Une anecdote : un jeune frère d'un ami proche passait il y a bientôt vingt ans son baccalauréat. Tentant d'être aimable, et connaissant les résultats brillants acquis sans effort du jeune homme, me vient l'idée de lui demander quelles étaient ses intentions pour ses études supérieures.
Il me répondit tout de go "expert-comptable". Voyant ma surprise à l'énoncé de cette réponse surprenante à mes yeux et l'ayant sans doute prévue, il déclara avoir fait les calculs, et déterminé que c'était le moyen d'obtenir les meilleurs revenus possibles en 5 ans d'études (en considérant qu'il n'était pas doué pour les langues étrangères et déjà en ménage, donc, peu enclin à quitter la France).
Ne peut-on imaginer que l'étudiant supposé brillant soit tout simplement capable de déterminer son propre intérêt et ses perspectives de gain à suivre telle ou telle filière ou école ? Cela revient certes à supposer que l'asymétrie d'information n'est pas forcément celle qu'on pense, mais auquel cas, tout s'expliquerait sans grands efforts.
Rédigé par : Simple passant | 21 septembre 2006 à 12:21
La rapidité d'embauche semble indiquer que les diplômes des différents colleges n'ont pas la même valeur sur le marché du travail. Est-ce que le diplômé de l'école la mieux classée sera un travailleur plus performant que son camarade moins bien classé? Ma compréhension est que c'est ce qui oppose théorie du capital humain ("oui") et théorie du signal ("non").
En France, certains concours ont une valeur économique supplémentaire : les étudiants sont nourris, logés, blanchis... et payés pendant les études! De plus, les meilleurs d'entre eux accèdent via les corps à un statut privilégié qui ressemble à une rente. Les autres écoles ne peuvent pas rivaliser, ce qui renforce probablement le classement et le rend très stable dans le temps. Mais je ne pense pas que cela s'applique pas à l'Ivy League.
Dans The bell curve, Murray et Herrnstein estiment que, entre 1930 et 1990, le QI moyen des étudiants de l'Ivy League est passé de 117 à 130 alors que dans les autres colleges il restait autour de 115 (mais avec une augmentation du nombre d'étudiants). Leur explication est que, dans une société reposant de plus en plus sur les technologies, la valeur économique de l'intelligence a augmenté. C'est plausible mais pas démontré (du moins dans leur livre). Leur réponse à votre question serait peut-être la suivante :
"Les choix d'écoles sont homogènes et stables parce que les écoles recrutent efficacement leurs étudiants selon l'intelligence (capital humain) et leurs délivrent un diplôme qui ne fait que reconnaître cette aptitude (signal)."
On peut rapprocher ces considérations des récents débats sur la mixité sociale dans les grandes écoles françaises.
Rédigé par : Gu Si Fang | 21 septembre 2006 à 13:01
J'ai du mal a comprendre la pietre performance de Berkeley.
Rédigé par : Henri | 21 septembre 2006 à 22:30
interessante analyse! vous avez une idee du model statistique pour generer le tableau? un truc du genre Bradley-Terry?
sinon une hypothese qui pourrait justifier le fait que les choix de "college" soient en general tres conservateurs et negligent la veritable qualite de la formation: on ne fait en general qu'un cursus "undergrad", qui vous poursuivra toute votre vie (notamment en france), et vous esperez donc obtenir un diplome qui gardera toujours un certain "cachet" 50 ans apres avoir termine ce cursus, independamment de sa veritable qualite lorsque vous l'avez obtenu. Dans ces conditions les choix ont plus tendance a etre conservateurs, et se porter sur les valeurs sures j'imagine. Je pense que ca s'applique moins aux ecoles doctorales et aux MBA, ou par contre la qualite instantanee du corps professoral est mieux prise en compte par les etudiants.
Rédigé par : marco | 21 septembre 2006 à 22:37
- meme si les differences de qualite sont faibles, elles peuvent suffire a generer un appariemment (sorting) positif... parfaitement compatible avec un modele de capital humain observable.
donc je trouve aussi la ref a Spence un peu rapide.
- la seule conclusion evidente, c'est que l'heterogeneite entre etudiants n'est pas tres grande ie il n'y a pas vraiment de "matching problem". cela trouble les microeconometres qui trouvent qu'il y a beaucoup d'heterogeneite d'habitude; mais est-ce etonnant de dire que les bons eleves americains de 18 ans sont similaires entre eux???
- enfin sur l'heterogeneite, n'en rajoutons pas trop : les R2 faibles sont en partie des erreurs de mesures, des variables peu precises ou manquantes, etc. ; "do not claim the residual as your own".
Luc
Rédigé par : luc | 22 septembre 2006 à 23:14
Je n'avais pas vraiment l'ambition de "démontrer" la théorie du signal sur la base d'un simple tableau... quelques remarques tout de même :
* bien sûr, si tous les étudiants sont d'accord pour évaluer Harvard un tantinet au-dessus de Stanford, Harvard doit battre Stanford par 100 à zéro dans ce tableau. Mais son intérêt est justement de montrer que dans ce cas précis, la variabilité des préférences est nettement inférieure à leur intensité, ce qui n´était pas évident a priori : les étudiants proviennent de régions très variées, ont des cultures familiales et des aspirations extrêmement diverses, etc---sans doute beaucoup plus qu'en France où, de plus, beaucoup d´écoles sont concentrées dans la région parisienne.
* on peut expliquer les choses sur la base de "croyances" fausses et persistantes : un polytechnicien croit par définition que les polytechniciens sont tous nés de la cuisse de Jupiter. Mais 1) c'est difficile à tester 2) ce devrait être un dernier recours (quand toutes les autres théories ont échoué) 3) les entreprises dirigées par des polytechniciens devraient faire faillite à la longue si leurs DRH refusent de mettre la bonne personne à la bonne place...
* les R2 faibles des études sur les choix de voitures, etc seraient en partie liées à des erreurs de mesure : à quelle variable pensez-vous ? à des variables manquantes : bien sûr, this is exactly the point. On peut toujours appeler le résidu inexpliqué "goût pour les grosses voitures" et l'appeler "variable manquante" ; mais cela ne résout pas le problème, qui est que les variables disponibles ne permettent pas d'expliquer la plus grande part de a variation.
* le modèle statistique utilisé est très simple (modèle de choix discret, ici :
http://www.economics.harvard.edu/faculty/hoxby/papers.html
Rédigé par : Bernard Salanié | 23 septembre 2006 à 08:26