Bien avant qu'on ne parle des moyens consacrés à la recherche, les horreurs conjuguées du XXe siècle avaient chassé d'Europe des économistes éminents : Jacob Marschak et Wassili Leontieff avaient fui le communisme soviétique pour ne pas finir comme Kondratieff ; les lois scélérates des nazis avaient révoqué un quart des économistes allemands (Hirschman, Musgrave entre autres) ; les Autrichiens avaient anticipé sur l'Anschluss (Schumpeter, Mises, Morgenstern); Modigliani est parti d'Italie après les premières lois antisémites ; le Lithuanien Zvi Griliches est passé par les camps de concentration allemands et Israel avant d'émigrer aux Etats-Unis.
Mon collègue Jacob Mincer, qui vient de mourir à 84 ans, avait émigré de Pologne en 1948. A l´époque, les économistes qu'on n'appelait pas encore néoclassiques déploraient les lacunes de la théorie functionnelle de la distribution du revenu développée à la fin du XIXe siècle par John Bates Clark et Wicksteed entre autres : elle laissait dans l'ombre les rasions pour lesquelles les salaires varient autant d'une personne à une autre---sauf à les expliquer de manière un peu vide par des différences de productivité non mesurables. Dans sa thèse et dans une série de travaux publiés (surtout) de 1957 à 1965, Mincer a pratiquement fondé un domaine entier de l´économie du travail. Sur le plan théorique, il a analysé les raisons qui poussent un individu à prolonger ou à arrêter ses études, comme une entreprise à former ses employés, comme des décisions d'"investissement en capital humain" qui mettent en regard les gains attendus (en accroissement de salaires futurs pour l'individu, en profitabilité accrue pour l'entreprise) et les coûts présents (les études ne nourrissent pas, un ouvrier en formation ne produit pas).
Il a également lancé les études empiriques en estimant ce qui est devenu l'"équation de Mincer" : elle explique le salaire d'une personne à partir de son niveau d´éducation, de son expérience, de son ancienneté dans l'entreprise... Robert Merton disait que l´éponymie était le plus bel hommage qu'on peut rendre à un scientifique. Dans le cas de Mincer, il faudrait aussi citer les noms des collègues et élèves qui l'ont suivi ou accompagné sur ce chemin, comme Gary Becker et Jim Heckman, et les très nombreux économistes moins connus du grand public qui se sont formés dans son célèbre séminaire d'économie du travail.
A voir, c'est pas mal du tout :
http://www.uni.asso.fr/spip.php?article591
Rédigé par : jean-g | 31 août 2006 à 11:53