Allons bon, c'est Telos-EU maintenant qui enlève de mon billet sur l'indice des prix les liens que j'avais patiemment choisis et insérés pour illustrer mon propos. A qui se fier ? Voici donc la version originale :
Les Français entretiennent un rapport compliqué avec les experts, et le personnel politique joue sur cette ambivalence. Deux clichés du discours politique devraient agir comme un signal que le locuteur est passé en phase d'enfarinage :
- "tous les experts s'accordent sur le fait que..."
- "les experts, vous savez, ils disent ce qu'ils veulent, mais les vraies gens savent bien que..."
C'est ce second mode de discours qui m'intéresse aujourd'hui. Pierre Poujade (et son adjoint Jean-Marie le Pen) en faisaient grand usage dans les années 50---voir les chapitres de Mythologies que Roland Barthes a consacrées à Poujade. Malheureusement, les choses ne se sont pas arrangées, si on en juge par les récentes déclarations de Ségolène Royal sur l'indice des prix.
Mme Royal ne fait en l'occurrence qu'avancer un peu plus dans une voie ouverte par Nicolas Sarkozy et prolongée par Thierry Breton. Le passage à l'euro en janvier 2002 avait suscité des inquiétudes sur une possible flambée des prix (la "valse des étiquettes") ; et une large majorité des Français semble persuadée que les prix ont effectivement fait un bond depuis 2002. Les indices de prix publiés par l'Insee retracent pourtant une histoire bien différente :
- les prix n'auraient augmenté que de 10% depuis début 2002, soit une moyenne à peine supérieure à 2% par an ;
- bien sûr, l'inflation mensuelle a varié depuis cinq ans ; mais elle n'a dépassé 0,7% à aucun moment sur cette période, et 0,5% qu'à de rares reprises---aucune trace d'une flambée des prix, début 2002 ou plus tard.
Comment peut-on expliquer la divergence entre les perceptions des Français et l'inflation mesurée ? L'Insee a tenté de le faire à de nombreuses reprises, de la manière la plus claire à mon sens dans un document malheureusement assez peu diffusé du Conseil National de l'Information Statistique (CNIS--j'y reviendrai), dont je conseille très vivement la lecture. Je relèverai quant à moi plusieurs points.
Le premier est qu'il y a bien eu une flambée des prix, et même deux si on veut ; mais comme on va le voir, elles ne sont pas centrées autour de la date d'introduction de l'euro . Tout le monde peut les mesurer sur le site de l'Insee. La première, bien réelle, concerne les prix des produits alimentaires, qui ont augmenté à un rythme annuel de 5 à 6% fin 2000 et début 2001. Ce n'est pas grand'chose au regard de l'inflation de la décennie 1975-1985 ; mais c'est effectivement un phénomène inhabituel, qui a conduit le gouvernement Jospin à imposer un accord de modération à la grande distribution. Devenu ministre des finances, Nicolas Sarkozy a obtenu de l'Insee la publication d'un indice des prix dans la grande distribution. Cet indice a bien enregistré une hausse de 5,2% en 2001 ; mais elle n'était plus que de 1,4% en 2002 et de 2,2% en 2003. En mai 2006, cet indice se situe au même niveau qu'en... février 2004 ! L'autre vague d'accélération des prix, selon les chiffres de l'Insee, concerne les services, de la mi-2000 à fin 2002 ; mais c'est une vaguelette : l'inflation annuelle n'a jamais dépassé 3,5% dans ce secteur.
Et pourtant, les Français ont eu la sensation d'une vive augmentation des prix en 2002---et ils continuent à penser que l'inflation est plus forte que "les chiffres officiels". Les associations de consommateurs ont alimenté cette inquiétude à loisir, et ont partiellement obtenu satisfaction avec la création par Thierry Breton des "prix des caddie-types", première instance de la "codéfinition populaire" des indices prônée par Mme Royal. Il est déprimant de voir que le consensus politique s'établit sur la base d'une volonté commune de casser les thermomètres...
Ecartons d'emblée le soupçon que les statisticiens de l'Insee sont la tête de pont d'un complot (anglosaxon ?) visant à cacher au peuple français que l'inflation fait rage : cette idée ne tient pas. Lorsque les associations de consommateurs ont voulu "démontrer" que l'inflation "réelle" était plus rapide que celle mesurée par l'Insee, elles n'ont pas affirmé que, par exemple, le prix des "vins, cidres et champagne" (poste 0212) aurait plus augmenté que l'Insee ne le disait ; elles ont changé la définition des postes de l'indice. Ceci appelle quelques explications. Comment fabrique-t-on un indice des prix ? La méthode est la même dans tous les pays, et pour tous les regroupements de produits :
- on utilise des enquêtes sur la consommation des ménages pour mesurer la part des dépenses qui est consacrée en moyenne à chaque produit ;
- on calcule une moyenne de l'augmentation des prix de ces produits, pondérée par ces "coefficients budgétaires".
Il y a quantité de variantes pour chacune de ces étapes. Celle qui est appliquée par l'Insee révise les coefficients budgétaires une fois par an ; les américains révisent ces pondérations plus rarement, ce qui a donné lieu à de vives critiques de leur indice. En tout état de cause, le débat ne se centre pas sur ces points techniques, mais plutôt sur la composition de l'indice d'une part, et sur les variations supposées de l'inflation selon les catégories sociales d'autre part.
Depuis plusieurs années déjà, l'indice de prix qui sert de référence légale exclut le tabac. L'Insee avait résisté à cette réforme, et continue de publier également un indice qui inclut le tabac. Il y a à cela de bonnes raisons. Si on exclut le tabac parce qu'il est mauvais pour la santé, pourquoi pas les alcools, les nourritures grasses, les jeux vidéos qui abrutissent notre belle jeunesse ? Heureusement, on n'est pas allé plus loin dans cette voie. Mais l'indice des prix de la grande distribution, comme les prix des caddie-types, avancent sur une voie parallèle. L'indice de la prix de la grande distribution, par exemple, semble une idée raisonnable : outre les possibilités qu'il offre pour peser sur la politique de prix des grandes chaînes, ce qui n'est pas mon sujet, n'importe quel Français vous dira que ses achats en supermarché constituent une part très importante de son budget....et il aura tort : le ménage français moyen n'effectue que 17% de ses achats dans la grande distribution. Un moment de réflexion suffit pour comprendre pourquoi : on achète surtout des produits alimentaires dans ces magasins, et l'alimentation ne représente que 15% des achats des Français.
L'examen des pondérations détaillées de l'indice des prix est ainsi un exercice utile. Il recèle quelques surprises ; combien de personnes, par exemple, pensent que l'indice de l'Insee doit être faux au vu de l'augmentation des loyers ? L'argument sous-jacent est on ne peut plus simple :
- les loyers augmentent de 30% par an depuis quelques années ;
- les ménages consacrent fréquemment un tiers de leur budget au paiement du loyer ;
- ergo voilà déjà une contribution de 30/3=10% à l'inflation !
Or que nous dit l'Insee ? Les deux prémisses de ce raisonnement sont fausses : l'indice des loyers n'augmente que de 3 à 4% par an actuellement, et, surtout, la pondération des loyers (poste 041) ne serait que de 6% ! Le syllogisme est juste, mais il ne conduit apparemment qu'à une contribution à l'inflation inférieure à 0,3%... Comment cela est-il possible ? Prenons l'augmentation annuelle des loyers, tout d'abord. Comme chaque propriétaire-bailleur le sait, elle est strictement encadrée pour les locataires déjà en place. Seule une fraction des augmentations est libre ; et si le centre de Paris est devenu beaucoup plus cher, ce n'est pas le cas de la plupart des locations en France. Certes, chacun connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un dont le loyer a beaucoup augmenté lors du renouvellement du bail ; mais les associations de locataires elles-même ne semblent pas contester que l'augmentation des loyers, si elle est plus rapide que l'inflation, ne dépasse pas 5%. Quid du poids des loyers dans le budget ? 6%, cela paraît faible ; mais la moitié des ménages français sont propriétaires de leur logement, et beaucoup de locataires vivent, là encore, dans des zones où les loyers sont beaucoup plus faibles qu'à Paris.
La note du CNIS renvoie à un autre point crucial. La perception par les Français du "coût de la vie" semble se focaliser sur "ce qui reste après avoir payé les dépenses obligées", et qui permet de s'acheter le superflu. Ce concept de "dépenses obligées" peut comprendre le loyer, l'électricité, l'eau, l'essence, etc. est bien sûr élastique. On pourrait parfaitement définir un sous-indice qui exclurait cette catégorie de dépenses ; mais comment se mettre d'accord sur une définition au périmètre aussi élastique ? Chaque ménage aura ses propres idées sur la question ; et Ken Arrow nous a appris dès 1951 qu'aucune procédure pleinement satisfaisante ne peut faire émerger un indice de ces idées si plus de deux possibilités sont ouvertes---ce qui est une très nette sous-estimation en l'occurrence. Le prix des caddie-types de M. Breton en offre un exemple piquant : on n'en parle plus guère, pour la bonne raison qu'il n'inclut pas l'essence, dont le prix est devenu depuis un souci majeur ! Il est bien préférable de s'en tenir à une méthodologie éprouvée, abondamment documentée par l'Insee sur son site, et contrôlée régulièrement par le CNIS.
Enfin, même les Français qui acceptent l'évaluation de l'inflation de l'Insee semblent considérer que "leurs prix à eux" augmentent plus vite. C'est un argument parfaitement admissible. L'Insee publie d'ailleurs régulièrement des "indices de prix catégoriels", ainsi dans France Portrait Social. La dernière publication (pages 48-49) montre, comme les précédentes, que des différences existent, mais qu'elles ne sont pas majeures. Les Français consomment par exemple d'autant plus de soins qu'ils sont plus âgés, paient d'autant plus de loyers qu'ils sont plus jeunes, et fument d'autant plus qu'ils sont moins riches. Ce dernier exemple est intéressant : les prix du tabac ont en effet doublé depuis dix ans, et les 10% de ménages Français les moins riches consacrent deux fois plus de leur budget au tabac que les 10% les plus riches. Au total, cet "effet tabac", cumulé sur dix ans, crée une différence de 3% au détriment des moins riches. Ce n'est pas négligeable ; mais c'est de loin l'effet le plus spectaculaire que l'Insee identifie. On peut bien sûr envisager de pousser l'exercice plus loin et créer par exemple un indice de la consommation des couples cadres moyens de l'industrie textile qui vivent en Meurthe et Moselle et ont deux enfants en bas âge, etc. Il y aurait sans doute de grandes différences entre ces indices, parce que les situations individuelles sont effectivement très héterogènes ; mais si l'on s'en tient aux grandes catégories habituelles (ouvriers, employés, jeunes, vieux...), ces différences sont assez mineures.
On aurait pu espérer que compte tenu de tous ces éléments, la classe politique se livre à un patient travail d'explication. La tâche n'était après tout pas surhumaine ; mais le parti qui a été pris est l'exact contraire. Après ces cinq ans, il semble malheureusement que beaucoup de Français, encouragés en cela par les politiques, aient largement perdu confiance en la statistique publique. C'est plus grave qu'il n'y paraît : la qualité d'une politique économique joue un rôle central dans les joutes électorales, et comment l'évaluer s'il n'existe plus de chiffres unanimement respectés ? Il est plus que temps que les candidats-présidents, déclarés ou non, arrêtent leurs jeux démagogiques en ce domaine.
"la qualité d'une politique économique joue un rôle central dans les joutes électorales, et comment l'évaluer s'il n'existe plus de chiffres unanimement respectés ? "
Comment imaginez-vous que puissent être respectés des chiffres qui prétendent que les locataires célibataires fumeurs chômeurs sont comparables aux propriétaires chefs de famille cadres administratifs en province ? Les chiffres de l'INSEE sont tout aussi ridicule de par leur prétention selon laquelle il existerait une norme nationale qu'à leur remarquable défaut qui consiste à superbement ignorer l'interpénétration des économies de la zone euro.
Le marin shaddock le disait déjà en son temps : "pour faire le moins de mécontents possibles, il faut toujours taper sur les mêmes." : les précaires avaient jusqu'alors l'immense mérite de peu voter : mais puisque l'un des enseignements du référendum du 29 avril est qu'ils restent capables de se mobiliser à l'occasion de trop grandes vagues de révolte, il s'agit désormais de les apaiser à n'importe quel prix.
Rédigé par : Golfeur | 29 juin 2006 à 15:47
Il y a tout de même un problème. Le seul événement pouvant justifier l'explication psychologique est l'introduction de l'euro. Et en effet, le graphique accompagnant la note du Cnis montre clairement une inversion de l'évolution de la perception subjective de la situation financière des ménages au début de l'année 2002. Mais comment expliquer la persistance de cet effet sur plus de quatre ans? Pire : si on accepte l'idée d'une certaine persistance de cet effet, comment expliquer le retournement ponctuel de 2004, suivi d'une nouvelle baisse de ce solde d'opinion? L'effet euro aurait momentanément disparu, pour réapparaître ensuite? Voilà qui est assez peu crédible.
Vous rappelez très justement, à propos de la définition des "dépenses obligées" (question en effet cruciale), "qu'aucune procédure pleinement satisfaisante ne peut faire émerger un indice de ces idées si plus de deux possibilités sont ouvertes". Et vous en concluez qu'il est "bien préférable de s'en tenir à une méthodologie éprouvée, abondamment documentée par l'Insee sur son site, et contrôlée régulièrement par le CNIS." Cette conclusion là me semble un peu rapide. Ce n'est pas parce que les instruments des économistes sont impuissants à saisir un phénomène qu'il n'existe pas, et le caractère douteux l'hypothèse psychologique semble bien signaler qu'il y a bien un phénomène réél. Il s'agit alors de poursuivre la réflexion sur les instruments et non de nier la maladie au motif que le thermomètre n'est pas au point (A titre de parenthèse épistémologique, plus j'avance dans ma jeune carrière, moins j'ai tendance à rejeter a priori les connaissances empiriques communes, qui m'amènent souvent à remettre en question la pertinence de mes méthodes de mesure).
Il est possible que la solution du problème réside dans le fait que se sont les plus modestes qui sont les plus touchés par l'évolution des prix de l'immobilier, de l'énergie, du tabac et de l'alimentation. Certes, ces évolutions ne sont peut-être pas considérables, elles ne se chiffrent peut-être qu'en dizaine d'euros. Mais rien que ça, c'est énorme pour un smicard. Les "différences assez mineures" que vous constatez entre les grandes catégories sociales ne sont peut-être mineures qu'à vos yeux.
D'autant que ces "différences mineures" ne le sont pas toujours, objectivement. Si l'on reprend votre exemple du loyer, l'INSEE indique une pondération de 6% en moyenne du loyer des ménage, mais cette pondération peut être sans peine, en effet, de 30% pour les plus modestes (quand elle n'est pas de 50%). La contribution à l'inflation est alors déjà de 1,5%. Pour eux, c'est peut-être beaucoup.
Bien cordialement,
EL
Rédigé par : EL | 29 juin 2006 à 17:36
Je n'ai pas trouvé les relevés périodiques de prix et autres informations qui servent à l'INSEE pour calculer les indices, sont-ils disponibles ?
Plutot que de jouer au gentils économistes vs les méchant politiciens, cela me semblerait une solution simple : on compte sur le sérieux des fonctionnaires de l'INSEE sur la donnée brute, et on laisse le marché librement produire ces indices agrégés, la concurrence fera le reste.
Non ?
En facilitant la transparence cela aussi permettrai aux participants du marché du travail d'avoir plus d'information de qualité sur les différences géographiques et donc d'être plus efficace et augmenter la croissance.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 29 juin 2006 à 17:48
N. Sarkozy n'est pas en reste sur Ségolène : "Dire la vérité aux Français, c'est reconnaître que l'introduction de l'Euro a brouillé les repères monétaires et qu'il s’est bel et bien accompagné d’une forte hausse du coût de la vie et d’une chute du pouvoir d’achat. Cela ne s’est peut être pas vu dans les statistiques de la Banque Centrale mais cela s’est senti dans les porte-monnaie de tous les Français. Je suis un homme politique qui veut parler de la vie réelle des français pas de la vie virtuelle." (22 juin Agen)
Au passage il devrait expliquer comment la consommation des ménages peut continuer à croître avec un pouvoir d'achat qui baisse (on peut rétorquer que les chiffres de la consommation sont EGALEMENT truqués mais on tombe là dans une dangereuse paranoïa). Sur le fond il est extrêmement difficile même pour un particulier de connaître ses PROPRES PONDERATIONS sauf à s'astreindre à des relévés fastidieux. De plus chacun est plus sensible aux hausses de prix qu'aux baisses (considérables pour certains biens manufacturés : habillement audio-visuel ordinateurs...).
Rédigé par : Hadjian | 29 juin 2006 à 19:39
Quotidiennement, ce qui a tendance à foutre le moral en l'air, c'est le prix du pain, du café noir au bar d'en bas, du ticket de bus/métro/RER et du prix de l'essence... qu'en est-il de la variation de leur prix ? De plus, tout irait bien si on avait l'impression que les salaires suivent (en l'occurence, les bas salaires, ceux qui ont le moins de marge de manoeuvre), est-ce le cas ? (je me fais l'avocat du diable, mais suis curieux de connaître les données statistiques à ce sujet)
ps : si les stats sur le pain sont réalisées sur le prix de la baguette "de base", il serait bon de revoir le critère... c'est le genre de produit aujourd'hui qui pousse à prendre un pain plus cher... mais nettement meilleur (et encore...)
ps2 : typiquement, je me souviens d'avoir payé moins d'1FRF pour une baguette qd j'avais 10 ans (il y a 20 ans)... aujourd'hui, c'est au minimum 1 euros... Pourtant, je n'ai pas remarqué que les salaires aient été multiplié par 6,55957... où est l'erreur ?
Rédigé par : steph | 30 juin 2006 à 03:48
mais bien sûr que l'inflation est sous-évaluée! le panier de produit utilisé n'est pas en phase avec la consommation des ménage. (ex: le shampoing 2 en 1 est en train de remplacer le shampoing simple).
Rédigé par : Cyril | 30 juin 2006 à 06:56
Merci Bernard pour ce billet très éclairant,… et pour les liens internet. Je suis surpris que l’effet « logement » joue si peu. Je me permets à ce titre de poser deux questions.
1) Les loyers ne « pèsent » que 6% dans le budget des ménages. Dans quelle mesure ce résultat dépend du fait que les frais qu’engagent les propriétaires dans l’acquisition de leur logement (remboursements d’emprunts, CEL, …) sont considérés par la comptabilité nationale comme des investissements et non comme des dépenses de consommation ? Ma conjecture est que cette question de convention (les frais des logements des propriétaires doivent-ils être inclus comme de la consommation ou de l’investissement) peut fortement contribuer à expliquer la différence entre ce que mesure rigoureusement l’INSEE sur la base de conventions de comptabilité nationales qui sont partagés par les grands pays (et qui ont à ce titre l’immense mérite d’être comparables dans le temps et au niveau international) et ce que l’opinion publique perçoit. Si de surcroît les locataires sont concentrés dans les tranches de revenus inférieurs, on comprend alors comment il est possible d’avoir simultanément des locataires ayant un coefficient budgétaire « logement » aussi élevé que 30% et un coefficient budgétaire moyen sur l’ensemble de la population de 6%.
2) Dans quelle mesure l’augmentation du coût du logement que tu indiques n’est pas sous-estimée. Je décline ma question en deux.
2a) Est-ce que l’évolution des loyers mesurée par l’INSEE prend également en compte les augmentation de loyer pour un même logement lorsque le locataire change ?
2b) Dans quelle mesure les prix d’achat des logements n’ont pas davantage augmenté que les loyers ?
Etienne LEHMANN
Rédigé par : Etienne LEHMANN | 30 juin 2006 à 08:21
Pour le 2b), il ne faut pas oublier que la baisse des taux d'intérêt fait qu'on peut acheter un logement plus cher avec la même mensualité et la même durée d'emprunt. Prendre l'évolution de la valeur marchande des logements sans prendre en compte l'effet de la baisse des taux d'intérêt conduirait à une surrévaluation de la hausse.
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 30 juin 2006 à 08:46
Certes, certes ...
Le problème est qu'à ma connaissance l'indice INSEE considère que le prix des produits informatiques et télécoms baisse fortement du fait de l'augmentation des capacités de calculs et de mémoire offertes au même prix alors que ces prix ne baissent pas "facialement". Dans ces conditions, le sentiment populaire de haussse des prix est forcément plus important que la hausse INSEE d'autant que ce ne sont pas tous les ménages qui consomment ce type de produits et que leur pondération dans l'indice global a tendance à augmenter.
Serge FEDERBUSCH
Rédigé par : federbusch | 30 juin 2006 à 10:16
"Prendre l'évolution de la valeur marchande des logements sans prendre en compte l'effet de la baisse des taux d'intérêt conduirait à une surrévaluation de la hausse."
Quelles sont les règles applicables en comptabilité analytique normée telle qu'appliquée par les grandes entreprises cotées, par exemple, aux USA ?
Rédigé par : Golfeur | 30 juin 2006 à 10:51
Plusieurs réponses :
* l'Insee ne "prétend" pas, à ma connaissance, que les prix augmentent de la même façon pour tous les ménages... il dit, en revanche, que si on classe les ménages en grandes catégories, les différences sont (relativement, j'accepte volontiers l'amendement) peu importantes. Mais si on raffine plus, les différences seront énormes bien sûr.
* un exemple : l'informatique. L'Insee, comme tous les producteurs d'indices dans le monde, essaie de contrôler pour l'"effet qualité". Si en 2000 un ordinateur a 1 GHz, etc valait 2000 euros et un ordinateur de performances doubles (2 GHz, etc) en valait 5000, alors si pour 2000 euros en 2005 on arrive à acheter le modèle à 2 GHz, l'Insee dira que le prix a baissé de 60% ((5000-2000)/5000). Evidemment, si plus personne ne veut acheter le modèle à 1 GHz en 2000, cela peut paraître un peu formel à certains. Mais que faut-il faire ? Dire que le prix est resté stable ? Le résultat, c'est qu'un "geek" style rue Mongallet qui consacre la moitié de son budget à l'informatique voit "son" indice de prix baisser rapidement. Je pense quant à moi que cela capture, imparfaitement sans doute, un phénomène réel. Mais évidemment, si le but de chacun est de faire mieux que son voisin, alors l'indice des prix devient un concept un peu ambigü...
* le cas des loyers est complexe. Voici quelques chiffres. Le paiement du loyer représentait en 2002 (date de la dernière enquête Logement publiée) 20% du revenu des locataires en moyenne (+6% pour les charges, enregistrées sur un autre poste, -4% pour les aides au logement qui ne figurent pas dans l'indice de prix). Un peu plus de 40% des ménages Français louent leur logement ; on arrive à 8% du revenu, soit environ (taux d'épargne de 15%, et il y a les impôts, je simplifie) 9% de la consommation. Mais les locataires sont moins riches que les propriétaires, et donc leur part de la consommation des ménages est plus faible... le chiffre de 6% n'est donc pas absurde. Il est exact que pour, disons, le quart de ménages les moins riches, qui sont plus souvent locataires et consacrent effectivement un tiers de leur revenu au loyer, le chiffre serait plus proche de 20-25%.
* l'Insee ne publie pas les relevés de prix : ce serait une très forte incitation à la manipulation. Si les boulangers savaient où les relevés de référence sont faits, il leur serait facile de maintenir le prix de la baguette très bas et de paraître vertueux...et comme chacun sait,
"It is not from the benevolence of the butcher, the brewer, or the baker, that we expect our dinner, but from their regard to their own interest. We address ourselves, not to their humanity but to their self-love, and never talk to them of our necessities but of their advantages."
(The Wealth of Nations, Book I Chapter II)
Sur ce, je me refuse à me spécialiser dans l'explication de l'indice de prix...et j'encourage chaudement l'Insee à faire un effort dans sa communication avec le grand public sur ce point crucial.
(Etienne, les reponses a 2a et 2b sont oui et oui).
Rédigé par : Bernard Salanie | 30 juin 2006 à 17:38
La contestation de l'IPC n'est pas neuve, et Jean-Paul Piriou rappelait dans son Repères/La Découverte, épuisé mais dans toutes les bibliothèques, comment, voilà un paquet d'années, la CGT s'y prenait pour grossir le trait lors de la publication de son propre calcul, qui visait un but précis : exiger une plus forte hausse des salaires calculés sur la base de l'indice. On pouvait compter sur le pouvoir politique de l'époque pour récuser cette approche.
Ce qui a changé, aujourd'hui, c'est que cette contestation-là est le fait d'une organisation précise, UFC-Que Choisir, qui, dans la concurrence que se livrent en France des organisations consuméristes à la fois plus nombreuses qu'ailleurs en Europe, et se partageant un marché plus étroit, dissimule sa stratégie personnelle sous le masque de la défense de l'intérêt commun, puisque tout le monde consomme, et que, aujourd'hui, les politiques cédent à ses exigences.
Dans Faire l'opinion, Patrick Champagne expliquait comment les journalistes, à l'aide des sondages politiques qu'ils commandent, contestaient la légitimité des élus en présentant les résultats de ces sondages à la fois comme scientifiques, et comme plus actuels que le vote. Que Choisir et d'autres organisations du même type, toutes très bonnes clientes des journaux télévisés, fonctionnent de la même façon, en revendiquant une légitimité que leur donnerait l'opinion publique, entre autres par le biais des sondages, et qui leur permet ce paradoxe de dénoncer comme antidémocratique la position d'élus qui n'iraient pas dans leur sens.
La question de la contestation de l'indice, et de la manière dont les politiques préfèrent sacrifier l'INSEE à la démagogie, et je regretterai toujours de ne pas avoir été une petite souris dans les couloir de l'INSEE pour saisir l'ambiance lors de la création du chariot-type, en somme, est plus sociologique qu'économique.
Rédigé par : Denys | 30 juin 2006 à 17:49
J'en ai vraiment marre que nos politiciens mettent toujours tout sur le dos de l'Union Européenne! Sans déconner, dès que quelque chose ne va pas, on entend "c'est à cause de l'Union Européenne avec leurs directives", "nous on aimerait bien faire ça, mais l'Union Européenne nous lie les mains".
Quand on sort de France, on voit plein de projets où c'est marqué en bien gros : "financé à telle hauteur par l'Union Européenne", il y a les mêmes projets en France mais on ne semble pas le voir.
Rédigé par : IHMN | 30 juin 2006 à 18:43
Pourquoi l'INSEE choisit-elle de ne pas tenir compte de la variation de valeur du patrimoine immobilier des particuliers (au motif ou non de la variabilité du coût de financement de l'acquisition) alors que la règle comptable prévoit une (règle complexe de) prise en compte de cette variation de valeur dans le calcul des bilans financiers des entreprises (alors que cette variabilité du coût de financement de l'acquisition existe également pour les entreprises) ?
Rédigé par : Golfeur | 01 juillet 2006 à 01:17
Golfeur, il ne faut pas tout mélanger...les plus-values, latentes ou réalisées, n'ont rien à voir avec un indice des prix ! La question est celle de leur inclusion ou non dans la définition du "revenu". L'Insee n'a pas grand'chose à voir là-dedans. En théorie, il serait sans doute préférable d'utiliser la définition du "revenu compréhensif" de Haig-Hicks-Simons---ca ne date pas d'hier---qui ajoute les variations de valeur du patrimoine au "revenu disponible", et en retranche la dépréciation de tous les actifs aussi (y compris celle de votre ordinateur et de votre frigidaire...) En pratique, aucun pays au monde ne le fait à ma connaissance, sauf dans des "comptes de patrimoine" qui restent assez expérimentaux.
Rédigé par : Bernard Salanie | 01 juillet 2006 à 07:09
Si l'indice des prix n'a rien à voir avec les "plus values, latentes ou réalisées", quel rapport y-a-t-il entre l'indice des prix et le train de vie des individus, lequel dépend notamment très directement des "plus values latentes ou réalisées" ?
Je ne contredis nullement l'utilité de quelque indice que ce soit à quelque fin scientifique que ce soit : mais puisque vous vous demandiez "Comment peut-on expliquer la divergence entre les perceptions des Français et l'inflation mesurée ?" j'imagine que le fait que "les plus-values, latentes ou réalisées, n'ont rien à voir avec un indice des prix" constitue une explication suffisante d'une part, et aide à comprendre l'intérêt certes politique et non pas économique de construire des indices ne répondant certes à aucune question économique, mais à des questions tout simplement politiques.
Rédigé par : Golfeur | 01 juillet 2006 à 09:05
Pouvoir d'achat=revenus/prix ; l'indice des prix à lui seul ne peut pas rendre compte de l'évolution du pouvoir d'achat. Mais je constate que ce point simple n'est pas bien compris, autre suggestion pour les spécialistes de l'Insee...
Rédigé par : Bernard Salanie | 01 juillet 2006 à 13:59
Denys, c'est l'INSEE qui choisit elle-même le sacrifice en ne publiant pas les données détaillées. Je trouve extraordinaire de mettre ça sur le dos du politique, ils ne font que profiter de l'aveuglement des "experts" qui est la véritable source du problème.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 02 juillet 2006 à 05:19
Laurent Guerby: aux dernières nouvelles, l'INSEE, simple administration, est entièrement subordonnée au politique. Ce qu'elle fait est ce qu'on lui demande de faire, ce qu'elle ne fait pas est ce qu'on omet de lui demander de faire.
Et puisqu'il est impossible au seul constat d'une insuffisance de distinguer le machiavélisme de l'incompétence, c'est l'exécutant qu'on pardonne et le donneur d'ordres qu'on blâme.
Rédigé par : Golfeur | 02 juillet 2006 à 11:39
Golfeur, donc les chiffres de l'INSEE sont faux car décidés par les politiques, CQFD.
Pour information, le CNIS a été crée en 1951... Un bon mot de son président prononcé en mai dernier :
"
La question des rapports entre la statistique et le pouvoir politique ne date pas d’aujourd’hui. Elle est récurrente et encore aujourd’hui, nous sommes en période de tension. Pour l’illustrer, on peut citer un ministre de l’économie et des finances qui, à une période de nationalisations, disait “il faudrait aussi nationaliser l’Insee !”.
"
Bref, s'il n'y a pas publication des données brutes, il y a de très fortes chances que cela vienne des économistes de l'INSEE et pas d'un blocage des politiques (qui il est vrai ne poussent pas non plus a la publication actuellement)
Rédigé par : Laurent GUERBY | 02 juillet 2006 à 14:00
http://www.insee.fr/fr/indicateur/indic_cons/info_ipc.htm
Les statisticiens de l'Insee gardent confidentiels non seulement les relevés, mais également les 1000 variétés de leurs 200 groupes. Tous les statisticiens europeens font de meme, les americains aussi :
http://www.bls.gov/cpi/cpifaq.htm
Il y a d'excellentes raisons a cela ; qu'arrivera-t-il au prix des pains au chocolat (et notamment du pain au chocolat de M. Schmurgl a Redon) le jour ou l'Insee revelera qu'il suit ce prix---pure hypothese ? Il perdra toute credibilite et vous serez les premiers a vous plaindre que l'Insee fait n'importe quoi ! La transparence n'est pas toujours la meilleure strategie, lisez Tom Schelling :-)
Rédigé par : Bernard Salanie | 02 juillet 2006 à 16:51
Laurent Guerby : Je vous remercie de m'offrir l'occasion de répondre une seconde fois à Bernard Salanié.
Le fonctionnement d'une République a normalement plus à voir avec celui d'une firme que celui d'une MJC : cela implique qu'entre entités appartenant statutaires à la République (l'INSEE étant une institution publique) les rapports sont hiérarchiques. Donc, si l'INSEE est en désaccord avec son autorité de tutelle, elle doit se soumettre ou se demettre. L'autorité qui tolèrerait quelque autre comportement que ce soit répond (ou, du moins, engage sa responsabilité) de son inaction à ceux desquels elle tire son autorité. Lorsque cette autorité est l'autorité publique, le fait de laisser partir vers une entité illégitime, fût-elle ou non subordonnée, le pouvoir qu'on a reçu soi-même légitimement est très précisemment ce qu'on nomme la "haute trahison".
Donc si, comme vous le suggérez, l'INSEE est un électron libre, c'est aux autorités politiques qu'il convient de demander des comptes sur cet état de fait, et pas à l'INSEE (ceci ne lui interdisant pas par ailleurs de s'expliquer sur d'éventuels différents avec son autorité de tutelle sans pour autant y être contraint de quelque manière que ce soit).
Rédigé par : Golfeur | 03 juillet 2006 à 03:36
Bernard Salanié, si l'indice des prix calculé dépends de manière majeure du prix du pain au chocolat à Redon, alors il est nécessairement de qualité médiocre.
Sinon Thomas Schelling a écrit beaucoup de choses :). Quels articles sont pertinents ici ?
Golfeur, je suis d'accord que les politiques peuvent forcer la politique de l'INSEE sur les données publiées, mais l'INSEE à déja le pouvoir de le faire.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 03 juillet 2006 à 13:56
Je sais qu'il est mal élevé de mettre en cause les avantages acquis mais il me semble qu'un autre événement s'est produit au début des années 2000 qui pourrait expliquer une perception de perte (ou de moindre hausse) de pouvoir d'achat. Je pense, bien entendu aux 35h.
Comme le précise justement Bernard, Pouvoir d'achat=revenus/prix.
Les 35h ont augmenté les coûts salariaux. Oui, cette augmentation des coûts a été compensée par des subventions au début, mais après 2 ou 3 ans, il n'y a plus de subvention et les augmentations de salaires sont toujours là.
Steph dit "Quotidiennement, ce qui a tendance à foutre le moral en l'air, c'est le prix du pain, du café noir au bar d'en bas, du ticket de bus/métro/RER et du prix de l'essence... qu'en est-il de la variation de leur prix ?" Le prix du pain à la boulangerie et du café au bar dépendent essentiellement du coût de la main d'oeuvre (la farine et la levure coûtent moins de 5% du prix). A la RATP, 50% des charges (et 150% des revenus commerciaux, mais c'est un aurte débat) sont des frais de personnel. Les 35h, en renchérissant les coûts salariaux, sont donc directement responsables de la forte augmentation de 3 des 4 articles mentionnés. Le dernier (l'essence) a aussi fortement augmenté, mais les 35h n'y sont pour rien.
Par ailleurs, les 35h ont entraîné une nette baisse des augmentations de salaires dans les années qui ont suivi leur mise en place. Quand on reçoit 11,4% d'augmentation d'un coup, il ne faut pas s'attendre à garder ses 3% par an dans les années qui suivent.
Résultat des courses, les 35h ont eu un double effet négatif sur le pouvoir d'achat réel et perçu : par pression sur les salaires et par une hausse des prix de biens à forte composante de main d'oeuvre.
L'euro est arrivé à point nommé pour brouiller les pistes et servir de bouc émissaire idéal. Mais si la France est la seule à avoir mis en place les 35h, elle n'est pas la seule à être passée à l'euro. Nos amis Européens ont ils connu le même phénomène d'inflation perçue? Je sais que l'Italie a eu de tels débats, mais j'aurais tendance à mettre ça en grande partie sur le compte de la campagne europhobe de Berlusconi. Les autres?
Rédigé par : Liberal | 05 juillet 2006 à 05:58
"Oui, cette augmentation des coûts a été compensée par des subventions au début, mais après 2 ou 3 ans, il n'y a plus de subvention et les augmentations de salaires sont toujours là."
Au contraire. Les exonérations de cotisations sociales ont même été généralisées à toutes les entreprises (qu'elles soient ou non passées aux 35 heures) par la loi Fillon du 17 janvier 2003.
"Nos amis Européens ont ils connu le même phénomène d'inflation perçue?"
Un mot : teuro. Et une référence parmi beaucoup d'autres sur le sujet :
"Two out of three eurozone consumers felt they were ripped off by
retailers during the changeover to pricing in euros, according to the
European Commission…. Germany, France and Netherlands were the
countries with the highest percentage of people feeling cheated…"
(Financial Times, 01.03.02)"
http://freeweb.supereva.com/francesco-lippi.dadacasa/pdf/atmcash_feb05.pdf
Les 35 heures ont (comme toujours) bon dos.
Rédigé par : Emmanuel | 05 juillet 2006 à 12:59