Entre le moment où les économistes ont "découvert" un nouveau sujet avec le développment (disons 1940) et la fin des années 60, on a vu éclore de nombreuses Grandes Idées Holistes: le "Big Push", les "linkages", sans parler des avatars post-marxistes, et plus récemment le consensus de Washington. Aujourd'hui les économistes sont plus modestes en ce domaine ; la nouvelle Grande Idée, "get institutions right", est parfaitement juste, mais elle ne peut pas vraiment être décrite comme holiste---et malheureusement, elle a donné jusqu'à présent bien peu de prescriptions vraiment utiles. ("Ce serait bien si les gouvernements du Tiers Monde étaient moins corrompus" n'est pas une prescription, c'est un voeu pieux---et arrêter de leur prêter parce qu'ils sont corrompus n'est pas dissuasif, parce que pas vraiment crédible).
Ceci dit, il est fascinant de voir les efforts que les gouvernements font pour détruire leur économie. Prenons la Russie (pas vraiment le Tiers Monde, mais plus le Second et pas encore le Premier) : selon cet article d'Anders Aslund, la stratégie de Poutine consiste à observer les entreprises privées croître et prospérer, puis à les ajouter à son empire étatique dès qu'elles deviennent des proies suffisamment juteuses---quitte à envoyer un Khodorkovsky en Sibérie, comme au bon vieux temps (du tsar plutôt que de Staline, heureusement). Comme le rôle essentiel du secteur public en Russie est de fournir des rentes de situation aux protégés du pouvoir et de rendre la vie difficile à ceux qui lui déplaisent, on voit bien la logique paranoïaque qui préside à tout ceci. Reste à savoir à quel moment ce système parviendra finalement à détruire toute volonté d'entreprendre chez les Russes. Mais Poutine raisonne probablement comme Louis XV : "Tout ceci durera bien aussi longtemps que moi".
Qui pourrait ici citer *un* leader politique qui raisonne à une échéance supérieure à sa propre survie politique ?
(et qui ne soit pas considéré comme un terroriste aux USA ou un sociopathe, s'entend)
Rédigé par : Golfeur | 07 juin 2006 à 10:33
Vos titres universitaires vous donnent évidemment raison, mais la
> vérité scientifique que vous décrivez est bien éloignée d'une
> réalité que je fréquente quotidiennement depuis plus de 20 ans.
> Je suis en effet l'heureux propriétaire de 20 logements (du
> studio au F3) et de 3 commerces situés à paris (10e), à rouen
> (centre historique et périphérie) et à dieppe (plein centre et
> port de plaisance), tous loués sur cette période.
> Le contact direct - je pourrais dire parfois le "frottement" -
> avec des dizaines de locataires, avec les organismes de
> financement, d'aides de toutes sortes, avec les autorités de
> police, de justice et préfectorales m'autorise à vous présenter
> un tableau vécu sensiblement différent de ce que vous laissez
> entendre, que ce soit sur la proportion du loyer dans le budget
> de nombreux ménages populaires, et sur les augmentations réelles
> de loyers depuis 5 ans en particulier. Ce "sentiment" se mesure
> évidemment aussi à la stagnation des revenus de la plupart des
> salariés qui se retrouvent souvent dans une précarité difficile à
> gérer sur le plan financier.
> Par ailleurs, mes très nombreuses conversations avec des artisans
> et des commerçants dans les services attestent que beaucoup ont
> arrondi les prix vers le haut : si cela ne joue pas sur des
> dépenses énormes, ce sont des dépenses fréquentes, voire
> quotidiennes, et l'effet psychologique a été catastrophique dans
> l'opinion, que ce soit en france ou en allemagne, pays que je
> fréquente assiduement depuis plus de 40 ans.
> Non, ce n'est pas du poujadisme que de mettre ce problème en
> avant. Rapprocher Poujade et S.Royal est simplement scandaleux
> intellectuellement...
>
Rédigé par : deladerriere | 02 juillet 2006 à 11:02
Je vais être en désaccord courtois: d'une part le modèle économique russe, dès avant 14, a toujours été très proche d'une économie de guerre dans laquelle la même classe sociale contrôle les industries et les institutions publiques. Ensuite, la plupart des entreprises concernées sont issues de privatisations "entre amis". Le plus souvent, c'est le directeur d'usine qui est devenu propriétaire de la société. Dans le cas d'un Khodorkovsky par exemple, j'avoue quelque difficulté à me le représenter dans la peau d'un "entrepreneur". Je ne suis pas à jour sur l'économie russe, mais il me semble pour l'heure que la construction du marché se fait principalement "par en bas", et que les grandes entreprises issues de l'URSS font l'objet d'une lutte entre réseaux politiques, avec en l'occcurence un arrière-plan géostratégique.
Rédigé par : Tonio | 03 juillet 2006 à 12:00