J'ai fini par trouver le temps de lire le texte entier de Richard Baldwin, "Trail to Failure", dont j'avais recommandé l'extrait posté sur Telos-EU. Il y décrit de manière captivante la manière dont, de désaccord insoluble en bonne intentions creuses en guet-apens du petit matin, les gouvernements des 15 ont fini par se défausser accidentellement de la tâche essentielle d'adapter les institutions européennes à l'élargissement (qu'ils s'étaient assignée... en 1994 !)
Les hommes politiques français n'ont pas le beau rôle dans cette histoire, et je soupçonne que ce n'est pas faux : le guet-apens du matin, c'est Chirac qui sort de sa poche une proposition essentiellement obfuscatoire à Nice à 4 h du matin, dans le but essentiel de préserver une égalité franco-allemande parfaitement chimérique. Résultat brillant : un an après, le Conseil déclare qu'il faut dépasser Nice citer et fortiter. Comme on a déjà mis au rancart la règle qu'on s'était imposé (la réforme institutionnelle comme préalable à l'élargissement), on est un peu gêné et on prend la décision fatidique de convoquer une Convention. Deuxième erreur majeure, on .laisse Giscard en prendre la présidence... il s'empare rapidement d'un paragraphe négligé de la convocation où le mot "constitution" apparaît de manière tangentielle, et hop, le point de non-retour est franchi.
Ce n'est qu'un très bref résumé : je vous conseille vivement de lire ce texte, afin de voir comment dix ans d'errements peuvent aboutir à un dévoiement aussi complet des intentions initiales.
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Sauf erreur de ma part, le premier enterrement de la construction européenne a été le refus de la commission européenne de donner suite au projet de constitution européenne du parlement européen élaboré dès 1984 par le "groupe du crocodile", bien avant l'effondrement du mur.
http://europefederalepolycentrique.chez-alice.fr/spinelli.html
Choisir la voie qui mena à Maastricht était déjà un renoncement : l'élargissement ne fût ici qu'un coupable commode à blâmer pour masquer le manque de volonté du tandem franco-allemand de l'époque.
Rédigé par : Golfeur | 29 mai 2006 à 15:00
Judicieuse référence qui pose le problème des élites, mais aussi celui de la transparence des débats: à force de régler les problèmes européens dans des discussions à huis clos, on en arrive forcément à ce genre d'absurdités. N'est pas Jean Monnet qui veut!
@Golfeur: ne pas faire de constitution est-il forcément un renoncement? N'est-ce pas avoir la sagesse de reconnaître que nous n'avons pas au moment actuel l'intelligence collective nécessaire?
Rédigé par : Igor | 30 mai 2006 à 09:09
Igor: Mon propos était surtout de souligner que c'était bien avant 1994 que "les gouvernements des 15 ont fini par se défausser", et ce, tout à fait consciemment "de la tâche d'adapter les institutions européennes..." et ce, à une époque où la question même de l'élargissement ne se posait même pas (qui imaginait la chute du communisme en 1984 ?).
Car après tout, en 1984, un traité fondateur (comme celui de Spinelli, p.e.) ne cherchait pas d'autre légitimité que celle d'une majorité d'états membres représentant 2/3 de la population : si la construction européenne n'avait pas depuis, par exemple, à l'occasion de Maastricht, sensiblement durci les critères pour un accord, y compris de bien moindre portée (comme par exemple un accord se limitant à la définition d'exceptions de taux de TVA !) et donc sensiblement regressé, l'élargissement n'aurait pas, en soi, été un problème.
Car aurait-il été si difficile à 27, 29 ou même 112 d'obtenir, comme cela était envisagé en 1984, des majorités à 50% des états représentant 2/3 des populations ? Mais, bien entendu, le risque de marginalisation de grandes nations "historiquement" européennes aurait été rapidement réel.
Un peu de biblio :
http://64.233.183.104/search?q=cache:MgE4gYOUOWoJ:www.eurofederalism.com/intfr.html+spinelli+delors&hl=fr&gl=fr&ct=clnk&cd=5
http://www.ena.lu/europe/union-europeenne/jacques-delors-union-europeenne-2001.htm
Rédigé par : Golfeur | 30 mai 2006 à 11:27
obfuscatoire ?
pas dans Larousse ni Robert ni TLF
Rédigé par : jean-claude philippon | 31 mai 2006 à 05:03
JCP : c'est du bon latin... ou de l'italien, fusco=obscur. Obfusquer=obscurcir, au risque d'offusquer.
Rédigé par : Bernard Salanie | 31 mai 2006 à 05:37