Comme mon camarade Chiappori a lancé un débat sur le salaire des profs sur Débat 2007, j'apporte mon eau au moulin en donnant les chiffres suivants, extraits d'une enquête de l'American Association of University Professors (Columbia n'a pas répondu, ouf...). Px représente le pourcentile x : P10 est le salaire au-dessous duquel se situent 10% des individus, P95 celui au-dessus duquel on trouve 5% des individus. Il s'agit du salaire de base (9 mois de l'année) ; de nombreux profs obtiennent un "summer stipend", par un grant par exemple, qui rajoute deux mois. Comme 1 dollar vaut 0,8 euros, je multiplie par 10/9*0.8/12 pour avoir un salaire en euros par mois, et j'enlève 45% en prélèvements sociaux et fiscaux pour avoir ce que nous appellerions en France un salaire net. Les universitaires ont généralement de très bons benefit packages, si bien que je n'applique pas de facteur rendant compte de la supériorité moyenne de la Sécu---vous pouvez appliquer celui que vous voudrez, ceci est à la louche. Je ne tiens pas compte non plus du fait que le logement dans certaines grandes villes américaines est cher ; Paris n'est pas donné non plus, et les universités américaines subventionnent souvent le logement.
Tout ceci est bien sûr à la louche, mais en voici le résultat :
Professors :
P20 : 88 000 dollars, soit 3 600 euros par mois
P40 : 95 000 dollars, soit 3 900 euros par mois
P60 : 106 000 dollars, soit 4 300 euros par mois
P80 : 117 000 dollars, soit 4 800 euros par mois
P95 : 141 000 dollars, soit 5 700 euros par mois.
Assistant professors :
P20 : 55 000 dollars, soit 2 200 euros par mois
P40 : 60 000 dollars, soit 2 400 euros par mois
P60 : 64 000 dollars, soit 2 600 euros par mois
P80 : 70 000 dollars, soit 2 900 euros par mois
P95 : 79 000 dollars, soit 3 200 euros par mois.
Ces chiffres valent pour la moyenne de tous les établissements qui délivrent des doctorats, toutes matières confondues. Certaines matières (l'économie...) paient beaucoup mieux : on voit régulièrement de jeunes docteurs engagés par des business schools pour des salaires deux fois plus élevés que ceux qui figurent ci-dessus---les départements d'économie sont un peu moins riches. Et les salaires des profs laissent souvent P95 loin derrière.
En revanche, il ne faut pas oublier que de nombreux docteurs travaillent dans des "baccalaureate institutions", où 1) les salaires sont plus bas (de 25% environ : l'assistant professor médian y gagne à peu près 45 000 dollars, soit (* correction *) 1 600 euros par mois) 2) la charge d'enseignement est plus lourde 3) l'environnement de recherche est peu porteur. Il me semble que ces chiffres confirment dans ses grandes lignes le diagnostic de Chiappori : c'est surtout au niveau des "stars" que la différence se fait sentir.
Vos chiffres m'amènent à deux questions :
- Les enseignants étant particulièrement attentifs à la qualité du capital intellectuel de leurs enfants, ces rémunérations qui n'ont rien d'astronomique leur permettent-elles d'envoyer leurs enfants dans les meilleurs établissements universitaires? et dans quelles conditions (endettement, bourse…). Je me souviens de Paul Davidson (le post keynésien) m'expliquant qu'il avait dû lourdement s'endetter pour envoyer ses deux enfants dans une bonne université.
- comment expliquer qu'avec des salaires pareils tant d'économistes écrivent des papiers qui justifient les salaires extravagants des dirigeants des grandes entreprises? Est-ce une forme particulière d'altruisme? De l'abnégation? ou plus simplement un attachement impeccable à la rigueur scientifique (si, du moins, celle-ci justifie les salaires de certains dirigeants)?
Rédigé par : Bernard Girard | 27 avril 2006 à 03:08
Allocation de recherche : 900 euros, les 2 premieres années, puis 1000 euros la 3eme, chomage: 800 euros pour la 4ème année.
Rédigé par : S.T | 27 avril 2006 à 04:37
Conséquence banale de l'égalitarisme français.
On traite identiquement les bons et les mauvais, les travailleurs et les tire-au-flanc... La progression est exclusivement à l'ancienneté, avec garantie d'emploi à vie... On n'ose même plus imaginer comment essayer de mesurer l'efficacité ou la performance des individus...
Résultat, on crée un milieu globalement favorable aux gens installés et aux mauvais et globalement hostile aux nouveaux entrants et aux bons. Comme ces derniers sont appréciés à l'extérieur, ils quittent le système alors que les autres restent.
Ce qui est intéressant, c'est de comparer la fac aux grandes écoles. A ma connaissance, ces dernières ont une gestion des RH assez similaires aux universités du reste du monde et semblent capables d'attirer et de garder des "stars". Par exemple, certain économiste français renommé enseigne à Columbia ET à l'X; a enseigné à Stanford ET à l'ENSAE...
:)
Rédigé par : Liberal | 27 avril 2006 à 05:16
Le fait que les stars viennent dans les grandes écoles ne tiendrait-il pas plus aux prestige de celles-ci qu'a une politique de RH de toute manière solidement encadrée par le statut des fonctionnaires, au moins pour celles qui ont un statut universitaire, et qui ne peuvent donc pas vraiment proposer de salaires mirobolants?
Rédigé par : Linca | 27 avril 2006 à 06:15
* BG : le "deal" typique de X University donne une très forte réduction (voire la gratuité) du coût des études de partenaire et enfants s'ils vont à X (à supposer qu'ils y soient admis), et souvent une subvention plus faible s'ils vont à Y. Sur les salaires des dirigeants, nombre de mes collègues pensent qu'il s'agit en partie de "corporate theft"...et qu'en tout cas, le principe de "pay for performance" a dérivé vers 1) "pay for luck" 2.) l'asymétrie : les incitations jouent surtout à la hausse.
* les grandes écoles francaises (non universitaires) ont un peu plus de liberté que les universités pour négocier les salaires, mais pas tellement ; et ceux-ci ne sont pas mirobolants, croyez-moi.
Rédigé par : Bernard Salanie | 27 avril 2006 à 08:52
Est-ce que la comparaison avec les pays européens ne serait pas au moins aussi pertinente que la toujours complexe comparaison américaine (parce que retraites, Sécu, mutuelle, coûts des études etc.) ?
Rédigé par : cardamome | 27 avril 2006 à 15:44
Certains pays européens ont une politique salariale nettement plus flexible (Royaume-Uni) et/ou plus généreuse (Allemagne). D'autres pratiquent le modèle francais en pire (comme l'Italie---il y a une véritable diaspora des meilleurs économistes italiens dans toutes les grandes universités internationales).
Rédigé par : Bernard Salanie | 29 avril 2006 à 23:01
Maître de conf débutant : 1990 BRUT (environ 1500 net).
Rédigé par : EL | 30 avril 2006 à 05:53
Je ne vois pas de facteur correctif pour la notion de "pouvoir d'achat" entre les 2 familles de salaires ? Est-ce un oubli ?
Rédigé par : Laurent | 01 mai 2006 à 10:49
* EL : je viens de corriger une bete erreur de calcul. L'assistant prof median d'un college gagne la meme chose peu ou prou qu'un MdC francais. Faut-il comparer le salaire d'un MdC francais au sien ou a celui d'un assistant prof d'une top 10 aux US ? A vous de voir.
* Laurent : le pouvoir d'achat, c'etait trop complique pour moi, notamment parce que 1) le cout de la vie varie du simple au double entre Urbana-Champaign (Illinois) et NYU (le Village) 2) une part importante de cette disparite provient du logement et est amortie par les universites.
Rédigé par : Bernard Salanie | 02 mai 2006 à 10:17
Il serait peut-être intéressant que quelques économistes (français ou souhaitant travailler en France ) se risquent à rédiger une proposition formelle détaillée et éventuellement argumentée de conditions salariales, de travail, etc. qu'ils estimeraient à la fois justes, viables, et acceptables par eux, visant à promouvoir un pacte social entre eux et la société (française..) susceptible de tenir la distance à long terme.
Rédigé par : Flaff | 02 mai 2006 à 15:56
Cher Bernard, Désolé, j'arrive après la bataille sur cette note. Les copains de Toulouse m'avaient pourtant envoyé le papier de Chiappori, mais le temps me manque.Deux commentaires et une propostion.
1° commentaire: tu as raison, la différence aux USA se fait sur les stars, mais les plus bas salaires en France sont vraiment beaucoup plus bas et les plus hauts salaires sont aussi beaucoup plus bas. C'est au milieu de la ditribution que c'est à peu près pareil je crois, du moin ssi on compte tout, comme tu tentes de le faire à la louche. Résultats: à l'entrée peu d'incitations pour des jeunes talents à entrer dans les carrières académiques et encore moins d'incitations à rester ou à rentrer en France pour ceux qui sont devenus de très bons académiques. D'où le résultat: peu de très bons jeunes talents candidats au départ pour une thèse etc.., et difficulté de retenir les meilleurs. Second commentaire: si je ne m'abuse, les personnels universitaires aux USA, toutes catégories confondus, ont un contrat assez clair avec leur institution, qui précise ce qu'ils doivent faire; cela permet donc une évaluation assez facile de leur activité. En France rien de tout cela et le généreux parapluie de la fonction publique protège tout le onde sans véritable évlaution individuelle, les très bons, qui y perdent, et les moins bons, qui y gagnent indument. Ces deux différences expliquent à mon avis une bonne partie de l'inefficacité du système français (avec d'autres facteurs bien entendu!). Une porposition: on pourrait, avec la connaissance des différentes catégories d'académiques exerçant en France, calculer ce qu'il en coûterait pour rendre plus attractives les carrières académiques pour les meilleurs jeunes et peut-être aussi pour mieux garder ou attirer les talents matures. Qui s'y lance?
Bernard
Rédigé par : bernard Belloc | 12 mai 2006 à 19:19
Bernard, merci pour tes commentaires. Mais je ne sais pas si "les plus bas salaires en France sont vraiment beaucoup plus bas". A qui penses-tu ? Si le plus bas salaire est celui d'un MdC débutant, alors, encore une fois, il n'est pas tellement plus bas que celui d'un assistant prof americain moyen, d'après ces chiffres---et la sécurité de l'emploi semble être un argument très convaincant qui n'existe pas ici. Mais peut-être en as-tu d'autres ? Je suis conscient que les miens sont très approximatifs. Sur le "contrat" : en général il spécifie juste salaire + charge d'enseignement (renégociée chaque année, en contenu, pas en volume) + participation/organisation à un séminaire + un comité administratif. Mais les normes d'évaluation ne sont pas énoncées au départ ; ce n'est qu'après la première "early tenure review" que les messages se précisent un peu.
Incidemment, il est très difficile d'attirer des jeunes américains vers la recherche et l'enseignement aussi, surtout dans les sciences dures : les "professions" (droit, médecine, business) conduisent les brillants sujets vers des revenus bien plus élevés. Voir
http://nces.ed.gov/programs/digest/d04/tables/dt04_296.asp
Sur le fond, je suis bien sûr parfaitement d'accord avec ton diagnostic sur les effets très négatifs de l'égalitarisme universitaire francais.
Rédigé par : Bernard Salanie | 14 mai 2006 à 00:26
Deux précisions. Les plus bas salairs,ce ne sont pas ceux des maître de Conf, mais ceux des ATER, qui sont parfois docteurs, contractuels pour un ou deux ans et surtout des innombrables vacataires qui peuplent certaines fiières dans certaines universités. Je crois que là on est très souvent largement en dessous des 1500 euros. Le second point concerne le contrat: en Fance la seule obligation, ad vitam eternam des enseignants chercheurs, c'est de faire 192 de TD ou leur équivalent en heures de cours. Rien, absolument rien sur le reste. Certes une partie des promotions se fait ensuite sur la recherche, ainsi que certaines activités d'enseignement et d'animation collective, mais l'évaluation est souvent très artisanale et très opaque, et les revalorisations qui en résultent sont très marginales dans bien des cas. De toutes façons, cela ne remet jamais en cause la sécurité de l'emploi, et bien entendu il n'y a jamais d'obligations en ce qui concerne le contenu des enseignements et la qualité de celui-ci.
Bernard
Rédigé par : Bernard Belloc | 15 mai 2006 à 18:58