Le bilan de la crise qui s'est nouée autour du CPE me paraît uniformément négatif :
- l'occasion d'une vraie réforme du Code du Travail, bien pensée et bien préparée, a été ratée du fait de la précipitation d'un Premier Ministre trop pressé de "faire un coup" ;
- le projet de CPE n'était même pas soutenu (ou du bout des lèvres) par les partisans habituels de plus de flexibilité : la majorité, le patronat, les économistes---moi comme beaucoup d'autres ;
- la crispation immédiate autour de ce projet a rendu la discussion impossible, si bien que la pédagogie n'a pas eu sa chance ;
- il est probable qu'il faudra plusieurs années avant qu'un gouvernement n'ose rouvrir ce dossier, pourtant important ;
- un pouvoir en perdition a encore perdu en crédibilité.
Sur le plan du débat économique, le Monde a encore cédé à son péché mignon, le recours aux copains trostkystes, en publiant une tribune de Thomas Coutrot et Michel Husson. Je ne connais pas le premier et j'ai eu des échanges assez courtois avec le second ; ils ont le droit d'avoir leur point de vue, mais je continue à être surpris du fait qu'ils semblent avoir table ouverte au Monde Economie. Dans le numéro du 11 avril, ils apostrophent Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo en ces termes :
Les économistes libéraux sont-ils sérieux ?...
Les CNE-CPE peuvent-ils créer des emplois ? Thomas Coutrot et Michel Husson ont adressé au " Monde Economie " un texte contestant l'étude de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo sur l'impact des nouveaux contrats sur le marché du travail. Afin de permettre au lecteur de mieux cerner les termes de cette polémique, nous publions simultanément la réponse des auteurs de cette étude
Une étude récente (Que peut-on attendre des contrats nouvelles embauches et première embauche ?, de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, http:// hussonet.free.fr/cahuc006.pdf) a été largement reprise par la presse, puisqu'elle constitue à ce jour la seule évaluation disponible de l'impact sur l'emploi des nouveaux contrats flexibles - contrat nouvelles embauches (CNE) et contrat première embauche (CPE). Ses conclusions sont précises : " L'introduction d'un contrat de type CNE dans l'ensemble du secteur privé entraînerait une création nette d'environ 70 000 emplois à l'horizon de dix ans. " Les auteurs estiment ce bilan décevant, et recommandent une flexibilisation encore plus radicale du marché du travail : le " contrat unique ", en donnant le droit aux entreprises de licencier sans contraintes moyennant le paiement d'indemnités et d'une modique taxe, permettrait de créer 250 000 emplois.
Intervenant dans un débat brûlant, ces économistes libéraux se drapent du prestige de leurs titres et de l'aura de la science. Or une analyse plus approfondie fait naître de sérieux doutes sur la portée des résultats avancés.
Les auteurs s'appuient sur un " modèle d'appariement en temps continu " qui fournit une représentation très curieuse du marché du travail. Leur modèle ne décrit d'ailleurs pas un marché, puisque les salaires sont supposés fixes, mais une sorte de loterie où se rencontrent aléatoirement les chômeurs et les employeurs. Avant l'embauche, la productivité du candidat est inconnue de l'employeur, mais surtout elle varie aléatoirement une fois le salarié embauché. Les créations et destructions d'emplois s'expliquent par d'incessants " chocs de productivité " qui font qu'un salarié devient brusquement rentable (si sa productivité dépasse son salaire), ou cesse de l'être (si la productivité chute au-dessous du salaire). Face à une telle incertitude, la décision de l'employeur de créer ou de détruire un emploi dépend non pas du coût salarial (puisqu'il est supposé fixe) mais du coût de licenciement. Le seul moyen de favoriser les créations d'emplois est donc de réduire ce coût.
Cette vision du marché du travail nous semble baroque. Certes, il existe une incertitude au moment du recrutement : l'employeur peut se tromper sur l'évolution de son carnet de commandes ou sur la productivité du futur salarié. Mais pourquoi donc la productivité du salarié, une fois recruté, pourrait-elle varier à tout moment entre 0 % et 100 % de façon aléatoire ? C'est pourtant sur cette hypothèse que repose la maquette de MM. Cahuc et Carcillo. L'incertitude sur la productivité du salarié atteint un degré tellement extravagant que rien d'autre - ni le carnet de commandes de l'entreprise, ni le coût du travail, ni la technologie adoptée, ni les exigences des actionnaires - ne saurait expliquer les mouvements de l'emploi.
Cette représentation du marché du travail a été inventée en 1994 par deux économistes anglo-saxons, Dale Mortensen et Christopher Pissarides. Ils cherchaient à modéliser pourquoi on observe chaque année des millions de mouvements sur le marché du travail (en fait, surtout des fins de contrats à durée déterminée et des démissions) même lorsque le niveau global de l'emploi ne varie pas. Leur maquette vise à simuler mathématiquement cette rotation des emplois. Mais elle n'explique rien, sauf à prendre au sérieux les hypothèses étranges sur lesquelles elle repose. Ses rapports avec l'économie réelle sont purement sémantiques : baptiser productivité et salaire les variables x et w est le produit d'une pure convention. Il est tout à fait abusif de l'utiliser pour évaluer une mesure affectant le monde réel.
Non seulement leur modèle n'est pas pertinent, mais en l'occurrence il est faux : MM. Cahuc et Carcillo commettent une erreur cruciale dans le calibrage de leur maquette. Tout l'exercice repose sur une comparaison entre notre monde avec contrat à durée indéterminée (CDI) et un monde avec CNE-CPE qui créerait plus d'emplois parce qu'un licenciement y coûterait moins cher. Les auteurs posent que le coût moyen de licenciement en CDI est égal à un an de salaire, contre huit mois de salaire avec les nouveaux contrats. Or ce calibrage est manifestement erroné dans le cas des CDI de faible ancienneté, qui seuls peuvent être comparés aux CNE-CPE. Comme le disent les auteurs eux-mêmes, " le coût immédiat du licenciement dans le cadre des nouveaux contrats représente 10 % des salaires versés en cas de rupture du contrat, alors qu'en CDI pratiquement rien n'est dû durant les deux premières années (il n'y a pas d'indemnité légale, et les indemnités conventionnelles, lorsqu'elles existent, sont très faibles) ". Or toute la démonstration mathématique repose au contraire sur l'hypothèse qu'il est moins coûteux de licencier un CNE-CPE qu'un CDI...
Par un retournement ironique, MM. Cahuc et Carcillo semblent fournir malgré eux des armes aux anti-CPE. Il ne faut cependant pas s'y tromper : les économistes libéraux reprochent en fait au CPE de ne flexibiliser " qu'à la marge ". Ils préconisent un " contrat unique " pour tous, qui radicaliserait encore la logique de flexibilité. Mais faciliter le licenciement rendra les emplois plus instables, pas plus nombreux. Huit mois après la mise en oeuvre du CNE, réservé aux entreprises de moins de 20 salariés, 350 000 contrats ont été signés mais les statisticiens n'observent aucune hausse particulière de l'emploi dans les petites entreprises. Le CPE et le CNE ne visent pas à créer des emplois mais à les précariser.
THOMAS COUTROT ET MICHEL HUSSON
Fondation Copernic
Thomas Coutrot et Michel Husson sont économistes, membres de la Fondation Copernic et du conseil scientifique d'Attac.
Voici la réponse de Cahuc et Carcillo dans le même numéro :
... Pour que la discussion soit constructive, encore faut-il sortir de l'idéologie
L'article de MM. Coutrot et Husson nous a beaucoup étonnés. Nous avons l'impression qu'ils s'adressent à des économistes " libéraux qui se drapent du prestige de leurs titres et de l'aura de la science " qui portent nos noms, mais qui ne nous ressemblent que très vaguement : ils auraient rédigé une étude " baroque ", " qui n'explique rien ", basée sur un modèle " non pertinent " et " faux ", et recommanderaient, qui plus est, une " flexibilisation encore plus radicale du marché du travail " que ne le ferait l'introduction du CNE et du CPE.
Rappelons que nous avons rédigé une étude qui cherche à répondre à la question : que peut-on attendre de ces nouveaux contrats ? Pour répondre à cette question, nous avons analysé leurs conséquences dans une maquette du marché du travail français qui ne ressemble que très vaguement à ce que nous avons pu comprendre de la description qui en est faite par MM. Coutrot et Husson. Notre étude apporte une réponse simple : on ne peut pas attendre grand-chose de ces nouveaux contrats. Plus exactement, d'après nos estimations, un contrat du type CNE-CPE, s'il était accessible à l'ensemble des entreprises du secteur marchand, créerait environ 70 000 emplois. Le taux de chômage baisserait d'un demi-point au prix d'une légère dégradation du bien-être des demandeurs d'emploi. En effet, notre maquette montre que même si le CNE et le CPE aboutissent dans les premiers mois à un supplément d'embauches, celles-ci auront un impact faible sur l'emploi, non seulement parce qu'il y aura plus de licenciements, les nouveaux contrats étant plus flexibles que les contrats à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI) réunis, mais aussi et surtout parce que les entreprises auront fréquemment intérêt à ne pas faire durer ces contrats au-delà de la période de " consolidation " de deux années. Il s'agira en effet d'éviter pour elles de retomber dans le régime inchangé du CDI, protégé par des procédures très coûteuses à partir de deux ans d'ancienneté. L'argument, souvent avancé, selon lequel les entreprises garderont après deux ans une large majorité de salariés embauchés initialement en CNE ou en CPE, parce qu'elles les auraient testés, ne tient malheureusement pas. Aujourd'hui, ces entreprises peuvent avoir recours au CDD à cette fin (en contournant les cas de recours prévus par la loi), et elles le font déjà largement.
Bien évidemment nos résultats ne sont que des ordres de grandeur approximatifs, qui méritent discussion. Sur ce point, MM. Coutrot et Husson auraient détecté une " erreur cruciale " car nous supposons qu'" il est moins coûteux de licencier un CNE-CPE qu'un CDI ". Mais si tel n'était pas le cas, on ne voit pas pourquoi les personnes embauchées en CNE-CPE pourraient être en situation plus précaire que celles en CDI.
Notre étude montre ainsi que le défaut essentiel du CNE et du CPE est de modifier le droit du licenciement à la marge, en accentuant son inefficacité et son injustice. Inefficacité, car ils découragent les embauches sans éviter une très forte instabilité de l'emploi et le chômage de masse. Injustice, car ce sont les plus jeunes, les moins expérimentés et les moins qualifiés qui ont, plus que dans d'autres pays, le plus de mal à accéder à l'emploi, tournent sur les emplois précaires, et ce sans aucun bénéfice pour la société dans son ensemble. Dans ce contexte, nous proposons de repenser l'ensemble de l'architecture de la protection de l'emploi en la faisant reposer sur deux piliers. Premier pilier : un service public de l'emploi efficace, avec un guichet unique et des opérateurs externes rémunérés en fonction du taux de retour à l'emploi des chômeurs qu'ils prennent en charge. Second pilier : un contrat de travail assurant une protection de l'emploi continue et progressive avec l'ancienneté grâce à des indemnités de licenciement significatives, mais en limitant les obligations de reclassement des entreprises et le contrôle judiciaire et administratif du licenciement économique. Un tel système permet de mutualiser efficacement les coûts des reconversions indispensables à la croissance économique. Il ne s'agit donc pas, comme le dénoncent MM. Coutrot et Husson, d'une " flexibilisation encore plus radicale du marché du travail ", mais bien d'une nouvelle architecture, ni plus ni moins flexible, ni plus ni moins " libérale " ; simplement différente.
En outre, notre étude suggère que ce type de réforme permettrait de réduire significativement le chômage en créant 250 000 emplois en trois ans, tout en améliorant le bien-être des demandeurs d'emploi. Sur ce point aussi, ces résultats ne sont que des ordres de grandeur qui méritent discussion. Néanmoins, pour qu'elle puisse être constructive, il faudrait avant s'émanciper d'une représentation du monde faite de clichés où l'on oppose systématiquement " flexibilité " et " rigidité ", " libéraux " et " interventionnistes " et où le complot " libéral " et " anglo-saxon " surdétermine toute prise de position.
PIERRE CAHUC, STÉPHANE CARCILLO
(université Paris-I)
Pierre Cahuc est chercheur à l'université Paris-I et au Crest ; Stéphane Carcillo est chercheur à l'université Paris-I
La valeur pédagogique de ce genre de débat est quasi-nulle, je le sais trop bien pour en avoir été la cible à l'automne 2000 (comme Bruno Crépon et Rosanne Desplatz un peu plus tard, etc). Je défie quiconque d'apprendre quelque chose d'utile à la lecture de cet échange ; et sans paranoia, je suis parvenu à la conclusion que c'est l'objectif recherché par ceux qui les initient. Après tout, un honnête homme ne peut que conclure en se grattant la tête qu'il n'y a décidément aucun consensus parmi les économistes et que leurs positions sont définis par leurs préférences politiques... ce qui est précisément l'une des thèses des économistes hétérodoxes (cf Marx : "l'économie vulgaire ne fait rien de plus qu'interpréter, systématiser et défendre de manière doctrinaire les conceptions des agents [...] piégés dans des relations de production bourgeoise", ce qui n'arrive pas dans le communisme car la "fausse conscience" a disparu, etc etc) ! Et voilà comment on marque un point, merci le Monde Economie.
Et c'est complètement faux... à droite des trotskystes, qui ne forment tout de même qu'une micropopulation dans cette profession, il me semble que le consensus parmi les économistes est assez large sur ce sujet (et en faveur d'une réforme plus globale plutôt que de la prolifération de contrats spéciaux comme le CNE ou le CPE). Je vous invite à consulter le site Telos-EU, par exemple, ou les textes grand public d'Olivier Blanchard et Jean Tirole (ou mon blog, bien sûr !). Pour finir, je vous signale qu'Etienne Wasmer, professeur à l'université de Montréal, a aussi pris position sur cette controverse ici.
D'où sort la citation de Marx ?
Rédigé par : François/phnk | 10 avril 2006 à 16:48
Peut-être peut-on ici poser une question limpide :
- Une politique de l'emploi nationale a-t-elle simplement un sens ?
- L'approche législative et/ou règlementaire est-elle adaptée ?
- Quels sont les défauts de l'actuelle législation qu'on voudrait ici modifier ?
Plus généralement, est-ce le rôle de l'état de prescrire des règles ou des dispositifs économiques ?
Rédigé par : Flaff | 10 avril 2006 à 16:52
* F/p : Capital, vol III, ici par exemple :
http://www.econlib.org/LIBRARY/YPDBooks/Marx/mrxCpC48.html
* Flaff : "limpide", en effet... un peu trop vaste, peut-etre !
Rédigé par : Bernard Salanie | 10 avril 2006 à 17:29
sans aller jusqu'aux dérives de coutrot et husson, le papier de cahuc et carcillo a bien des failles. ils ont redoublé d'efforts dans tous les médias pour présenter très solennellement les résultats de leur papier et je comprends que ça énerve. en toute objectivité (je sais que ça ne veut pas dire grand chose), leur papier est d'un point de vue théorique très contestable (je doute d'une publication in english mais on verra...). j'ai assisté à la présentation de leur papier (à un séminaire interne de paris 1) et franchement, ça ressemble plus à un exercice de style qu'à une véritable évaluation à bien des égards. Je leur repproche clairement l'utilisation du modèle de mortensen pissarides au seul motif qu'il fait un figure de mainstream chez les economistes du travail. la question du CPE est un problème micro par excellence et vouloir en quantifier les effets macro est très idyllique. à mon sens (je peux me tromper), ils auraient du utiliser un modèle dynamique de demande de travail et en faire une estimation structurelle, les effets d'offre n'étant pas vraiment dominants ici : le choix dynamique et discret d'un type de contrat est ici plus important que les effets sur les salaires de reservation. Mais le hic c que pour faire du structurel, ça prend beaucoup de temps et vraisemblablement cahuc et carcillo en manquaient....
Rédigé par : djmmr | 10 avril 2006 à 18:26
sans aller jusqu'aux dérives de coutrot et husson, le papier de cahuc et carcillo a bien des failles. ils ont redoublé d'efforts dans tous les médias pour présenter très solennellement les résultats de leur papier et je comprends que ça énerve. en toute objectivité (je sais que ça ne veut pas dire grand chose), leur papier est d'un point de vue théorique très contestable (je doute d'une publication in english mais on verra...). j'ai assisté à la présentation de leur papier (à un séminaire interne de paris 1) et franchement, ça ressemble plus à un exercice de style qu'à une véritable évaluation à bien des égards. Je leur repproche clairement l'utilisation du modèle de mortensen pissarides au seul motif qu'il fait un figure de mainstream chez les economistes du travail. la question du CPE est un problème micro par excellence et vouloir en quantifier les effets macro est très idyllique. à mon sens (je peux me tromper), ils auraient du utiliser un modèle dynamique de demande de travail et en faire une estimation structurelle, les effets d'offre n'étant pas vraiment dominants ici : le choix dynamique et discret d'un type de contrat est ici plus important que les effets sur les salaires de reservation. Mais le hic c que pour faire du structurel, ça prend beaucoup de temps et vraisemblablement cahuc et carcillo en manquaient....
Rédigé par : djmmr | 10 avril 2006 à 18:27
D'accord avec djmmr pour dire qu'il existe d'autres methodes theoriques, sans doute plus efficaces mais effectivement plus couteuses en temps, pour evaluer l'effet du CNE en attendant les premieres evaluations econometriques, mais pas d'accord sur deux points. D'abord, dans le contexte francais, les premiers resultats, meme partiels, etaient extremement attendus car la se jouait le sort d'un premier ministre et sans doute de la presidentielle. Une premiere esquisse des resultats, meme imparfaite, etait necessaire. A ce jour c'est la seule etude dont on dispose, ils ont donc eu raison de faire ce premier defrichage. L'autre point, c'est qu'ils ne sont pas alle solonnellement dans les media, ce sont les media qui se sont jetes sur eux, a cause du premier point: la demande d'eclairage. Donc, malgre les reserves scientifiques utiles, attention a ne pas jeter le bebe avec l'eau du bain dans un debat ou sevissent beaucoup de militants...
Rédigé par : Stef | 10 avril 2006 à 18:57
Bonjour,
rebondir sur la controverse est intéressant mais vous cédez aussi à la tentation de la disqualification politique... Dommage!
Car je ne crois pas que Husson et Coutrot soient "trotskystes" (référence à ATTAC?).
En bons keynésiens, ils critiquent une étude qui part du postulat (parfaitement implicite) que seul le chômage dit structurel (celui causé par les rigidités du type règlementaire, en particulier) mérite l'attention... Mais sans jamais démontrer que la proportion de chômage structurel, par rapport au "conjoncturel", est dominante.
Un keynésien en voudra toujours à un économiste orthodoxe de préconiser des solutions de réforme structurelle (donc d'inspiration nécessairement libérale, puisque visant à la dérèglementation) sans situer préalablement son estimation du chômage structurel (toujours délicate, hé oui!).
Le seul "consensus" "assez large" parmi les économistes sur le sujet est que ces rigidités structurelles expliquent, non pas tant une part importante du chômage français, que sa nature très "segmentée" (beaucoup de jeunes, de vieux, d'immigrés exclus du CDI). En ce sens, la réforme préconisée par Cahuc est louable car la segmentation a bien des effets désastreux et non économiques... Cette piste, pour l'avoir vu développée lors d'une conférence par son auteur, n'est en rien une "radicalisation [de la] logique de flexibilité", comme l'assènent sans nuances Husson et Coutrot, car elle avance un contrat unique sans contrôle du juge du licenciement, mais aussi sans licenciement tout court les deux premières années. Un anti-CPE!
Enfin, Cahuc et Carcillo ne répondent pas à la critique théorique majeure qui leur est adressée (un reproche déjà adressé à votre article écrit avec Laroque... avec le même insuccès) : ils modèlisent les effets d'une baisse des couts de licenciement avec un modèle "d'appariement" où le seul facteur du chômage sont les coûts de licenciement. Difficile d'en retirer un raisonnement valide, les effets sont dans les hypothèses! C'est un travail purement quantitativiste où les effets obtenus (10.000, 40.000, 100.000) tiennent tout entier dans le calibrage.
Peut-être qu'il y avait quelquechose à apprendre de ce débat, finalement.
Matthieu
Rédigé par : Matthieu | 10 avril 2006 à 19:17
Au dela de l'accumulation de textes et de contrats (qui sont le seul effet pratique mesurable du CNE et sans doute du CPE), j'ai lu à mainte reprises des expressions du type "CDI ... protégé par des procédures très coûteuses à partir de deux ans d'ancienneté", mais je n'ai jamais vu de mesures statistiques qui corrobore cette affirmation, et en France le marché du travail est très dynamique au niveau création et destructions d'emploi (même niveau que les USAs qui n'offrent pas de CDI à la française), ce qui rends suspect l'affirmation. Avez-vous des références à des papiers sur le sujet ? Ou est-ce un simple "lieu commun" répété sans démarche scientifique ? Quelques papiers glanés au hasard ici :
http://guerby.org/blog/index.php/2006/04/09/52-destruction-et-creation-d-emplois
Un deuxième point, au-dela des attaques personnelles (vraiment de bas niveau), Thomas Coutrot et Michel Husson emettent une critique précise d'une des hypothèses (cout du licenciement comparé), et il me semble que la réponse de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo sur ce point précis est pour le moins légère (dommage de rester dans un registre de bas niveau).
Rédigé par : Laurent GUERBY | 11 avril 2006 à 02:20
Je pense que la presse est fautive, pour n'avoir pas précisé à quelle point les estimations de cette maquette sont imprécises. Les auteurs auraient du le préciser dans leur article initial.
Résistons à l'effet de corps, qui écarte tous les débats en les faisant passer pour une contestation "idéologique" de la "science établie". Le même genre de critiques pouvait d'ailleurs d'appliquer sur le papier de Crépon, peut-etre intéressant pour le modele, mais tres faible en ce qui concerne sa prise en compte du "toutes choses égales par ailleurs".
Cacher un modèle, certes intéressant sur le plan theorique mais tres limité sur le plan de l'explication du réel, derrière un nuage d'équation est une forme de sophisme. L'annoncer par voie de presse - tres mal armée pour avoir un jugement sérieux - plutot que par le canal normal des discussions par les pairs n'est pas sérieux. Et, OUI, ce papier est très faible en matière d'explication du réel (il ne dit pas grand chose de plus que 'attention aux effets de seuil en fin de période de consolidation' et 'l'affaiblissement du contrat peut conduire à un sous-investissement réciprique de l'entreprise et du salarié'). Le cacher derrière des modeles compliqués n'y change rien.
Husson et Coutrot ne sont peut-etre pas les mieux placés pour une critique de ce papier. Mais il était utile que quelqu'un le fasse ! J'aurais préféré que ce soit vous, par exemple...
Rédigé par : Nocibe | 11 avril 2006 à 03:01
... Et les ton des auto proclamés experts n'est pas des plus suave, à la lecture de Wyplosz chez Telos, cher monsieur Salanié. Voir si je puis me permettre
http://carnetweb.info/yvesduel/index.php/2006/04/11/285-en-economie-peut-on-dire-n-importe-quoi-bin-oui-la-preuve-ches-charles-wyplosz?cos=1
Rédigé par : yves duel | 11 avril 2006 à 05:41
guerby: les papiers que tu cites dans ton blog sont les derniers sur le sujet. et si ça reste flou c parce que tout n'est pas clair dans la tête des économistes. tout le monde est d'accord pour dire que les flux d'emplois sont intenses dans tous les pays quelque soit la protection de l'emploi. cette dernière aurait un impact négatit selon le papier que tu cite de l'ecb mais c le premier à le montrer donc prudence... pour interpreter cette absence de lien (cf les papiers de blanchard), l'idée c que les coûts d'asjutement agissent comme des seuils mais que le processus de réallocation est si intense que les entreprises franchissent ces seuils et qu'au final, les coûts d'ajustement ne nuisent pas au création / destruction d'emplois. le hic à cette interprétation c qu'on ne retrouve pas cela au niveau des flux de main d'oeuvre: effectivement les salariés ont des durées de chômage comme des durées d'emploi plus longue quand la protection de l'emploi est rigoureuse. donc le débat reste à mon sens largement ouvert....
Rédigé par : djmmr | 11 avril 2006 à 06:53
Ce débat est difficile. Il n'a pas a voir directement ni avec la personnalité, réelle ou supposée, des auteurs, ni avec les résultats de leur papier (1- le CPE c'est peu 2- le contrat unique c'est mieux).
Pour S Carcillo et P Cahuc, les ayant peu cotoyés, je ne pense pas qu'ils soient "libéraux". En revanche, clairement ils se placent dans un cadre théorique très "analytique". Ils peuvent donc, à ce titre, être victime "d'immoralité analytique" (ie ; selon Mintzberg, le fait de produire des avis ou des décisions immorales parce que basée sur une analyse mécaniste de la société, sans prendre en compte le fait que l'économie est une science morale). Celà dit, on ne peut pas le leur reprocher, dès lors qu'ils évoluent dans le champ (utile à la science) qui est le leur : l'analyse et la modelisation des mécanisme du marché du travail.
La difficulté me semble plus forte quand on prend les résultat pour en faire une tribune publique, qui sera forcément tronquée, et utilisée de façon partisane. La vision d'une société uniquement régie par des rapports marchand est ce qu'on nomme "libérale" dans le langage commun.
Bref, ce qui explique la violence des oppositions, on a derrière ce débat deux cultures. Un : une culture scientifique, rigoureuse à l'intérieur de son domaine de pertinence, mais qui peut être très insuffisante sortie de ce domaine. Deux : une culture politique qui analyse les outils derrière le modele de société qu'ils induisent, qui peut juger que, s'agissant de réforme du marché du travail, le sujet est plus complexe que ce que peut dire une maquette. Ainsi Raymond Soubie (qu'on ne peut pas accuser d'etre de gauche, ni d'etre ignorant sur les questions sociales) notait que le contrat unique ne correspond pas à besoin précis, et pouvait être un leurre (faisant croire aux partisans du tout CDD comme à ceux du tout CDI, qu'on irait dans leur sens).
Il me ne semble pas inutile que les deux cultures s'expriment. Personnellement je crains autant le règne des "experts rois" que celui des idéologues. Les deux se rejoignent d'ailleurs dans la planification centralisée...
Rédigé par : V | 11 avril 2006 à 08:04
Thomas Coutrot et Michel Husson ont attaqué le travail de Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo au niveau du raisonnement et de leur méthodologie.
C'est, je trouve, un signe de maturité.
L'idéologie n'intervient qu'après, dans la partie "dicussion".
Je ne vois rien de répréhensible là dedans...
La réponse de Cahuc et Carcillo est nettement moins bien construite car ne reprend pas les critiques méthodologiques. Alors que tout débat entre scientifiques DOIT se faire sur cette base. Au contraire elle oublie cette partie et ne répond que sur la partie idéologique. C'est digne d'un mail écrit dans le feu de l'action, quand on se prend pour Alexandre derrière son clavier, mais pas d'un article dans le monde, n'est-ce pas?
Quand à vous, B.S., vous ne nous donnez qu'un argument d'autorité (" il me semble que le consensus parmi les économistes est assez large sur ce sujet "). Même si la notion de consensus est importante en science, elle ne permet pas de trancher un débat (mais je comprend completement que vous aviez autre-chose à faire que de mettre les mains dans ce cambouis...)
Bref, il me semble que Coutrot et Husson ont donnée, lors de cet échange, les argument les plus contruits et les moins idéologiques.
Bonne continuation!
Rédigé par : Bernouilly | 11 avril 2006 à 10:02
En effet, il y a une difference entre flux d'emplois et flux de salaries. Etats-Unis et Europe ont un niveau semblable pour le premier mais pas le second type de flux. Pries et Rogerson ont un article recent sur le sujet(Journal of Political Economy, 2005). Pour ceux qui y ont acces:
http://www.journals.uchicago.edu/JPE/journal/issues/v113n4/10242/10242.html
Rédigé par : Bruno | 11 avril 2006 à 12:19
ONe of the side-effects of this pantalonnade is that everybody has forgotten that France is crumbling under the weight of 25% de fonctionnaires and millions of desoeuvres - le pb du contrat de travail ne touche que le secteur prive marchand, ultra-minoritaire en France par rapport a la depense publique et aux millions de desoeuvres. Par le biais d'une poudre aux yeux magistrale, le secteur public et les syndicats se sont assure 10 ans d'immobilisme de plus.
Rédigé par : encoreuntourdemanege | 11 avril 2006 à 15:38
ONe of the side-effects of this pantalonnade is that everybody has forgotten that France is crumbling under the weight of 25% de fonctionnaires and millions of desoeuvres - le pb du contrat de travail ne touche que le secteur prive marchand, ultra-minoritaire en France par rapport a la depense publique et aux millions de desoeuvres. Par le biais d'une poudre aux yeux magistrale, le secteur public et les syndicats se sont assure 10 ans d'immobilisme de plus.
Rédigé par : encoreuntourdemanege | 11 avril 2006 à 15:38
ONe of the side-effects of this pantalonnade is that everybody has forgotten that France is crumbling under the weight of 25% de fonctionnaires and millions of desoeuvres - le pb du contrat de travail ne touche que le secteur prive marchand, ultra-minoritaire en France par rapport a la depense publique et aux millions de desoeuvres. Par le biais d'une poudre aux yeux magistrale, le secteur public et les syndicats se sont assure 10 ans d'immobilisme de plus.
Rédigé par : encoreuntourdemanege | 11 avril 2006 à 15:38
Les atouts imparables de Segolene
1.Femme 2.Socialiste 3.qui s'appelle Royal 4. qui a des faux airs de Mitterrand (surtout de profil) 5.n'a jamais vecu ni travaille a l'etranger 6.n'a jamais produit une once de valeur ajoutee par le travail 7. a toujours dependu des prelevements publics pour vivre
LE CHOIX IDEAL POUR LE CHANGEMENT
Rédigé par : sego presido | 11 avril 2006 à 15:44
Une question d'un non-économiste : comment doit-on considérer les productions de Coutrot ou de Husson? Ressortent-elles du débat académique, même un peu vif, ou ne sont-elles que des ramassis d'idioties devant être considérées comme telles?
Bien cordialement,
EL
Rédigé par : EL | 14 avril 2006 à 09:19
djmmr, merci pour tes précisions.
A noter que je posais la question de la mesure "simple" du cout du licenciement (nombre de procédure, longueur des procédures, cout eventuel vs le nombre de licenciement), pas de son effet potentiel sur le marché du travail.
Je me méfie beaucoups des analyses qualitatives "c'est cher et ya plein de paperasse", et je me demande si dans le cas de la France il n'y a pas simplement un problème de mauvaise anticipation ("expectations" vs "reality") sur le cout du licenciement (ou à défaut juste un lieu commun pour gagner des avantages dans le débat politique).
Avant de théoriser sur quelque chose comme le cout du licenciement et les fameuses "rigidités" du droit du licenciement, il me semble qu'il faudrait commencer par les mesurer honnêtement.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 16 avril 2006 à 07:11
guerby: "Avant de théoriser sur quelque chose comme le cout du licenciement et les fameuses "rigidités" du droit du licenciement, il me semble qu'il faudrait commencer par les mesurer honnêtement."
c'est exactement ce sur quoi je travaille en ce moment. pour la France deux excellentes références:
John Abowd and Francis Kramarz: "the costs of hiring and separations", labour economics, 2003, 10(5):499-530
et
Françis Kramarz and Marie-Laure Michaud: "the shape of hiring and separations costs", 2003, IZA discussion paper 1170
Tu y trouveras une évaluation quantitative des coûts d'embauches et de licenciements pour les différentes catégories de main d'oeuvre.
Le problème c'est qu'ils se basent sur des mesures observables des coûts d'ajustment et ne tiennent pas compte des coûts implicites car ceux-ci sont par définition inobservables. C'est par exemple, la réorganisation de la production suite au départ de quelqu'un, le climat de tension suite à un licenciement,.... tout cet ensemble de coût est forcément inobservable et donc difficilement quantifiable. je travaille à ceci. L'idée c'est d'observer les décisions d'embauches et de licenciements des firmes et de se dire que ça nous donnent de l'information sur leurs coûts d'ajustement.
Rédigé par : djmmr | 16 avril 2006 à 08:38
Cher monsieur Guerby, je suis à votre disposition pour vous raconter (juste raconter : je suis pas un scientifique, moi ! juste un journaliste naïf) par le menu un licenciement d'une petite filiale d'une grosse PME, un journal très prestigieux et très mal géré, dont j'ai été l'une des victimes (consentante pour ce qui me concerne). Ce qui m'a surtout frappé, c'est l'incompétence de ses responsables ; et surtout leur lâcheté qui a renchéri le cout (et les délais) au delà de l'imaginable. Donc dans la mesure du "coût réel", j'espère que, par exemple dans les études que fait djmmr, vous faites intervenir le comportement, la psychologie des dirigeants ?
Rédigé par : yves duel | 17 avril 2006 à 06:59
djmmr, merci pour les références, apres un coups de google je pense que c'est ca :
http://instruct1.cit.cornell.edu/~jma7/abowd-kramarz-costs-hiring-separation-final.pdf
http://www.crest.fr/pageperso/kramarz/dp1170.pdf
Tres interessant, et cela conforte mon intuition sur le sujet.
Sauf erreur, je n'ai pas vu de statistiques sur les procedures juridiques. Je ne pense pas qu'elles soient significatives (autrement que médiatiquement), mais autant mesurer.
Sinon, connais-tu des papiers similaires en Europe ? J'ai vu une comparaison à des résulats USAs (qui encore une fois rapproche assez fortement les deux marchés du travail, contraire au lieu commun :) mais sauf erreur pas de références européennes.
Je ferai un billet sur mon blog, as-tu un site web ?
Rédigé par : Laurent GUERBY | 17 avril 2006 à 07:02
yves, quelque part on se dit qu'il y a une relation entre l'incompétence des managers et l'insuccès des entreprises, et faire payer plus ces incompétents ne peut qu'assainir le marché même si ce n'est bien sur pas sans conséquences sur les employés ...
C'est pour cela que je pense qu'étendre l'assurance chomage aux démissions choisies par l'employé (et en limitant les mécanismes comme les clauses de non compétitions ou "NDA") pourrait être une bonne chose en augmentant les couts pour les employeurs inefficaces et en les diminuants pour les employeurs efficaces.
Mais en France, tout est la faute des employés/syndicats, jamais des patrons qui sont tous parfaits, efficaces, honnêtes, donc toute mesure politique ne peut que rendre la vie des employés plus misérable.
Rédigé par : Laurent GUERBY | 17 avril 2006 à 07:08
Bernard,
Je ne suis pas économiste, juste dirigeant d'entreprise. Une évidence mais elle me parait nécessaire : La meilleure façon de rendre l'emploi moins précaire est de faire baisser le chômage.
Oui il y a un gros probleme d'emploi en France. L'économie française ne crée pas assez de richesse, il n'y a pas assez de création d'entreprises car c'est compliqué, et que les gens qui devraient le faire (parce qu'ils en sont très capables) ne le font que rarement. C'est tabou, c'est risqué, c'est compliqué de trouver de l'argent, de faire les formulaires URSSAF, d'ouvrir un compte en banque d'entreprise. Des entrepreneurs talentueux et trentenaires prennent leur retraite une fois leur première boite vendue.
Le faible nombre d'emplois créés place les chercheurs d'emplois dans une situation de faiblesse. Surtout les jeunes mais un vieux chomeur est bien plus problématique même s'il est moins à même de bruler des voitures. Oui il y a un énorme probleme d'adéquation entre le marché de l'emploi et les formations des jeunes. Des centaines de milliers d'emplois que personne ne veut/sait faire, et pas tous sous-qualifié. Je connais bien la filière BTS électronique. Elle a du mal à recruter aujourd'hui et baisse son niveau régulièrement, alors que les salaires d'embauche avoisinent souvent les 25000€ bruts, généralement en CDI.
Un dirigeant d'entreprise qui a besoin de main d'oeuvre aujourd'hui va toujours se débrouiller avec ou sans CPE/CNE : CDD, interim, stagiaires, parfois CDI... Je ne sais pas comment font les gens qui modélisent la création de 70k emplois avec le CPE mais ils me paraissent nager allegrement à côté de la piscine. Qu'ils cherchent à créer une boite REELLEMENT (très bien expliqué sur www.apce.com, mais la pratique est ardue), ils comprendront facilement comment créer des centaines de milliers d'emplois.
Plusieurs post à ce sujet sur mon blog, pour en parler.
Rédigé par : ava | 17 avril 2006 à 16:48