Adam Smith avait une très belle description des "hommes de système":
The man of system, on the contrary, is apt to be very wise in his own conceit, and is often so enamoured with the supposed beauty of his own ideal plan of government, that he cannot suffer the smallest deviation from any part of it. He goes on to establish it completely and in all its parts, without any regard either to the great interests or the strong prejudices which may oppose it: he seems to imagine that he can arrange the different members of a great society with as much ease as the hand arranges the different pieces upon a chess-board; he does not consider that the pieces upon the chess-board have no other principle of motion besides that which the hand impresses upon them; but that, in the great chess-board of human society, every single piece has a principle of motion of its own, altogether different from that which the legislature might choose to impress upon it. If those two principles coincide and act in the same direction, the game of human society will go on eerily and harmoniously, and is very likely to be happy and successful. If they are opposite or different, the game will go on miserably, and the society must be at all times in the highest degree of disorder.
Some general, and even systematical, idea of the perfection of policy and law, many no doubt be necessary for directing the views of the statesman. But to insist upon establishing, and upon establishing all at once, and in spite of all opposition, everything which that idea may seem to require, must often be the highest degree of arrogance. It is to erect his own judgment into the supreme standard of right and wrong. It is to fancy himself the only wise and worthy man in the commonwealth, and that his fellow-citizens should accommodate themselves to him, and not he to them. It is upon this account that of all political speculators sovereign princes are by far the most dangerous.
(The Theory of Moral Sentiments, Part VI, Section II, Chapter 2).
Ceci dit, même les libéraux à notre époque doivent choisir un système d'exploitation (fine transition). Windows règne sur le monde des ordinateurs personnels, mais souffre de plus en plus de la stratégie de compatibilité tous azimuts adoptée par Microsoft, comme le rappelle cet article du New York Times d'aujourd'hui : la prochaine version est régulièrement remise aux calendes grecques.
J'utilisais autrefois un NeXT (sous une variante de Berkeley Unix) comme "home computer"; j'en ai des souvenirs attendris, mais il souffrait de l'inconvénient opposé : peu de compatibilité, et un modèle in fine non viable. J'ai plusieurs fois testé (au moins cinq ou six versions de) Linux, et en partant aux Etats-Unis j'ai décidé de faire le grand saut. Ma situation est aujourd'hui à peu près stabilisée, avec Kubuntu (+ Vmware pour faire tourner Windows XP) au bureau et un dual boot (Kubuntu et Win XP) sur mon laptop. Mais pour en arriver là, que de travail et de frustrations... des programmes d'email qui crashent de manière répétée, des ports USB non reconnus (ah, la gestion des ports USB sous Linux, un poème...), des problèmes d'impression (résolus en interdisant à KDE d'optimiser l'impression), un smartphone dont les données ont été effacées par des progranmmes *pilot pris de folie....
Linux a fait des progrès considérables (notamment avec OpenOffice 2, qui peut remplacer Ms Office tout en restant compatible avec lui) mais, paradoxalement, il lui est de plus en plus difficile de suivre l'innovation dans le domaine du hardware. Et c'est logique : il se trouvera toujours des programmeurs open source pour créer des programmes véritablement innovants et stables (Firefox en est l'exemple le plus frappant), mais peu d'entre eux ont envie de transpirer pour créer des drivers et des modules Linux pour les innombrables produits mis sur le marché---ce que les fabricants sont contraints à faire eux-même pour Windows.
Finalement, la stratégie d'Apple a des avantages : un choix de matériel restreint, garanti compatible, qui permet aux programmeurs système (grâce aussi à leur héritage open source) de se concentrer sur les innovations logicielles réelles. Mais je sens que je vais provoquer des réponses indignées...
Le problème des pilotes réside dans l'absence de volonté des constructeurs de participer à l'affaire - pourtant, ce sont eux les mieux placés pour les fournir.
Dans la balance, ils font peser l'importance de préserver le secret autour de leur matériel. Néanmoins, on peut gager qu'il y aurait un marché pour les audacieux...
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 27 mars 2006 à 13:07
Très bel extrait de Smith en effet... Et décidément, cet article du NYT inspire la blogosphère économique :-).
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 27 mars 2006 à 14:20
Il serait intéressant de réaliser l'expérience avec Windows : l'installer à partir du cdrom sur votre portable. Vous constateriez probablement que c'est tout aussi difficile d'obtenir un système pleinement fonctionnel. Evidemment, quand on achète un portable, tout le travail est déjà fait par le constructeur.
Il est vrai que la situation idéale est celle de Mac. La prochaine fois que vous achetez un ordinateur, vous pourrez vous en rapprocher, en choisissant votre matériel en fonction de sa compatibilité avec Linux...
Rédigé par : bliblo | 27 mars 2006 à 15:56
La programmation de pilotes de périphériques consiste, peu ou prou, à définir une translation potable de la spécification du constructeur du matériel dans la représentation relativement arbitraire et spécifique du système d'exploitation concernée.
C'est donc un travail pénible, mais ce n'est pas réellement difficile.
Le problème est que, souvent, le constructeur d'un matériel susceptible d'être employé à l'aide d'un pilote de périphérique cherche à ne surtout rien laisser transpirer à ses concurrents de la manière dont fonctionne son matériel : il refuse donc de publier ses spécifications, et craint (à juste titre) qu'un pilote de périphérique dont le code source serait fourni expose les précieux renseignements qu'il désirait cacher.
Il est donc tenté de faire developper en interne (donc, par un non-spécialiste) un pilote de périphérique qui sera rendu difficilement testable, car rendu aussi opaque que possible aux mesures classiques.
Microsoft, comme tout le monde (Apple aussi, d'ailleurs...), a pensé que les constructeurs de matériels finiraient par être forcés de coder eux-mêmes des pilotes de qualité s'ils voulaient vendre leur matériel, mais les faits donnent obstinément tort à cette idée depuis plus de 15 ans.
A l'opposé, quelques tous petits constructeurs (comme par exemple en son temps Cyclades) font le choix, pour sortir de l'anonymat, de publier toutes leurs spécifications et externaliser le developpement de pilotes de qualité sur les hobbyistes.
Les grands intégrateurs (HP, Dell) préfèrent, par tradition, passer des accords en respect réciproques de propriété intellectuelle (reconnaissance de la P.I. de l'un par l'autre) ceci impliquant que chacun des partenaires de ces intégrateurs 1) ait de la P.I. 2) la protège (par le secret, des brevets, et une stratégie juridique prête à l'emploi), ce qui interdit, incidemment et involontairement, d'adopter des stratégies favorables aux systèmes libres.
C'est pour cet ensemble de raisons que, sans haine aucune, dans le cadre d'une saine compétition économique, les hobbyistes programmeurs de pilotes de périphériques pour systèmes d'exploitation libres font la plus mauvaise publicité imaginable aux grands contructeurs/intégrateurs.
Fort heureusement, on arrive parfois à des équilibres par le biais de spécifications ouvertes d'interfaces (normes de communication) entre matériel et logiciel. Tel est par exemple le cas d'OpenGL. Mais puisque l'existence de ces normes rend plus difficiles pour les constructeurs concurrents de matériels fédérés par cette norme de se distinguer les uns des autres, rares sont les adhésions sincères à de telles spécifications (sans compter les chausse-trappes des brevets planqués dans les coins qui ressortent du bois quand une spécification devient popuplaire).
Rédigé par : Flaff | 27 mars 2006 à 16:28
Transition osée :)
Personnellement, je vote avec mon porte monnaie, les machins reconnus ou pas reconnus par Linux sont documentés, bref je fais l'effort de la recherche et je n'achete que ce qui marche (imprimantes, scanners, telephone portables, ...), et je constate que mes choix sont de moins en moins restreints :
- mon dernier routeur Wifi (ASUS WL500G Deluxe) a une copie complete de la GNU GPL dans la doc papier, la liste des logiciels libres utilisés par le routeur dans cette meme doc, et le CD ROM de driver a les sources completes et meme l'environnement de developpement (en interne c'est du Linux).
- j'ai acheté un PDA/internet tablet/Wifi de Nokia (le Nokia 770) qui aussi est sous Linux, environnement de developement ouvert et site web collaboratif financé par Nokia. La version actuelle des logiciel laisse à désiré mais ca bouillone coté developpement (chez Nokia et dans la communauté). Avec gnumeric et octave pour les économistes de café de commerce :).
La stratégie Apple est essentiellement de la differentiation classique sur le prix (cher, +50% a +100% pour moins bien) et la marque a la mode (bonne campagne mediatique bien ciblée). Le controle de la plateforme materielle est anecdotique (et je crois que la situation des peripheriques USB chez Apple n'est pas plus brillante que sous Linux).
Pour les drivers, les programmeurs Linux doivent en general bosser bien plus dur car il travaillent souvent sans documentation du materiel (une tache titanesque ! nombres de drivers USB sont developpes comme cela...). Je pense que la situation releve plus d'une mauvaise habitude implantee dans le secteur du materiel que d'une quelconque rationalite economique (le cout de la dissemination des quelques informations qui aiderait grandement par les auteurs de drivers Linux est veritablement zero).
Enfin, des degats de l'intervention etatique dans le libre marché via la propriete intellectuelle version extreme...
Rédigé par : Laurent GUERBY | 27 mars 2006 à 17:40
Merci pour ces commentaires qui m'ont appris des choses que j'ignorais. Je ne veux pas transformer ce blog en benchmark d'OS, mais voici un lien qui peut vous interesser, estampillé O'Reilly :
http://www.onlamp.com/pub/a/onlamp/2006/03/23/apple_vs_everyone.html
Rédigé par : Bernard Salanie | 27 mars 2006 à 23:16
En conservant un niveau d'emprise raisonnable à la fois sur logiciel et matériel, Apple a conservé la capacité d'adopter, quand il lui siera et pas avant, une stratégie à laquelle même Sun ne peut plus se conformer, à savoir, l'intégration verticale associée au secret industriel tout au long de la chaîne menant à un produit marketé comme électronique grand public plutôt qu'une stratégie de propriété intellectuelle pour protéger sa marge, alimenter le marketing et promouvoir sa marque.
Le problème d'Apple est le même que celui de Sun : coincé d'une part entre le harcèlement de la nuée de courageux entrepreneurs asiatiques (n'ayant pas renoncé à entretenir l'expertise technique requise pour la maîtrise du silicium et de la programmation bas-niveau) qui rognent les marges et le capitalisme financier qui n'aime rien tant que "valoriser" les reconnaissances croisées en propriété intellectuelle (association de géants prétendant tous deux détenir des brevets ou des licences sur la P.I. d'autrui valant des sommes astronomiques, l'un valorisant la P.I. de l'autre à des niveaux proprement irrationnels de sorte à attirer les investisseurs ignorants et souvent crédules en matière de "nouvelles technologies"), puisque cela procure immédiatement une création de valeur par la simple action concertée des dirigeants de l'entreprise (stratégies suivies en leur temps par Alcatel et Vivendi en France). L'important pour Apple est donc, actuellement, de survivre en attendant le printemps, ce qui consiste à, pour l'essentiel, concentrer toutes ses ressources sur ses caractéristiques-clés et éviter toute dépense d'énergie inutile.
La stratégie d'intégration verticale est évidemment bien moins lucrative que de compter sur l'ignorance des investisseurs individuels. C'est pourquoi Apple, comme quelques autres (je pense notamment à Archos) n'a nulle raison de choisir cette stratégie de repli dès à présent pour ne l'adopter que lorsque ce sera devenu la seule stratégie viable pour les acteurs de l'électronique grand public, pardon, l'informatique et les nouvelles technologies. Vous l'aurez compris : le point-clé de mon analyse est ici de prétendre que la segmentation du marché entre "informatique familiale" et "électronique personnelle" est tout à fait artificielle, mais peut durer aussi longtemps que les investisseurs, et notamment, les investisseurs individuels eux-mêmes utilisateurs d'informatique personnelle pour la gestion de leurs investissements ou à titre professionnel voudront bien y croire. Et bien malin qui saurait prédire quand le consensus évoluera.
Qui plus est, si une telle stratégie serait certainement dans l'intérêt des salariés d'Apple, elle n'est pas dans l'intérêt des actionnaires d'Apple. Ceci explique peut-être les ventes très importantes d'actions Apple observées ces derniers jours.
Rédigé par : Flaff | 28 mars 2006 à 03:40
je vous trouve un tantinet... comment dire... facile dans ce dernier post.
Vous balancez une pique un peu longuette sur le gouvernement par la bouche d'Adam Smith, et vous passez du coq a l'ane vers un sujet beaucoup plus "geek". Vous avez laisse le soin a Adam d'etre "mechant" pour vous sans reellement vous mouiller.
J'avais senti un peu la meme chose a la lecture de votre article du figaro, et on pourrez vous retourner la meme accusation que vous formulez a l'egard du gouvernement: j'avais trouve cet article clair et argumente, mais il m'avait semble lui aussi tres "systemique", theorique et deconnecte de la realite des negociations politiques. Si je ne m'abuse, vous preconisiez de reformer le code du travail en proposant un contrat unique aux modalites plus souples (revalorisation des indemnites de licensiement notamment, en echange d'une plus grande souplesse de licensiement), plutot que de livrer un enieme type de contrat qui ne touche que les moins de 26 ans.
Tout ca c'etait tres beau aussi, et je suis bien d'accord sur le fond, mais quid de la mise en pratique? comment faire passer ces changements, alors que le texte du CPE, qui n'est pas bien mechant, a autant de mal a etre acceptee? vous mettez tout ce rafut exclusivement sur le dos d'une "absence de concertation avec les partenaires sociaux"? dans ce cas, pouvez vous preciser en quoi la reforme que vous proposez aurait plus de chances d'etre acceptee par ces memes partenaires sociaux?
Rédigé par : marco | 28 mars 2006 à 04:27
Il est quand même intéressant de constater cette corrélation entre niveau d'études bac +5+, blog et Linux, que l'on retrouve chez Paxatagore :
http://www.paxatagore.org/index.php?2005/07/27/424-ubuntu-ou-encore-une-plongee-dans-le-monde-de-linux-coming-out-j-aspire-a-etre-un-geekPaxatagore comme chez François :
http://phnk.com/blog/?2005/07/01/212-debian-20-etapes
et leurs lecteurs, comme Jules, lesquels n'ont, à l'origine, rien d'informaticiens et se sont sans doute formés tous seuls dans leur coin.
A l'évidence la volonté d'autonomie, qui vaut aussi bien pour le contenu que le contenant, joue. (au passage, on relèvera, entre le juriste et l'étudiant en sciences politiques, le traitement différentiel des URL) En même temps, la question des pilotes sous Linux, à la mesure de son expansion, relève moins de la technique que d'un choix politique et économique des fabricants de matériel.
Prenons un exemple dans un domaine éloigné : j'ai cherché, au moment de remplacer mon vieux magnétophone à cassettes dont j'ai de nouveau besoin pour un travail sociologique en cours, un bidule numérique. Or, on trouve pour l'essentiel soit des baladeurs-enregistreurs, qui feraient, en première analyse, l'affaire s'ils n'étaient privés de l'indispensable entrée micro, soit des dictaphones numériques, avec entrée micro mais bande passante téléphonique et 32 Mo de RAM non extensible. Aucun des deux ne faisant l'affaire, j'ai racheté un magnétophone à cassettes. Avec l'abandon de l'analogique au profit du numérique, on est passé d'une polyvalence par défaut à une spécialisation imposée par les fabricants. Et cette spécialisation n'est que le premier niveau de contrainte : le deuxième dépend des formats numériques, MP3, propriétaire, ou MWA, seulement Microsoft. Le troisième sera - et est déjà - les DRM.
Il n'existe donc pas de solution médiane : ou bien on est sous Linux et, avec la GPL, tout est obligatoirement ouvert, ou bien on dépend de la stratégie d'un fabricant, laquelle n'offre aucune garantie de stabilité, et a permis à Apple l'exploit de transformer un système ouvert en ce modèle de fermeture qu'est Mac OS X. Il ne s'agit, au fond, que de savoir ce qu'on veut, et de faire un banal arbitrage entre avantages et inconvénients ; pour ce qui me concerne, j'ai choisi Linux depuis 1998.
Rédigé par : Denys | 04 avril 2006 à 04:30