L'amendement créant le CPE a été adopté. Il faut certainement rendre les procédures de licenciement plus flexibles, en réduisant notamment l'intervention des juges ; mais fallait-il commencer par là ? Je ne le crois pas, et je m'en explique dans Le Figaro (je ne suis pas responsable de la taille de la photo...).
Cher Bernard,
Il me semble que ton article dans le Figaro repose davantage sur l'intime conviction que sur la demonstration. De fait, il en ressort que tu crois davantage a l'outil cout du travail parce que l'effet de la baisse du cout du travail semble prouve et efficace d'apres plusieurs etudes empiriques. En revanche, l'effet des institutions est beaucoup plus difficile a determiner empiriquement.
Pourtant les exemples, que tu donnes, de l'Espagne et du Portugal laissent penser (sans rien prouver) que l'impact des institutions, et en particulier des contrats de travail, peut etre enorme. C'est en particulier l'avis de Pierre Cahuc et Stephane Carcillo (cf http://www.liberation.fr/page.php?Article=364941), qui ont chiffre sur une maquette l'impact d'un contrat unique, et pensent que cela permettrait de creer 250 000 emplois.
Rédigé par : corinne | 09 mars 2006 à 11:41
J'ajouterais a ce commentaire que les jeunes des banlieues, loin d'etre "peu eduques et desocialises", souffrent en revanche de cette perception: impossibilite de trouver des stages, rejet immediat des CV. Or toutes les etudes que j'ai vues montrent que les regulations du marche, dont la protection de l'emploi, se retournent d'abord contre les categories pour lesquelles les employeurs percoivent un risque (jeunes sans experience, minorites, etc...). Bien qu'etant persuade que le CPE n'est pas a la hauteur des enjeux en partie pour les raisons que tu indiques, il a un merite, celui de permettre la prise de risque justement pour ces categories. Du reste, la sortie recente du Ministre Bezag etait tres eloquente a ce sujet.
Rédigé par : Etienne W. | 09 mars 2006 à 18:16
On veut trop faire jouer aux entreprises privées un rôle quelle n'ont pas à jouer : Instruction générale, intégration, re-socialisation, garderie sociale, dynamisation du tissu urbain, patriotisme. Elles ont déjà à payer un max de cotisations pour des caisses de cotisations sociales et organismes divers de formation, des impôts pour les communes où elles travaillent, enfin vous connaissez tout ça. Un employeur embauche quelqu'un s'il a un travail à effectuer et il licencie quand il n'y a plus de travail ou plus de quoi payer les salariés.
Je vois un avantage au CPE pour les missions de courte durée, évitant à l'employeur de recourir à l'intérim, très cher.
Rédigé par : all | 09 mars 2006 à 21:26
je suis tres content que BS reprenne le fil de son blog,
et de plus pour nous parler économie...
son analyse rejoint celle d'Olivier Blanchard sur le coût de la "judiciarisation" des licenciements, qui me semble un peu arbitraire.
le CPE repésente symboliquement tout ce que la société française et particulièrement les jeunes refusent:
-licenciement sans motif "sois jeune et tais toi"
-periode d'essai de deux ans sans préavis (unique en europe?) "tais toi ou t'es plus là demain"
et plus globalement, une vision idéologique: le PM veut montrer qu'il est capable de venir à bout de toute résistance: s'asseoir sur la concertation et les manifestations, remettre en cause des droits importants en choisissant les angles d'attaque: PME puis jeunes...
Il y arrivera peut-être mais sil'effet économique est nul, et si le nombre de CDI diminue à msure que celui des CPE augmente, il aura creusé la tombe de son camp...
Rédigé par : François | 10 mars 2006 à 04:34
Cette periode d'essai de deux ans sans preavis ne semble pas unique en Europe. C'etait le cas en GB (et bientot en Allemagne, si je ne me trompe pas).
Sauf que la GB a diminue cette periode d'essai a un an avec l'argument que cela devrait augmenter la mobilite des salaries, en pensant que les salaries hesitent a changer d'entreprise et a devoir passer de nouveau par une periode d'essai de 2 ans ! (Ioana Marinescu a travaille sur ce sujet : http://www.objectivefunction.com/texts.html. Selon elle, reduire a 1 an a au contraire diminue la mobilite, en ameliorant la qualite des appariements et la formation)
Rédigé par : corinne | 10 mars 2006 à 09:55
* Corinne : quand le Figaro me demande un article de 5000 signes, j' ecris un article de 5 000 signes... mais je lis beaucoup plus avant de l' ecrire ! La maquette de Cahuc et Carcillo est suggestive, mais rien de plus. En particulier, elle ne prend pas en compte les differences structurelles considerables entre populatioms (les jeunes non diplomes vs les autres, par exemple). Comme toute maquette calibree, elle a aussi l' inconvenient de ne pas tester ses hypotheses. Dans l' ensemble, le message selon lequel un echange " procedures de licenciement + flexibles contre indemnites + elevees" est une bonne idee me parait juste pour le " marche primaire " (les CDI). Pour le reste, c' est moins sur. En tout etat de cause, appliquer ce demi-resultat pour justifier le CPE me parait vraiment aller au-dela de l' extrapolation raisonnable, je suis sur que Pierre est du meme avis...
* Etienne : le politiquement correct a ses limites...oui, les jeunes des quartiers sensibles sont dans leur majorite " peu eduques" (voir les chiffres du recensement ou mon billet ici :
http://riotsfrance.ssrc.org/
et " mal socialises" , je crois aussi que c' est vrai (mais je n'ai pas de chiffres pour le mesurer...). Et victimes de discriminations, surement aussi, une partie de cette discrimination etant de nature statistique (leur adresse signale une faible productivite, c'est une observation quantitative, pas un jugement de valeur), et une partie xenophobe ou raciste. Leur mettre le pied a l'etrier, si c' est l'objectif du CPE, il y a longtemps qu' on essaie. Il y a des histoires edifiantes, comme toujours, mais mon impression est que si l'on compte sur la volonte d' experimentation des employeurs, on risque d' etre decus.
Sur le fond, je le repete : reduire la rigidite des procedures de licenciement, et notamment le pouvoir des juges, certes. Le CPE est-il le bon angle d' attaque ? Je pense que non. Et j' entrevois a tout ceci une fin en forme de crispation et de creusement du fosse entre emplois precaires et emplois proteges qui ne fera pas, mais alors pas du tout avancer le schmilblik.
Rédigé par : Bernard Salanie | 10 mars 2006 à 15:32
Je n'aurais pas cru que l'inscurité juridique associée aux licenciements soit si importante, et effectivement, l'argument peut avoir du sens : a-t-on des chiffres sur ce sujet (nombre de licenciements retoqués par les juges, nombre de licenciements soumis au regard d'un juge et nombre de licenciements passés sans examen d'un juge).
Rédigé par : Flaff | 10 mars 2006 à 15:40
Je crois qu'il faut distinguer deux choses: d'une part, la fraction des jeunes sans diplome dans les ZUS (zones urbaines sensibles) est elevee (et explicable en partie par les CSP des parents et a fortiori par la dummy "etranger" ou "de parents etrangers"). Dans la population totale des 15 ans et plus, les non-diplomes atteignent 33% en ZUS contre 18% en moyenne nationale. Pour des jeunes sans diplome et vivant en ZUS, des allegements de charge ne suffisent pas, et le volet formation du CPE ne serait pas forcement inutile.
D'autre part, une generation de diplomes issus des ZUS a emerge. Elle fait face ou semble faire face a de nombreuses discriminations (je renvois a ce rapport telechargeable: http://www.cae.gouv.fr/rapports/45.htm ). Entre des allegements de charge specifiques et la possibilite de tester (et infirmer) des a priori avec un contrat de ce type, la meilleure solution n'est pas evidente. A tout prendre, j'aurais tendance a preferer l'experimentation globale du CPE, qui ne necessite pas de tracer de frontiere geographique, mais de toute facon rien n'empeche de combiner allegements et contrats permettant une periode d'essai allongee.
Rédigé par : Etienne W. | 11 mars 2006 à 09:43
Etienne : chaque decision a un cout d' opportunite... le " rien n' empeche de combiner plusieurs approches" ne fonctionne pas bien en realite, parce que chaque gouvernement dispose d' un credit politique sur lequel il ne peut pas tirer a l' infini. Le gouvernement Villepin joue gros sur ce dossier, et s'il echoue il lui sera difficile de proposer une autre methode. En politique economique, le " pas forcement inutile" est loin d' etre une condition suffisante ; il faut viser plus. Il y a trop de mesures possibles qui ne sont " pas forcement inutiles" !
Rédigé par : Bernard Salanie | 11 mars 2006 à 15:45
Bernard, je suis d'accord sur ton diagnostic du CPE. Mon premier message portait davantage sur la tonalite generale de ton article du Figaro, qui laisse entendre, selon moi, que la baisse du cout du travail est preferable a toute reforme du code du travail.
Puisque tu parles de credit politique des reformes, il me semble que Villepin a juge que le credit d'une nouvelle baisse des cotisations au niveau du Smic est faible, puisque cela ne fait que poursuivre les reformes precedentes et qu'il se pose en nouveau reformateur.
Par ailleurs, au niveau budgetaire, le bloquage est enorme (les allegements comptent pour des depenses de l'Etat, et non pour de moindres recettes, et pesent tres lourd dans une periode ou l'Etat s'engage (...) a une augmentation des depenses egale a l'inflation). D'ailleurs, beaucoup de deputes poussent pour reduire les allegements, plutot que l'inverse. Villepin aurait donc eu moins de problemes avec la rue, mais peut-etre davantage de problemes avec les deputes de son camp, qu'il a deja du mal a amadouer...
Mais ceci milite justement pour ton article : il ne faut pas que l'argument betement budgetaire l'emporte sur l'argument d'efficacite economique, et les economistes peuvent peut-etre pousser un peu en ce sens.
Rédigé par : Corinne | 13 mars 2006 à 11:37
En qualifiant les jeunes de banlieues de "peu eduqués et peu socialisés", on pose implicitement la question de la formation des jeunes en question. Il y a ici un levier politique important: la politique éducative dans les banlieues.
Un effort bien ciblé dans l'éducation et l'aide à l'orientation est un élément de réponse important. A partir d'une expérience associative ( http://tremplin.polytechnique.org ), j'ai pu constater d'ailleurs que tous les espoirs sont permis, et qu'avec des conseils et une aide bien ciblés, on voit des "jeunes de banlieue" réussir des études d'excellent niveau ( http://tremplin.polytechnique.org/orientation.html ).
Je m'éloigne un peu du sujet central de ce post, mais alors que de nombreuses actions (des initiatives qui ne viennent pas du pouvoir central) sont en cours de mise en place en France pour effectuer du tutorat dans les lycées sensibles (outre l'association Tremplin que je viens de citer, on peut noter le programme de l'ESSEC "Une Prépa, une Grande Ecole, pourquoi pas moi" qui essaime dans d'autres écoles, l'association "Réussir Aujourd'hui", des concours spécifiques - Convention ZEP de Sciences Po, Concours ENSAM,... ), pourquoi pas un post sur l'accès aux grandes écoles des jeunes de zones difficiles? Il y a débat en France actuellement sur les moyens d'actions à choisir.
Rédigé par : Jean-Marc | 13 mars 2006 à 12:37
* Corinne : je me suis peut-etre mal exprime dans le Figaro. Je ne pense pas que "la baisse du cout du travail est preferable a toute reforme du code du travail". Je ne suis pas loin de penser, en revanche, que la baisse du cout du travail est preferable a toute reforme *reellement envisageable a court terme* du code du travail. Mais j'accepte les arguments sur le cout budgetaire (largement exagere par l'habitude navrante de ne presenter que les couts "ex ante", qui ne comptent que les depenses et pas les recettes : avec cette methode, plus la baisse du cout du travail reussit a reduire le chomage et plus son cout budgetaire est eleve !), ainsi que sur la necessite politique qu'il y a pour un aspirant president a "faire un coup" en lancant une nouvelle experience, quitte a se tirer dans le pied...
* Jean-Marc : je salue le travail de votre association. Je considere (je l'ai ecrit dans le panel "French riots" du SSRC, je crois) que les ZEP restent sous-financees ; et je suis pret a soutenir (avec des garde-fous) une certaine affirmative action en ce domaine. J'avais deja effleure ce sujet (http://bsalanie.blogs.com/economie_sans_tabou/2005/11/laction_affirma.html), mais j'y reviendrai plus en detail.
Rédigé par : Bernard Salanie | 13 mars 2006 à 13:24