Turgot, avant même de devenir le contrôleur général des finances de Louis XVI, en avait décidé, à sa manière bien peu politique :
C’est au public lisant et réfléchissant qu’il faut parler, c’est à lui qu’il faut plaire, lui et lui seul qu’il faut persuader ; toutes les flagorneries aux gens en place, tous les petits détours dont en s’enveloppe pour ne pas les choquer sont une perte de temps écartant du vrai but et ne réussissant même pas à faire sur eux l’impression qu’on s’est proposée.
Cette approche ne lui a pas vraiment porté bonheur, puisqu'il a été renversé au bout de deux ans. Mais ses idées ont fini par triompher (après sa mort) dans la première phase de la Révolution. Je crois toujours qu'il avait raison. Les décideurs politiques se fonderont toujours en priorité sur les retombées électorales de leurs actes (publics !) ; et celles-ci dépendent de la facon dont l´électorat a été informé. Mieux vaut donc traiter les causes plutôt que les symptômes.
Il faut pas forcément mettre tous les politiques dans le même sac (entre un Mendes France qui reste 6 mois mais laisse une trace durable, et un président actuel qui reste des décennies sans laisser grand chose).
Cela dit tout corps répond aux incitations qu'il recoit, avec d'autant plus de rapidité qu'il est soumis à une concurrence interne forte. Or en politique les décisions (et la mesure de leur efficacité) sont complexes, les electeurs ne disposent pas forcément du temps pour faire une analyse détaillée, et le niveau de concurrence est faible : en droit de la concurrence la création d'un parti unique tomberait sous la loi des cartels, les accords électoraux (tu laisses passer ma loi, en echange de quoi je ne critique pas la tienne) seraient punis en tant qu'entente. Plus sur ce sujet dans le livre suivant
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/2259203507/qid%3D1138969584/sr%3D8-8/ref%3Dsr%5F8%5Fxs%5Fap%5Fi8%5Fxgl14/171-4361457-7796230
De ce point de vue le rajeunissement (qui raccourcira la durée de vie et renforcera la concurrence), la féminisation (qui augmente aussi la concurrence) et la multiplication des médias totalement indépendants financierement (les blogs notamment) sont salutaires !
V
Rédigé par : V | 12 février 2006 à 14:16
Je me suis souvent demandé si un scientifique pouvait concevoir qu'avoir raison trop tôt ou trop tard, c'est avoir tort. Au pire, un non-scientifique se consolera en se disant que sur un laps de temps suffisamment long, toute proposition finit par devenir vraie à un moment et fausse à un autre.
Rédigé par : Flaff | 13 février 2006 à 07:47
Un scientifique peut accepter qu'il n'y a pas de raison absolue - surtout en sciences sociales - mais plutot des raisons, qui peuvent diverger en raison d'objectifs différents.
Le consensus mou est souvent la meilleure option de court terme. La vérité peut etre blessante, et parfois ne pas etre le meilleur outil pour favoriser l'action. On peut avoir raison par rapport à la vérité scientifique, et tort par rapport à l'impératif d'action et de progrès.
Plutot que Turgot je me référerais à un penseur plus contemporain sur la notion de relativisme de la vérité
"Dans les situations critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Y'a des statistiques là-dessus"
Michel Audiard (1920-1985)
Rédigé par : Murf | 13 février 2006 à 15:38
"On peut avoir raison par rapport à la vérité scientifique, et tort par rapport à l'impératif d'action et de progrès."
Ha, oui, ma grand-mère aurait sans doute dit "Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.". Reste qu'il doit y avoir matière à faire rien qu'avec les vérités à dire : par exemple, celles au sujet desquelles on peut raisonnablement espérer qu'elles ne nuisent pas. Ceci avait peut-être échappé à Turgot.
Rédigé par : Flaff | 13 février 2006 à 17:21
Une suggestion à B. Salanié qui n'a rien à voir avec le sujet de ce post. Je ne sais pas pour les autres lecteurs de ce blog, mais je serais pour ma part favorable à ce que vous fassiez un tout petit peu plus de posts d'analyse de l'actualité économique française, européenne, américaine ou mondiale (le CPE, la directive bolkenstein, la TVA sociale, ce genre de choses...)
Rédigé par : Xavier | 13 février 2006 à 17:22
Turgot mélange 2 questions.
1. Expliquer ou flatter?
2. Viser le public ou les élites?
Petit jeu. Placer les hommes d'état occidentaux sur cette grille de lecture à 4 cases. Je commence:
Expliquent au public : De Gaulle, FDR, Churchill...
Flattent le public : Chirac, Mitterrand, Clinton...
Expliquent aux élites : Rocard, Mendes, Gore...
Flattent les élites : W, Berlusconi...
J'ai du mal à placer Blair et à trouver un Français pour la 4e catégorie. Qui m'aide?
Rédigé par : Xavier | 14 février 2006 à 05:55
de Gaulle explique au public ??? Plutôt la catégorie 5: "méprise la flagornerie et estime ne devoir d'explications à personne" amha :-)
Juppé pour la catégorie 4 ? DSK ? (peut-être plus maintenant)
Blair a évolué de 2 (flatte le public) à 5.
LSR
Rédigé par : Elessar | 14 février 2006 à 08:05
4e catégorie : Balladur, Breton
Rédigé par : W | 14 février 2006 à 15:23
Xavier, vous avez raison, je mets CNE-CPE à mon programme ! Quant à la TVA sociale, qu'est ce que c'est ?
Rédigé par : Bernard Salanié | 15 février 2006 à 00:15