L'Insee publie une note intéressante sur le patrimoine des Francais. C'est un aspect sur lequel, dans mon expérience, le grand public a des idées grossièrement fausses---pas mes lecteurs, bien sûr, mais vous connaissez sans doute quelqu'un qui...:-) Le patrimoine net du ménage francais "moyen" (ce qui cache, en l'espèce, une dispersion importante) est d'environ 270 000 euros, une fois retranchés ses 35 000 euros de dettes (des emprunts, pour l'essentiel). Pour mémoire, le seuil de l'Impôt de la Solidarité sur la Fortune est de 732 000 euros, en "patrimoine taxable", soit trois à quatre fois plus compte tenu des actifs non imposés. Ces 270 000 euros représentent environ six ans de revenu disponible pour le ménage moyen.
Le patrimoine brut de ce ménage moyen est largement orienté vers les logements et les terrains (180 000 euros) ; il détient aussi 110 000 euros d'actifs financiers, dont un tiers consiste en fait en dépôts bancaires et autres. Finalement, il n'a placé que 70 000 euros sur les marchés financiers, dont plus de la moitié en assurance-vie. Un américain doté du même patrimoine brut aurait des dettes plus importantes (55 000 euros) ; il lui resterait 250 000 euros, qu'il placerait de manière très différente :
90 000 euros en logement et terrains, 160 000 en actifs financiers, parmi lesquels il y aurait 70 000 euros d'actions et 40 000 euros investis dans des fonds de pension.
Faut-il en déduire que le Francais moyen conserve son comportement traditionnel : la terre, la pierre et les placements financiers de père de famille ? C'est en partie vrai, notamment au vu des choix de placements financiers. En ce qui concerne la part du logement, c'est moins clair. Pour la plupart des gens dans les pays riches, le logement est l'investissement le plus risqué (en terme de variance non diversifiable) qu'ils pourront faire. Il fluctue certes beaucoup moins à court terme que les cours boursiers ; mais il est aussi beaucoup moins liquide qu'un placement financier, et il connaît des fluctuations très importantes. En 1995, le logement moyen, avec son terrain, ne valait que 100 000 euros, contre 180 000 aujourd'hui. Le ménage Francais moyen y a "gagné" (en valeur latente...) la bagatelle de dix-huit mois de revenus ! Ce genre de fluctuation joue un rôle beaucoup plus important dans le "revenu permanent" des ménages que n'importe quelle variation cyclique du pouvoir d'achat (au sens habituel du terme), ou qu'une augmentation de salaire permanente de 2 ou 3%.
La valeur du patrimoine immobilier, pour ceux qui ne possèdent que leur logement, est une grandeur à part.
Si le prix de l'immobilier monte, vous pouvez avoir l'impression de devenir plus riche. Mais ce n'est qu'une impression. Si vous vendez votre logement, vous toucherez plus d'argent, mais vous devrez en dépenser davantage pour vous reloger, à moins de coucher dehors.
C'est pourquoi l'inclusion de la résidence principale dans l'ISF est inique: c'est un impôt sur l'inflation immobilière. De même, on ne peut évaluer le patrimoine des gens sans tenir compte de cet effet.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 06 janvier 2006 à 11:26
La note citée attire l'attention sur la difficulté à comparaison internationale liée aux structurations différentes du financement des retraites ; voir aussi le débat récent lancé par des parlementaires sur la prétendue "dette occulte" de l'État liée au financement des retraites des fonctionnaires.
On pourrait imaginer une comptabilisation différente, forcément entachée d'arbitraire, qui ajouterait au passif de l'État la retraite des fonctionnaires, au passif des entreprises privées et des travailleurs les plus jeunes la retraite des salariés non fonctionnaires, à l'actif des travailleurs les plus âgés et des retraités les droits à retraite acquis.
Changè-ce les ordres de grandeur ? L'adjonction à l'actif des ménages d'une estimation des retraites que paiera l'État dans les prochaines années et des parts employeur des cotisations retraites que paieront les entreprises serait-elle significative ? Y aurait-il un effet significatif sur la moyenne par ménage des différences de proportions d'appartenance à des ménages unipersonnels pour les jeunes/les moins jeunes/les vieux ?
Rédigé par : Zartos | 06 janvier 2006 à 11:52
Ces différences ne sont-elle pas en partie liées à des différences en matiere d'assurance vieillesse (meme si elle ne fait pas l'objet de provisions pour le regime general, on peut considerer qu'une partie des cotisations payées sur la durée de vie revient à constituer une "épargne" - qui est capitalisée pour les régimes complémentaires). Il serait intéressant de corriger de cet effet. A-t-on un chiffrage ?
Par ailleurs les francais disposent collectivement d'un patrimoine national (egalement estimé par l'INSEE, même si c'est difficile à estimer précisément) qui me semble plus important, proportionnelllement que l'équivalent US.
Certes, il y a en face une dette publique pas négligeable.
Rédigé par : V | 06 janvier 2006 à 12:58
Ne faudrait-il pas intégrer dans ce calcul les dividendes virtuels que les ménages touchent en occupant un logement dont ils sont propriétaires ?
Même si un calcul de ce type est riche en difficultés (le taux des loyers est endogène à l'offre de logements, les services fournis par un logement ne sont pas les mêmes en France et aux États-Unis,etc.), je me demande si on ne pourrait pas retomber sur un ordre rationnel des placements financiers par les ménages.
Rédigé par : leconomiste | 07 janvier 2006 à 05:07
Concernant l'ISF, je ne trouve pas anormal de considérer comme fortuné quelqu'un qui réside dans une habitation qu'un travailleur mettait plus de 54 ans à se payer en y consacrant l'intégralité de salaire net.
Mais peut-être suis-je une sorte de communiste aigri, après tout. Vous ne m'en voudrez par contre pas trop, en tant que travailleur, de tout faire pour que veiller à facturer mes prestations proportionnellement à votre fortune ? Il me semblerait dès lors logique de libéraliser totalement les honoraires des prestations aux personnes, des services de proximité et de l'énergie, par exemple.
Rédigé par : Flaff | 07 janvier 2006 à 09:27
Je n'ai pas saisi le sens de "patrimoine du ménage moyen".
S'agit-il d'un patrimoine moyen ou médian?
Rédigé par : ur | 08 janvier 2006 à 05:05
cher B.S
en math on appelle "moyenne" la somme des valeurs d'une variable aleatoire divisee par le nombre de ces variables aleatoires ==> j'imagine donc que vous voulez parler du patrimoine moyen des menages plutot que du patrimoine du menage moyen...ce qui ne veut rien dire vu que le patrimoine suit une loi-puissance type pareto et que la tres grande majorite des menages est loin,meme tres loin [et en dessous] du patrimoine moyen...par exemple si on prend 10 menages dont un a 1.000.000 d'euros et 9 ont 0 ,le patrimoine moyen est 100.000 euros et 90% des menages sont en dessous de cette moyenne...combien de menages francais ont plus que le patrimoine moyen de 270.000 euros ?
Rédigé par : jck | 08 janvier 2006 à 14:15
* RM : vous partez de l'idée que si j'ai acheté un appartement de caractéristiques C en 1980 pour 200 000 euros et que son prix en 2000 est 300 000 euros, je n'ai rien gagné puisque si je déménage pour un appartement de mêmes caractéristiques en 2000, il me faudra vendre à 300 000 pour racheter à 300 000 (sans parler des coûts de transaction). C'est en partie juste, bien sûr : le logement a ceci de particulier qu'il faut bien habiter quelque part (alors que je peux échanger une action IBM contre des bananes sans nuire à mes conditions de vie). Mais maintenant que le prix de tous les logements a augmenté (et à supposer que j'anticipe qu'il reste constant) je dois rationnellement choisir de vendre mon appartement C pour acheter un appartement C' de caractéristiques moins favorables. J'y perds bien sûr en qualité de logement, mais je réalise une plus-value qui me permet d'acheter plus de bananes, par exemple. Application numérique : l'utilité que j'attribuais à un studio en 1980 était de 80 000 euros, et de 220 000 euros pour un deux-pièces. Comme les prix étaient de 100 000 pour un studio et de 200 000 pour un 2P, j'ai rationnellement acheté un 2P (valeur nette pour moi 20 000 euros, contre -20 000 pour un studio). En 2000, mes préférences n'ont pas changé (élément clé : je n'ai pas eu deux enfants entre temps...). Mais les prix ont été uniformément multipliés par 1,5 : je peux vendre mon 2P pour 300 000 euros et acheter un studio à 150 000. J'y perds 140 000 euros d'utilité (220 000 - 80 000), mais j'ai récupéré 150 000 euros (300 000 - 150 000), gain net de 10 000 euros.
Ce raisonnement est parfaitement général. Un consommateur est demandeur net et les augmentations de prix sont toujours mauvaises pour lui ; mais un propriétaire est vendeur net et donc la hausse de prix du logement est bonne pour lui. Of course, si j'étais célibataire en 1980 et père de famille nombreuse en 2000, je suis demandeur net bien que propriétaire, et j'y perds.
* jck : vous êtes gentil de me donner la définition de la moyenne, j'adore apprendre des choses nouvelles :-) Bien sûr, par "patrimoine du ménage moyen" j'entends "patrimoine moyen du ménage". Mais y a-t-il une autre définition possible ? C'est ainsi qu'on fait depuis Quételet (1835), et bien sûr ce n'est qu'une des caractéristiques de la distribution des patrimoines. Je suppose que vous êtes plus intéressé par le patrimoine médian des Francais (50% de ménages au-dessus, 50% en-dessous). A mon sens ce doit être entre 150 000 et 200 000 euros.
Rédigé par : Bernard Salanie | 09 janvier 2006 à 09:36
B.S
Effectivement le patrimoine median serait + interessant ou encore le nombre de menages au dessus du patrimoine moyen...au pif je dis 1750000 menages au dessus du patrimoine moyen et patrimoine median dans le bas de votre fourchette a 120/140 k
Rédigé par : jck | 09 janvier 2006 à 10:36
J'ajoute ce lien:
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP985.pdf
ou il y a un tableau donnant la distribution du patrimoine global du menage, la mediane semble etre autour de 100 k
Rédigé par : jck | 09 janvier 2006 à 11:14
Zartos.
Cela fait pas loin de 15 ans que les normes comptables internationales obligent les entreprises à provisionner leur engagements de retraite. Le calcul est tout sauf arbitraire. On utilise des méthodes classiques d'actuariat en tenant compte entre autres des salaires, de l'ancienneté, du taux de turn-over et des tables de mortalité...
Le résultat change fortement les ordres de grandeur. Plus les salariés ont de l'ancienneté et plus le régime de retraite est généreux, plus la charge est importante. Cela a failli torpiller l'IPO d'EDF. La dette de retraite représentait environ 60 milliards d'euros, ie cela bouffait la totalité de la valeur de la société (market cap : 62 milliards à la clôture du 11 janvier)
Cette "dette occulte" de l'état (ou des entreprises) n'est absolument pas prétendue. Elle représente le chiffrage d'un engagement certain et inaliénable, sauf à ce que l'Etat (ou l'entreprise) se mette en faillite.
Il y aurait des traités entiers à écrire sur les insuffisances et les aspects pervers de la comptabilité publique française. En deux mots, elle a tendance à raisonner en termes de flux financiers immédiats et à négliger les actifs et passifs à plus long terme. Exemples : si j'investis 10 milliards dans une centrale nucléaire ou des fermes d'éoliennes qui me fourniront de l'énergie bon marché pendant 30 ans, je dégrade mon déficit de 10 milliards. Si je vends à un acteur privé pour 10 milliards une société d'autoroute qui m'aurait généré des dividendes pendant 30 ans, je réduis mon déficit de 10 milliards. Si je négocie avec les syndicats de fonctionnaires qu'ils renoncent à une grève en contrepartie d'une augmentation de traitement qui va coûter 1 milliard par an pendant 20 ans, j'assure ma réélection sans impacter mon déficit significativement. En revanche, si j'entre en conflit (lire : grève générale) avec ces mêmes syndicats pour obtenir une réforme des retraites des fonctionnaires qui va réduire les dépenses de l'état de 5 milliards par an, je ne peux même pas me féliciter d'une baisse significative du déficit.
Ce système de comptabilité est une incitation directe à ce que nos dirigeants hypothèquent le futur au profit du présent. Comme disent les Anglo-Saxons, you get what you measure. Si l'instrument de mesure est défectueux, le diagnostic sera erroné et le traitement inadapté. Si maintenant on ajoute la possibilité que nos dirigeants puissent ne pas être totalement intègres ou dévoués au bien commun...
Rédigé par : Xavier | 11 janvier 2006 à 13:43
C'est moi qui perds la tête ou 180 000 + 110 000 ça fait 290 000 et non 270 000 ?
Rédigé par : pikipoki | 12 janvier 2006 à 05:05
Ah là là, ce que vous êtes tatillon... 270 000, c'est le patrimoine net. 180 000 +110 000 + des bricoles (!), c'est le patrimoine brut (305 000). Et puis, avouons-le, en économie la différence entre 270 et 290 est du second ordre :-)
Rédigé par : Bernard Salanie | 13 janvier 2006 à 00:31
Ces commentaires sont très intéressants et on peut rapprocher les chiffres de ceux de la dettes publique.
Voir le lien suivant: http://www.wikipol.fr/index.php?title=Dette_de_l%27Etat
Rédigé par : Xavier | 09 janvier 2007 à 08:42