Avant de partir de France, j'ai acheté, sans bien savoir ce que c'était, un livre intitulé Mémoires du capitán Alonso de Contreras (1582-1633) :
Il s'agit en fait d'une narration de ses aventures que ledit Alonso a rédigé à la va-vite, en onze jours nous dit-on, et sans doute à l'instigation de Lope de Vega. Je m'attendais à un récit picaresque-z-et pittoresque. En fait, c'est d'un style extrêmement plat : Alonso, moitié-noble pauvre, n'était pas doté d'un capital culturel très abondant. Il n'empêche qu'on reste bouche bée devant son récit, pas vraiment à cause de ses rebondissements, mais simplement par ce qu'il révèle de l'univers mental d'un soudard de l'époque de la terrible Guerre de Trente Ans---qui servit aussi avantageusement les Chevaliers de Malte. Notre capitán oscille entre la religiosité de son temps (voir plus loin) et une cruauté qui semble plus tenir de l'insensibilité que du sadisme. Sa carrière commence à quinze ans quand il tue un gosse qui l'avait offensé :
Comme il me semblait que ne lui faisais pas de mal, je le retournai la bouche en l'air et lui donnai dans les tripes.
Déjà consciencieux, comme on voit. Dans un siècle plus proche de nous, il se serait peut-être engagé dans la Légion ; lui se carapatte dans les troupes du prince cardinal Albert (non, pas celui de Paris Match). Et c'est parti pour une existence passée essentiellement dans des escarmouches sans grand sens apparent contre ceux contre qui on l'envoit. Le grand problème dans cet existence, c'est qu'on n'est pas payé très régulièrement, si bien évidemment qu'on pille sans réserve. Parfois, cela ne suffit pas, et il faut tuer la faim avec des jeux qui ne réclament qu'un équipement très minimal :
...on faisait un cercle grand comme la paume de la main et, au centre, un autre petit cercle petit comme un réal d'argent ; tous les joueurs posaient au centre de ce petit cercle un pou et chacun surveillait le sien, pariant de grandes sommes sur lui. Le pou qui sortait le premier du grand cercle remportait toute la somme...
Il y a aussi les femmes. Ce sont essentiellement des prostituées, les quiracas. Alonso en a installé une "à lui" dans une petite maison ; et somme toute, peut lui chaut de ce qu'elle fait quand il voyage. En revanche, le jour où il rentre à l'improviste et la trouve au lit avec un amant, il les tue tous les deux avant de repartir---tout ceci raconté en deux lignes d'une admirable sobriété, on a tout de même d'autres chats à fouetter.
L'épisode le plus étonnant est l'année qu'il passe en ermite. Au début, il semble y être surtout conduit par la nécessité de se faire oublier après un nouveau meurtre ; mais il y prend du goût et (sans aller jusqu'à prêcher) semble faire un saint homme très convaincant---ce qui ne l'empêche pas de replonger dans les tueries quand on le lui propose. Cet homme-là n'est vraiment pas Hamlet.
Comme le dit Ortega y Gasset dans son excellente postface, tout ceci est par trop invraisemblable... et pourtant tout a été vérifié par les historiens. A lire, ou au moins à feuilleter.
Si ce n'est déjà fait, lisez la série des Sharpe de Bernard Cornwell :
http://www.amazon.com/gp/richpub/listmania/fullview/2919MH58TWLC8/102-5731018-6924933?%5Fencoding=UTF8
Cela devrait vous plaire.
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 20 décembre 2005 à 17:05
J'en ai entendu parler ; mais je crois que je préfère les récits vécus (comme dans People, en somme). Et les couvertures des livres font un peu kitsch, vous ne trouvez pas ? Dans le genre fiction, je préfère les Aubrey/Maturin, même quand on se bat contre nous :
http://www.wwnorton.com/pob/pobhome.htm
Et il doit bien rester une dizaine de Dumas que je n'ai pas encore lus...
Rédigé par : Bernard Salanié | 22 décembre 2005 à 04:53
Dans les "Sharpe" aussi, on se bat contre nous. Sur le plan littéraire les Sharpe sont effectivement inférieurs aux Aubrey-Mathurin; ils n'en restent pas moins une description extraordinaire de la guerre d'Espagne, de l'armée britannique, de la tactique militaire à l'époque napoléonienne. L'auteur a un vrai talent pour raconter des batailles avec un très haut degré de réalisme. Cela en fait un ensemble très agréable à lire et instructif. Quant aux couvertures, dans les versions que l'on peut trouver en France, ce sont des morceaux de tableaux plutôt agréables à regarder (je reconnais que les versions américaines sont assez terribles).
Dans le genre napoléonien, cela dit, le must est ce livre :
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/2082104397/qid=1135253762/sr=8-1/ref=pd_ka_0/402-7780635-5969769
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 22 décembre 2005 à 07:21