Lorsque je prônais le "non" au référendum sur la Constitution Européenne sur ce blog au printemps dernier, nombre de mes amis étaient horrifiés et me traitaient d'irresponsable. Contrairement à moi, ils adhéraient au fameux "principe de la bicyclette": si on n'avance plus, on tombe. C'est effectivement ce principe qui a régi la construction européenne depuis la CECA en 1950 : les signataires du traité de Maastricht se déclaraient encore "résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe", et le préambule du traité constitutionnel affirmait que ces mêmes signataires étaient "persuadés que les peuples d'Europe, tout
en restant fiers de leur identité et de leur histoire nationale, sont résolus à
dépasser leurs anciennes divisions et, unis d'une manière sans cesse plus
étroite, à forger leur destin commun".
Après les votes francais et néerlandais, il semble clair que le rêve de Jean Monnet (les Etats-Unis d'Europe) a pris fin. Faut-il s'en désoler ? Pas du tout, écrit Andrew Moravcsik (professeur de sciences politiques à Princeton) dans le numéro de novembre 2005 de Current History---accès payant, désolé. Comme je l'avais écrit moi-même, le traité constitutionnel marquait une rupture avec le processus très pragmatique qui avait marqué la construction européenne jusqu'alors : dans une espèce d'égarement collectif, les conventionnels s'étaient crus à Philadelphie en 1787 et s'enivraient de grands principes au milieu de l'indifférence générale des peuples concernés.
Il faut savoir raison garder. L'Union Européenne a un budget inférieur à 2% du PIB de la zone ; elle ne régit que les domaines qui importent le moins dans les débats politiques nationaux (ni la fiscalité, pour l'essentiel, ni les retraites, ni les systèmes de santé, ni la défense, ni la politique étrangère). Moravcsik rapporte que sur les 18 mois (!) de débats des conventionnels, l'extension des compétences de l'Union n'a mobilisé que... deux jours (contre plusieurs mois pour la mention de la religion dans le préambule). Le vote négatif n'a entraîné aucune des conséquences dramatiques prédites. L'adhésion de la Turquie s'annonce très difficile---y a-t-il quelqu'un qui puisse en être surpris ? Celles de la Bulgarie et de la Roumanie sont toujours sur les rails. L'Europe va en revenir, pour longtemps sans doute, à son mode de gestion fondé sur le pragmatisme et sous une surveillance accrue des peuples. Et c'est très bien comme cela, à mon sens.
Pour la fiscalité, la TVA à l'air de relever de l'UE, mais je ne sais pas exactement comment : les médias ont l'air de dire qu'il faut une autorisation européenne pour changer un taux de TVA sur un domaine particulier en France.
Rédigé par : guerby | 20 novembre 2005 à 09:24
Si ma mémoire est bonne, le budget est à environ 1,04% du RNB européen, ce qui est assez ridicule si l'on se dit qu'une grande partie sert à financer la PAC.
Pour ce qui est de la TVA, il me semble que l'Union fixe des minima et maxima, ainsi que les domaines dans lesquels les Etats peuvent appliquer une TVA réduite. (comme sur la presse, par exemple).
Il me semble que le traité simplifait pas mal de choses et était plutôt bon. Cependant, je réjoins BS sur le fait qu'il était temps que les eurocrates et autres euromaniaques se rendent compte qu'il existe une réalité sous les concepts et comprennent que les peuples se posent des questions.
Ce qui me frappe, pour cotoyer des fonctionnaires européens, c'est à quel point ils sont persuadés (et il ont peut-être malheureusement raison), que le contenu du traité passera sous d'autres formes, et que rien ne peut arrêter la construction. Les référendums sont un contre temps fâcheux mais vraiment pas insurmontable à leurs yeux. Les peuples n'ont de toute façon rien compris, il ne faudrait tout de même pas s'y arrêter (pensent-ils).
Rédigé par : bliblo | 21 novembre 2005 à 05:26
bliblo, merci pour ces précisions, si tu as une URL d'un document précisant les règles européennes sur la TVA je suis interessé.
Rédigé par : guerby | 21 novembre 2005 à 16:36
Sur la TVA : elle peut etre percue "a la source" (dans le pays de production) ou "a la destination" (dans le pays de consommation). L'UE aurait pu adopter le second principe ; alors la TVA n'aurait eu aucune consequence sur le commerce entre pays membres, puisque une voiture achetee en France aurait toujours ete taxee a 18,6%, qu'elle ait ete produite en France ou en Belgique. Bien sur, si la France avait un taux de TVA sur les voitures plus bas que la Belgique, on risquait de voir les Belges traverser la frontiere pour acheter en France. Au moment de la creation du Marche Unique, on a juge que cela ferait mauvais effet ; d'ou l'adoption, a l'origine temporaire, du principe de taxation a la source. Mais il creait effectivement des distorsions de concurrence (les Belges pouvaient rendre leurs voitures plus competitives en reduisant leur TVA), si bien qu'on a limite les plages des differents taux possibles, avec bien sur toutes sortes d'exceptions et de regles speciales---cf l'annexe H (dans mon souvenir) ou on a loge les services que le gouvernement francais voulait taxer moins lourdement.
Rédigé par : Bernard Salanie | 21 novembre 2005 à 23:54
Je vous rejoins sur l'idée que le rejet du texte n'a pas eu les conséquences cataclysmiques annoncées. Mais je pense que, dans l'intérêt pragmatique que vous citez, il fallait voter le titre I, qui avait l'avantage de clarifier la position de la Commission et du Parlement.
Sinon, Baldwin avait signé un texte marrant sur le fameux plan B : http://www.unizar.es/euroconstitucion/library/working%20papers/Baldwin.pdf
Rédigé par : François | 25 novembre 2005 à 18:15