"Publish or perish", c'est la consigne donnée aux jeunes chercheurs dans les universités américaines (et, de plus en plus, dans d'autres pays, sauf naturellement la France où le défaut est à l'inverse). Ce que savent moins ceux qui n'ont jamais essayé de publier un livre (qui se voulait) grand public, c'est que ce monde-là est encore plus cruel. Cet article de la New York Times Book Review le montre très bien ; je m'y suis souvent reconnu, sinon sur les ambitions tout à fait hors de ma portée de l'auteur putatif, tout au moins sur ces points :
- un compte-rendu positif vous fait rentrer dans une dangereuse spirale d'accoutumance : le deuxième vous fera moins plaisir, et l'absence du troisième vous abattra ;
- l'auteur passe des heures autoérotiques à se Googler et à vérifier ses ventes sur Amazon (et à les comparer à celles de Bernard Maris, je vous assure que c'est déprimant :-(
- il rend visite à des librairies et met son livre (quand il est en rayon...) en bonne position---moi non, mais certain(e)s de mes proches... je n'en dirai pas plus.
Tout ceci pour pas grand chose, sur le plan financier : le pourcentage de livres (en tous domaines) qui dépassent les mille exemplaires est tout à fait dérisoire ; mille exemplaires avec des droits d'auteur de 15% (version très généreuse), cela donne environ 3 000 euros, soit trois mois au Smic. Et il y a pourtant une offre apparemment croissante d'auteurs qui y consacrent leurs nuits (sans parler de ceux qui poursuivent l'effort sur un blog ! faut-il aimer la gloire...). Montesquieu l'écrivait déjà (en 1721) dans les Lettres Persanes (XXVI) :
La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit, et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. [...] Cependant il n’y a rien de si mal imaginé : la Nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères, et les livres les immortalisent.
Ah la propriété intellectuelle qui permets la rémuneration juste des auteurs, euh oops pardon, des intermédiaires bien capitalisés bien sur.
Pour citer un économiste communiste célèbre :
"Just to illustrate how great out ignorance of the optimum forms of
delimitation of various rights remains - despite our confidence in the
indispensability of the general institution of several property - a few
remarks about one particuilar form of property may be made. [Hayek then
introduces immatierial recently invented property rights invented as
example literary productions and technological inventions.]
"The difference between these and other kinds of property rights is
this: while ownership of material goods guides the user of scarce means
to their most important uses, in the case of immaterial goods such as
literary productions and technological inventions the ability to produce
them is also limited, yet once they have come into existence, they can
be indefinitely multiplied and can be made scarce only by law in order
to create an inducement to produce such ideas. Yet it is not obvious
that such forced scarcity is the most effective way to stimulate the
human creative process. I doubt whether there exists a single great work
of literature which we would not possess had the author been unable to
obtain an exclusive copyright for it; it seems to me that the case for
copyright must rest almost entirely on the circumstance that such
exceedingly useful works as encyclopaedias, dictionaries, textbooks and
other works of reference could not be produced if, once they existed,
they could freely be reproduced.
"Similarly, recurrent re-examinations of the problem have not
demonstrated that the obtainability of patents of invention actually
enhances the flow of new technical knowledge rather than leading to
wasteful concentration of research on problems whose solution in the
near future can be foreseen and where, in consequence of the law, anyone
who hits upon a solution a moment before the next gains the right to its
exclusive use for a prolonged period."
The Fatal Conceit: The Errors of Socialism, 1988 (p. 35)
Je n'ai pas vérifié l'exactitude de la citation trouvée sur le web. J'aime bien "I doubt whether there exists a single great work of literature which we would not possess had the author been unable to obtain an exclusive copyright for it" qui me semble s'appliquer ici :)
Laurent
Rédigé par : guerby | 25 octobre 2005 à 16:43
Jolie citation. Je pense qu'Hayek avait raison sur ce point (il y a des doutes sérieux sur l'auteur réel de différents passages de "Fatal Conceit", mais peu importe), en général. Mais il y a des exceptions, par exemple de grands romanciers francais comme Dumas évidemment, ou même Balzac. Et qualifier "L'économie sans tabou" de "grande littérature", c'est un peu inattendu mais en tout cas, merci de tout coeur :-)
Rédigé par : Bernard Salanie | 25 octobre 2005 à 20:54
beaucoup de vos collegues recommandent leur livre comme manuel ou lecture utile (sous entendu, le sujet du partiel est traité dedans...)!
avec quelques amphis, cela aide a depasser les mille exemplaires!
Rédigé par : loulou | 26 octobre 2005 à 08:39
Loulou, j'ai des principes, moi, comme disait Bardamu. La concentration des ventes de livres sur quelques auteurs est vraiment extraordinaire, cf cet article:
http://www.nytimes.com/2005/10/26/technology/26amazon.html?th&emc=th
(inscription gratuite sur le site du NYT)
qui suggere que Harry Potter 6 a engendre 20% environ du chiffres d'affaires d'Amazon au 3e trimestre !
Rédigé par : Bernard Salanie | 26 octobre 2005 à 11:41
En effet quelques doutes sur la version finale :
http://libertyunbound.com/archive/2005_03/ebenstein-deceit.html
L'analyse des archives nous en dira plus d'apres l'article.
Rédigé par : guerby | 29 octobre 2005 à 11:55