Le président Bush a remporté l'élection de 2000 sous les couleurs du "compassionate conservatism". Mais le conservatisme revêt ici des formes très diverses et contradictoires. En Europe, on appelle conservateur quelqu'un qui pense que "ce qui est, est pour une bonne raison" : nos institutions, moeurs et coutumes se sont établies après de longs siècles, et elles n'auraient pu le faire si elles n'étaient pas bien adaptées à nos circonstances. (L'argument répandu chez les politiciens francais de tout bord selon lequel telle ou telle mesure "ne correspond pas au tempérament francais" est un bon exemple). Mais beaucoup de "conservateurs" américains sont en fait partisans de très grands changements ; c'est le cas des libertariens, qui prêchent la réduction de l'Etat à ses missions régaliennes, mais également la légalisation des drogues, le mariage homosexuel, etc. Il y a aussi une forte tradition d'"intellectuels conservateurs", alors que la tradition conservatrice européenne est très méfiante à l'égard de l'usage du rationalisme en politique, pour paraphraser Oakeshott. Sur tout ceci, je recommande vivement le livre des journalistes John Micklethwait et Adrian Wooldridge :
Bien entendu, il y a beaucoup plus de "social conservatives" que de militants des droits homosexuels au sein du parti Républicain. L'Amérique pro-Bush comprend une moitié (en gros) de conservateurs sur les deux plans : économique et socioculturel. Mais pour beaucoup d'entre eux, le socioculturel domine. Décus sur ce point par la nomination d'Harriet Miers après John Roberts à la Cour Suprême, ils se retournent vers le plan économique. L'explosion des déficits (budgétaire et extérieur) les inquiétait depuis plusieurs années, mais ils sont de moins en moins prêts à la pardonner à un président qui ne satisfait pas leurs demandes sur le plan socioculturel. Je me demande ce qu'ils penseraient s'ils ouvraient le New York Times Magazine (un organe diabolique à leurs yeux) et lisaient l'interview de Connie Mack, nommé par W à la tête de sa commission de réforme fiscale. De mémoire, en résumant :
Question : vous étiez favorable à l'abolition de l'impôt sur les héritages, comment allez-vous compenser la perte de ressources ?
Réponse : nous emprunterons.
Question : à qui ? les américains n'épargnent plus.
Réponse : je ne sais pas, ... aux Chinois ?
Question : et ca ne vous inquiete pas ?
Réponse : nous sommes un grand pays, rien de grave ne peut nous arriver.
Je ne crois pas qu'un socialiste à l'ancienne, version France 1981, soit jamais allé aussi loin dans l'irresponsabilité fiscale... et pourtant Connie Mack a été deux fois sénateur républicain (de Floride). On se demande ce qui arrivera quand les électeurs américains se rendront compte que certains pays émergents comme la Chine financent l'essentiel du déficit budgétaire américain.
Je croyais que le libertarien était un libéral, qu'on nommait justement ainsi pour ne pas le confondre avec le sus-nommé "libéral", sorte de hippie gauchiste sans morale ni religion.
Rédigé par : all | 26 octobre 2005 à 12:44
Not quite. Le John Stuart Mill de "On Liberty" est le prototype du liberal classique ; Robert Nozick (celui d'"Anarchy, State and Utopia") celui du libertarien. Et beaucoup de mes respectes collegues de Columbia (et moi aussi peut-etre) sont appeles "liberals" aux Etats-Unis---la moitie de gauche du parti Democrate, + les Naderites of course.
Rédigé par : Bernard Salanie | 26 octobre 2005 à 12:53
Sans avoir la moindre idée de la pertinence ou non de ma question, est-il réellement irresponsable d'emprunter quand on est le plus fort de la planète militairement, de loin ?
Lorsque viendra le moment de rembourser, et qu'on changera les règles du jeu pour dire "je ne paie pas" (en enrobant ça de vocabualaire technocratique évidemment, on appellera ça "réforme profonde du système monétaire international" pas "spoliation des gentils créditeurs"), que risque-t-on ?
Rédigé par : Zartos | 26 octobre 2005 à 13:06
Il ne s'agit pas de "je ne paie plus" (encore que les crediteurs pourraient mettre un embargo sur les exportations americaines, par exemple), mais plus simplement d'un refus des Chinois (disons) de continuer a financer le deficit. Cela suffirait a entrainer un ajustement extremement difficile pour les americains (et pas mal d'autres pays dont les economies sont liees a celle des Etats-Unis).
Rédigé par : Bernard Salanie | 26 octobre 2005 à 13:49
"Il ne s'agit pas de "je ne paie plus" (encore que les crediteurs pourraient mettre un embargo sur les exportations americaines, par exemple), mais plus simplement d'un refus des Chinois (disons) de continuer a financer le deficit."
ne vous inquietez pas,les chinois ne financent pas le deficit =>. en fait la contribution totale sur un an de toutes les banques centrales qui ont contibue au financement du deficit est de $40 milliards...source fed:
http://www.federalreserve.gov/releases/bulletin/0905assets.htm
Rédigé par : jck | 26 octobre 2005 à 16:57
jck: je sors un peu de mon domaine et je ne sais pas bien lire ce tableau---il me semble qu'il s'agit de stocks et non de flux. Mais selon mes amis banquiers, depuis plusieurs mois, 1) les residents americains n'achetent presque plus de bons du Tresor 2) ce sont tres largement les pays emergents qui financent le deficit budgetaire americain 3) la Chine est tres en pointe en ce domaine.
Rédigé par : Bernard Salanie | 26 octobre 2005 à 23:34
Il me semble que le premier tableau (3.12) concerne les possessions americaines, et non les investissements faits aux Etats-Unis. La Chine a investi 200 milliards de dollars en obligations d'etat americaines en 2004, et sera sans doute proche de 300 milliards d'investissement en 2005.
Rédigé par : Bruno | 27 octobre 2005 à 03:47
BS:la ligne 2 du tableau 3.13 montre le stock de dette us [tresor] detenues par toutes les banques centrales etrangeres ,ce stock a augmente de $40 milliards en un an => si les chinois ou autres financent le deficit ,cela doit se traduire par une augmentation de leur stock de "treasuries" or ce stock augmente de maniere qui montre que vos affirmations 2] et 3] sont incorrectes [pour cette annee ,c'etait un peu plus vrai pour 2003 et 2004]
Rédigé par : jck | 27 octobre 2005 à 03:54
jck, vous avez raison concernant les obligations d'etat americaines. Le gouvernement chinois investit egalement dans d'autres actifs financiers, qui leur donne un poids important dans l'economie americaine.
Je cite(http://www.epi.org/content.cfm/webfeat_econindicators_capict_20050923):
9/23/2005. The BEA (Bureau of Economic Analyis) reported that foreign official (government) purchases of U.S. assets increased more than three-fold to $330 billion at an annual rate in the second quarter. A bloc of Asian central banks, lead by China, made 68% of all official purchases of U.S. assets in this period.
Voir aussi la colonne de Paul Krugman:
http://www.pkarchive.org/column/052005.html
Rédigé par : Bruno | 27 octobre 2005 à 04:42
bruno:les autres investissements chinois [non-treasuries] ne financent pas le deficit budgetaire us [b.s parle de connie mack,de la taxe sur les heritages et j'assume qu'il parle du deficit budgetaire et non du deficit du compte courant] et les chiffres de la fed montre que l'hypothee que que le deficit budgetaire est finance par les chinois ou les pays emergents est incorrecte
Rédigé par : jck | 27 octobre 2005 à 05:19
jck: encore une fois, je suis plutot d'accord concernant le budget. Mais il faut regarder au-dela des treasuries (notamment, vers les corporate bonds) pour evaluer l'impact du gouvernement chinois sur l'economie americaine, ce qui me parait etre la question la plus importante sur le plan politique.
Rédigé par : Bruno | 27 octobre 2005 à 06:27
Bonjour,
Je ne sais pas trop où placer cette question, et si c'est ici l'endroit, mais en fait je voudrais savoir ce qu'un microéconomiste pense des travaux de Guerrien? L'insistance qu'il porte sur le théorème de Sonnenschein, sur les hypothèses très limitatives des théorèmes d'équilibre général... m'ont toujours semblées troublantes, et fondées, quoiqu'elles utilisent des maths auxquelles je ne comprends pas grand chose. Si le sujet ne vous intéresse pas, où (web, articles, bouquins) au moins pourrais-je trouver une "réponse"?
Merci
mk
Rédigé par : mk | 27 octobre 2005 à 18:13
Cher M. Salanié,
Emprunter est loin d'être aussi stupide que vous le laissez entendre pour les américains car les taux sur les dernières ont été assez faibles, et avec une inflation à 2%, le taux d'intérêt réel est encore plus faible. Comme par ailleurs, la dette américaine est libellé en dollars ! Le problème de la dette est autant ceux des pays prêteurs que celui des USA car comme l'a fait remarquer Milton Friedman à ce propos, être endetté pour une somme libellé dans sa propre monnaie, c'est finalement être endetté auprès de soi-même, sous entendu au pire, un inflation plus forte suffira à réduire la dette... Grosso modo, la dette américaine, c'est le Titanic, sauf que ce sont les américains qui sont en première classe et non leurs débiteurs ! Gare au scénario du naufrage des comptes américains ! Scénario que nous autres opérateurs (et opératrices !!) de marchés commençont à craindre de plus en plus : celui de la Grande Inflation. Le tout est de savoir combien de temps la dette Us est elle soutenable en l'état des niveaux des taux et de l'inflation actuels ?
Cordialement,
Laurence de Sainte Lumière,
Le 28 octobre 2005.
Rédigé par : Laurence de S-L | 27 octobre 2005 à 19:37
* mk : les gens comme Guerrien ont fait carriere aupres du grand public en expliquant que tous les theoremes des economistes reposent sur des hypotheses qui sont clairement fausses. Je crois que personne ne l'a jamais nie. La question est de savoir si les violations de ces hypotheses rendent le modele sous-jacent inutile pour comprendre la realite. Je ne le crois pas ; je pense qu'en faisant un usage humble de ces outils, nous pouvons avancer plus vite et plus loin que ceux qui les recusent---et qui n ont pas grand chose a montrer de leur cote. Prenons le theoreme de Sonnenschein. Il nous dit que si on suppose simplement que l'economie est peuplee d agents rationnels dotes de preferences identiques, on ne peut rien dire d interessant sur les caracteristiques de l equilibre de marche. C est vrai ; cela nous confirme que comme on le savait depuis Slutsky en 1911, le modele de maximisation d'utilite sous-jacent n entraine pas beaucoup de consequences testables si on ne lui ajoute pas d hypotheses---par exemple sur la description des preferences ou la distribution des revenus. Ca ne me parait pas etre une catastrophe majeure. C est comme faire de la physique theorique sans specifier les valeurs des constantes universelles, beaucoup de choses peuvent arriver, et notre existence meme est un phenomene tres improbable...
* jck et ses interlocuteurs : vous en savez beaucoup plus que moi... mais j ai lance deux specialistes sur la question, stay tuned.
* Laurence : la crainte qu on peut avoir, c est le refus des crediteurs habituels de continuer a acheter des bons US---au moins a des taux aussi bas. Apres tout, la Chine par exemple reste plus ou moins sous controle du Parti, qui peut tres bien se retrouver dans un conflit (non arme, esperons) avec les Etats-Unis au sujet de Taiwan. Bien sur, les Etats-Unis pourraient decider de creer de l inflation pour devaluer leur dette, mais je n y crois pas trop. Je ne vois pas bien les americains accepter ce genre de strategie.
Rédigé par : Bernard Salanie | 27 octobre 2005 à 22:40
les américains sont très pragmatiques. Si une inflation plus forte, devient vitale, elle aura lieu. Par ailleurs, pour reprendre une de vos notes postérieures, seuls 30% des importations de capitaux aux US sont d'origine publique.
Cordialement,
Laurence de Sainte Lumière,
Le 31 Octobre 2005
Rédigé par : Laurence de S-L | 30 octobre 2005 à 20:39