(Note amendée après supplément d'information...)
Le gouvernement baisse l'impôt sur le revenu. Il en espère une forte stimulation de l'activité. Qu'en sera-t-il vraiment ? Il est très difficile de le savoir ; mais on a vu relativement grand cette fois. Adoptons, à titre expérimental, l'hypothèse implicite du gouvernement selon laquelle il importe surtout d'accroître les incitations au travail des plus lourdement taxés (c'est-à-dire des plus riches----les plus pauvres, encore plus taxés à la marge, n'entrent pas en ligne de compte s'agissant de l'impôt sur le revenu). Leur incitation à accroître leurs revenus, par exemple en travaillant plus dur pour obtenir une promotion, dépendent du "taux marginal de rétention asymptotique" (TMRA) : cette expression barbare dénote la proportion d'un euro versé à un Francais très riche qui lui reste après tous prélèvements sociaux et fiscaux. Avant la réforme, ce Crésus perdait 28 cents en cotisations sociales ; il acquittait 48% des 72 cents restant, ce qui lui laissait environ 37 cents---d'où un TMRA de 0,37. Il ne paiera désormais que 40% des 72 cents qui lui restent après cotisations sociales ; le TMRA passe à 0,43.
Ce raisonnement fait abstraction, comme c'est l'usage, des taxes sur la consommation (la TVA), sur le logement (taxe foncière et taxe d'habitation), sur la richesse (l'ISF). On peut imaginer que chaque revenu additionnel contribue à la consommation, à la qualité du logement et à l´épargne, qui affectent ces trois impôts. Mais l'effet (négatif) sur le TMRA dépend des choix de dépenses et varie donc beaucoup selon les individus. Hypothèse héroïque : chaque euro net de Crésus donne lieu à 50 cents de consommation taxée à 20%, et à 50 cents d´épargne taxée à 40% (valeur actualisée de l'ISF au taux le plus élevé). On arrive alors (très grossièrement) à un TMRA de 0,3 avant réforme et de 0,35 après réforme---disons, pour arrondir, une augmentation de 15%. Et encore, j'ai négligé les effets du plafonnement des impôts directs qu'on nous promet (enfin, ni à vous ni à moi probablement :-( ).
Bien sûr, une augmentation du TMRA de 15% ne se traduit pas directement par une augmentation de 15% du revenu net tiré d'un euro supplémentaire : il faudrait pour cela que le salaire (horaire, brut) payé à Crésus par son employeur reste inchangé. Les bons manuels de théorie de la fiscalité vous expliqueront que si c´était le cas, il y aurait plus de Crésus potentiels pour offrir leurs services---mais alors les entreprises pourraient les embaucher pour moins cher. Une partie de la baisse d'impôt devrait donc augmenter les profits des entreprises qui emploient des Crésus francais, au moins à moyen terme ; à long terme, cet effet sera atténué par la "ruée" des entreprises sur ces Crésus devenus bon marché.
NB : si vous ne me croyez pas, consultez les bons auteurs :-)
Tout ceci n'est pas facilement quantifiable. Mais même si l'augmentation de 15% du TMRA se traduisait seulement par une augmentation de 10% de l'incitation au travail de Crésus, ce n'est pas rien. Je suis plus sceptique sur l'ampleur à attendre de l'effet résultant sur sa production. Si Crésus est un homme, les études disponibles me conduisent à penser que cet effet ne devrait pas dépasser 3%. Les choses devraient être assez différentes pour les femmes, qu'elles soient des Crésus elles-mêmes ou que (plus souvent sans doute) elles partagent leur foyer fiscal avec un Crésus. Soyons optimiste et disons 5% au total pour la production des foyers concernés. Ce n'est pas négligeable (surtout pour les heureux bénéficiaires, puisque l'augmentation de leurs revenus serait ainsi de 10%+5%=15%---je sais, ce n'est pas la bonne formule). Mais cela ne concerne que les foyers fiscaux les plus riches ; les autres seront moins affectés par la réforme, sans parler de cette moitié des foyers francais qui ne paie pas d'impôt sur le revenu.
(Après vérification) il semble qu'en fait la baisse du "taux marginal de rétention" soit vraiment nettement plus faible, voire inexistante, pour la plupart des foyers fiscaux. Ergo, même en prenant en compte une contribution à la production nationale plus élevée des plus riches (après tout, c'est pour cette raison qu'ils sont riches, en moyenne), il m'est difficile de croire que l'augmentation résultante du PIB peut dépasser 1%. Chacun peut juger si c'est peu ou beaucoup. Il fat nouter à cet égard qu'il s'agit d'un gain permanent : actualisé, cela donne, toujours en gros, un gain de production de 100 à 200 milliards d'euros. Il faut en retrancher la valeur du loisir perdu : si je travaille une heure de plus, je gagne une heure de salaire, mais je perds la valeur que j'attribue à faire des calculs approximatifs sur ce blog. Il faut aussi prendre en compte le fait que les recettes perdues---je ne fais pas partie de ceux qui croient que nous sommes à droite du sommet de la courbe de Laffer---devront bien être compensées un jour.
Et pendant ce temps, à gauche... DSK livre toute la profondeur de sa pensée économique (officielle tout au moins) au Monde. Le résultat est assez désolant. DSK a été un très bon ministre des finances selon moi. Mais depuis qu'il est devenu premier-ministrable ou même présidentiable, il semble à la recherche de gadgets démagogiques. Il y a eu le "socialisme de la production" ; si cela signifie quelque chose, ce qui est douteux, ce serait une intervention réglementaire accrue dans la vie des entreprises---ce qui ne paraît pas de nature à résorber le chômage. Aujourd'hui, au milieu d'un entretien sans relief, il y a ceci :
Le prix de certains produits importés baisse en raison de la mondialisation, et le consommateur y gagne. Dans le même temps, ces importations déstructurent notre tissu industriel et le citoyen y perd comme salarié. Pour mieux maîtriser les effets de la mondialisation, nous devons être capables d'utiliser tous les instruments fiscaux sans tabou, y compris les impôts sur la consommation comme la TVA. Il ne s'agit pas d'augmenter le prélèvement global sur la consommation au moment où le pouvoir d'achat est la préoccupation principale des Français, mais de s'en servir comme d'un outil pour faire évoluer les structures de consommation. A l'instar de ce qui peut être fait, par exemple, pour lutter contre la "junk food" et l'obésité.
Génial ! Cela rappelle la manipulation des tarifs de la vignette automobile, quand elle existait : comme les constructeurs francais n'avaient pas encore investi le créneau des grosses voitures, on avait créé un tarif prohibitif pour icelles. Ce n'est que du protectionnisme déguisé----d'ailleurs condamné par Bruxelles en ce qui concerne la vignette, ce qui laisserait présager un combat frontal avec la Commission, curieux pour un partisan du oui le 29 mai. Les termes choisis sont également à noter : les importations sont comparées implicitement à la junk food, clin d'oeil à José Bové sans doute. Et que va-t-on faire pour les textiles ? Augmenter la TVA sur les soutien-gorge, où les Chinois nous taillent des croupières (pardon), mais pas sur les manteaux ? Et faudra-t-il indexer les taux de TVA sur le contenu en importations ? Entre parenthèses, espère-t-on aider les fabricants francais de soutien-gorge en taxant les achats de leurs produits comme de ceux des Chinois ?
2 questions :
1- Que pensez-vous de l'idée de la flat tax qui met un taux unique d'imposition pour l'impôt sur le revenu (Kirchof propose 25%), en quoi cela affecte la croissance ? Une telle mesure est-elle inconciliable avec une diminution des inégalités ?
2- En ce qui concerne la réforme de l'impôt sur le revenu du gouvernement, pensez-vous qu'elle soit de nature à relancer la croissance à court terme, et quel effet sur le chômage ?
Enfin de manière plus fondamentale, pensez-vous qu'en matière fiscale, la justice sociale et la compétitivité économique soient contradictoires ?
Merci d'avance.
Rédigé par : Le Biez | 15 septembre 2005 à 07:38
Je note avec amusement que vous essayez de rationnaliser les propos de DSK. Je vous comprends : de la part d'un professeur d'économie (DSK), on s'attend à des propositions basées sur un raisonnement économique... Simplement, à l'heure qu'il est, on en est à la phase "programme commun de la gauche" : je m'étonne même que l'on ait pas encore proposé de nationaliser la production de soutien-gorges (ah, on me soufle à l'oreillette que DSK l'a proposé il y a quelques temps... voir http://www.lesechos.fr/patrimoine/impots/200060606.htm par exemple).
Ah, le PS en pré-campagne ! Tout un poème.
Rédigé par : bliblo | 15 septembre 2005 à 13:05
bliblo : "Je note avec amusement que vous essayez de rationnaliser les propos de DSK"
Euh... J'ai raté un truc ? Franchement, je vois pas où. Je lis surtout : "Ce n'est que du protectionnisme déguisé". Ce qui correspond clairement à votre remarque sur le programme commun de la gauche, dit autrement.
Peut-être que B.S. ne suit tout simplement pas l'actualité de DSK d'aussi près que vous (et d'autres). Sinon, en effet, il aurait relevé ses multiples déclarations surprenantes et conclu comme vous au mot près. Et ce, même bien avant le 29 mai. Ou alors... il fait l'idiot exprès ;o)
Rédigé par : Econoclaste-SM | 16 septembre 2005 à 12:34
Alors voilà, j'ai un énorme problème: J'adore votre blog, mais je n'y comprend rien. C'est assez problematique, puisqu'il me faut environ 3 jours pour comprendre entierement un article. En fait je m'interesse à l'économie et à la politique depuis peu, et j'ai besoin d'aide pour me développer une bibliographie digne de ce nom, en sachant que je n'ai vraiment aucune base. De plus, je rentre en première année de licence de géographie dsans laquelle une connaissance en éco me sera préférable.
Pourriez-vous me conseiller sur des ouvrages et des magazines?
Est-ce que "Alternative économique" est une revue sérieuse dans laquelle on peut avoir confiance dans les chiffres?
Dans l'espoir d'une réponse de votre part, je continurai à déchiffrer maladroitement vos articles avec beaucoup de zèle... et de plaisir.
Rédigé par : cloclico | 17 septembre 2005 à 16:14
* vincent : une réponse à votre 3e question prendrait plusieurs volumes. Sur la flat tax : en France, un taux unique (en supposant naturellement que les 50% de non-imposables le restent) signifierait un transfert important des classes moyennes (qui paient un impôt sur le revenu très faible) vers les plus riches. C'est DOA (dead-on-arrival), comme on dit ici : inacceptable politiquement dans un pays où (à l'opposé des Etats-Unis) les Francais sous-estiment leurs chances de s'enrichir.
* bliblo et Econoclaste : je suis sincèrement décu par DSK--et il est vrai que je regarde la politique francaise d'un quart d'oeil seulement.
* cloclico : qq'un qui m'est cher m'a deja dit qu'effectivement, je devenais de moins en moins accessible ; je m'en excuse, mais je n'ai pas assez de temps. Pour vous initier à l'économie, je vous conseille le livre de Mankiw, traduit en francais chez Economica ;
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/2717835350/qid=1126997640/sr=8-1/ref=sr_8_xs_ap_i1_xgl/402-3662140-9805764
et il y a naturellement aussi le mien...:-)
http://bsalanie.blogs.com/lelivre.html
Rédigé par : Bernard Salanié | 17 septembre 2005 à 18:54
J'ai peur que toute la première partie du texte ne fonctionne pas si l'on prend en compte le fait que dans la réforme fiscale annoncée, l'abattement de 20% est "intégré" dans le taux marginal d'imposition par tranche. Donc sur 1 euro supplémentaire, avant Cresus payait 48% sur 72% (abattement de 20 suivi d'un abattement de 10%, ce dernier est conservé) soit env. 0.3456 et maintenant (enfin au premier semestre 2007) ce sera 40% de 90% soit 0.36. Bon, bref, le contraire du mouvement étudié. (sauf si un plafond de taux d'imposition direct est établi à 60% comme proposé apparemment).
Rédigé par : Arc | 27 septembre 2005 à 07:33
Arc : en fait, ces abattements de 20% et 10% étaient plafonnés ; au-delà d'environ 10 000 euros par mois pour un célibataire (ce qui est le cas de Crésus par hypothèse), ils ne s'appliquaient plus à l'euro de gains supplémentaires.
Rédigé par : Bernard Salanie | 27 septembre 2005 à 12:25
Bonjour,
pourquoi pas d'analyse dans ces colonnes du rapport
de Christian St etienne et le cacheux,
qui semble apporter quelques points de vue originaux?
merci
françois
Rédigé par : François | 29 septembre 2005 à 08:56
Bonne idée, je vais le regarder.
Rédigé par : Bernard Salanie | 29 septembre 2005 à 17:27
Une question : selon vous, Crésus perçoit-il nécessairement ses revenus dans le même état que celui dans lequel il les dépense et épargne-t-il sous les mêmes latitudes que l'un ou l'autre des pays précdemment évoqués ?
Si tel n'est pas le cas, ceci modifie-t-il les conclusions de votre raisonnement ?
Vous me direz que si Crésus a une activité professionnelle, il perçoit et emploie ses revenues sous le même régime fiscal : c'est vrai pour les activités économiques traditionnelles (celles que s'approprient petit à petit l'ensemble des pays en cours de developpement), mais de plus en plus rares pour les activités en croissance économique réelle et constante de notre période.
Rédigé par : Bof | 01 octobre 2005 à 06:58