"Le Conseil de la Concurrence voudrait voir ses pouvoirs accrus", nous dit Le Monde. Je ne sais pas ce que veut le CC, mais il me paraît clair qu'il a besoin de moyens encore plus que de pouvoirs. Le ministre des finances dispose certes d'une marge de manoeuvre trop importante en France : quand Balladur et Chirac (dans sa courte phase comme premier ministre libéral) ont accru le rôle du CC en 1986, ils se sont bien gardés de lui confier le contrôle des concentrations. (On parle de concentration quand une entreprise en rachète une autre, ou quand deux entreprises fusionnent). Dans l'état actuel des choses, c'est le Ministre qui décide de saisir ou non le CC, pour obtenir un avis qui ne l'engage d'ailleurs pas. Certains ministres ont joué le jeu, d'autres pas. Dans la situation actuelle où le ministre, du fait de ses fonctions de PDG passées, fait lui-même l'objet d'une enquête sur une suspicion d'entente illégale, les choses deviennent évidemment assez ubuesques. Si le CC "revendique" (ce terme me semble assez éloigné du style de la maison) vraiment le droit de s'autosaisir du contrôle des concentrations (et bien sûr, que ses décisions soient suivies d'effets), on ne peut que le soutenir.
Ceci dit, que ferait-il de ces pouvoirs accrus ? Si je ne me trompe pas, chaque session du CC doit être présidée par le Président ou un de ses quatre Vice-Présidents. C'est une contrainte importante qui pèse sur ses activités, puique le président de session doit évidemment aussi avoir une connaissance intime du dossier. Plus grave, les rapporteurs du Conseil (pas nombreux non plus) ont en face d'eux des entreprises qui ont les moyens de se payer des avocats de haut niveau, et souvent aussi d'excellents économistes. Le Conseil, quant à lui, ne peut fonder son argumentaire que sur une étude réalisée en son sein ou en faisant appel à des experts extérieurs qui font ce qu'ils peuvent, mais qui sont peu rémunérés et/ou ne disposent que de délais très courts. On voit que la défense a le beau jeu, sans compter les recompositions, créations de filiales etc, qui permettent aux contrevenants, même déjà condamnés, de reprendre leurs infâmes pratiques sous un faux nez. Les juges financiers connaissent bien ces problèmes ; mais on leur a donné des brigades d'enquêtes spécialisées, et ils disposent d'un temps que le CC ne peut pas imposer aux entreprises.
Il y aurait bien d'autres choses à dire : les juges du CC, par exemple, sont pour beaucoup des experts extérieurs dont la rémunération est en gros le tarif d'un TD à la fac (francaise). Pour étudier un dossier massif, c'est vraiment un apostolat (disclaimer: je n'ai jamais fait ce travail). Les moyens dont dispose le Conseil sont dérisoires, pour la bonne raison que les politiciens préfèrent garder de l'initiative, comme toujours. La priorité devrait être de les augmenter, puis d´étendre ses pouvoirs. Procéder dans l'ordre inverse aboutirait à discréditer le Conseil, qui joue (ou doit jouer) un rôle très important dans l´économie.
Sauf erreur de ma part, le conseil de la concurrence a été créé en 1986. Ses membres ne sont pas des juges, mais des "membres du conseil de la concurrence". Par ailleurs, il y a une administration du conseil, qui ne comprend pas en tout et pour tout que cinq personnes. Le site du conseil de la concurrence propose un organigramme. Ces quelques points factuels sans grande importance mis à part, j'approuve totalement votre vision des choses.
Rédigé par : Paxatagore | 19 septembre 2005 à 15:38
Merci pour ces corrections, justes ("Sauf erreur de ma part, le conseil de la concurrence a été créé en 1986") ou semi-justes ("Ses membres ne sont pas des juges, mais des "membres du conseil de la concurrence", mais ils votent sur les arrêts, qui ont valeur judiciare; la différence me paraît mince), ou même inattendues ("il y a une administration du conseil, qui ne comprend pas en tout et pour tout que cinq personnes", exact ; j'ai parlé de cela, moi ?)
Rédigé par : Bernard Salanie | 19 septembre 2005 à 16:39
Je réitère que les membres du conseil n'ont pas la qualité de magistrat. Ils ne votent pas des arrêts, mais prennent des décisions administratives, susceptible de recours devant une juridiction, la cour d'appel de Paris. Ma remarque sur l'administration aurait mérité d'être plus claire : on ne peut pas dire que les conseillers soient seuls face aux entreprises, ils disposent de l'aide de cette administration (insuffisante, sans doute, mais qu'il ne fallait pas oublier). Voili, voilou.
Rédigé par : Paxatagore | 20 septembre 2005 à 13:11
PS : ceci dit, j'admets que la distinction entre juge et conseillers du conseil de la concurrence peut paraître mince d'un point de vue économique ; c'est une distinction très importante sous l'angle formel juridique, voilà tout.
Rédigé par : Paxatagore | 20 septembre 2005 à 13:12