Après avoir "tué la mère" (Margaret Thatcher) en 1990, les conservateurs britanniques n'ont plus trouvé de leader. John Major représentait un consensus minimal ("le plus petit diviseur commun" comme disent les Francais, qui ne sont pas tous aussi bons matheux qu'ils le croient :-) qui permettait de reporter à plus tard la discussion sur les sujets qui fâchaient. Mais il a été sérieusement contesté dans son parti dès 1993 ; et tout ceci a abouti à la raclée électorale de 1997. Depuis, des dirigeants inconsistants se succèdent ; le Parti Conservateur remonte dans les sondages, mais pas assez pour ébranler la domination de Blair (et bientôt Brown ?) sur la politique britannique. C'est ennuyeux, au sens où une majorité sans opposition crédible n'a plus besoin de faire d'efforts pour se maintenir au pouvoir---les libéraux ne comptemt toujours pas.
Je crains que le Parti Socialiste francais ne soit en train de s'engager dans le même type de démarche suicidaire, à en voir cette interview de Jack Lang, présidentiable numéro 1 selon les sondages. Tous les clichés filandreux y sont ; le manichéisme politique, tout d'abord, qu'on aurait cru suranné :
En un mot, il y a deux visions de la société : la vision de droite, qui transforme l'être humain en marchandise et qui garantit et perpétue la dictature du profit, de la rentabilité à court terme et de la spéculation financière ; et une vision de gauche, qui, à l'inverse, place l'être humain au cœur d'un projet de société pour faire régresser la marchandisation.
Le retour de la surenchère démagogique sur le plan économique :
[L'augmentation du Smic à 1500 euros] me paraît encore trop modeste. Si vous partez des augmentations du smic décidées sous le gouvernement Jospin, vous obtenez un chiffre de 1 400 euros en 2012. Nous proposons que cette augmentation du smic soit calculée en net. Il faut donner à chacun un logement décent, un véritable emploi et une éducation qui lui permette d'obtenir une qualification élevée. Il faut donc des politiques publiques puissantes en faveur du logement, de la croissance et de la recherche.
Une vision assez particulière du "clair et concret" :
La seule solution, c'est de parler clair et concret. La question du logement est gravissime, et je crois qu'il faut avoir l'audace de la traiter de front. En particulier, parmi les réponses concrètes, il y a celle qui touche au coût du foncier, qui décourage la construction de logements sociaux. Sur ce plan, on peut imaginer des mécanismes d'acquisition par la puissance publique.
Heureusement, tout n'est pas perdu :
Je pense que la gauche doit être exemplaire par sa rigueur morale et intellectuelle. Face à un gouvernement qui ne cesse de tromper les Français, nous devons tenir un langage de vérité et de courage.
Malheureusement, je partage son jugement sur certaines des initiatives récentes de ce gouvernment ; mais si c'est le langage de vérité et de courage que le PS nous propose pour les années à venir, l'élection de 2007 sera le combat des manchots et des estropiés.
C'est curieux : vous n'imaginez pas Sarkozy capable de s'entourer d'une équipe susceptible de présenter un projet lisible par l'électorat ? Après tout, Chirac y est bien parvenu deux fois de suite. Par ailleurs, il reste envisageable de voir quelque chose se monter à gauche sans la PS.
Rédigé par : Bof | 29 septembre 2005 à 16:01
Chirac est arrivé au pouvoir la première fois sans projet (pas de programme concret, autant que je me souvienne), la deuxième fois avec 19,8% des voix au premier tour. Pour être précis, 5 666 440 électeurs-trices ont manifesté leur adhésion à un projet qui était d'autant plus lisible qu'il était plus court. Pour me cantonner à mon domaine, le projet de Sarkozy en matière économique reste flou : il y a le discours (libéral) et l'action comme ministre des finances (plutôt populiste). Quant à un projet de gauche sans le PS, j'en entends parler depuis longtemps... à gauche du PS, il y a surtout des gens qui adorent s'entredéchirer.
Rédigé par : Bernard Salanie | 29 septembre 2005 à 17:02
Programme et projet, ce n'est pas nécessairement la même chose : un projet peut être lisible par l'opinion sans être explicite (penser par exemple au cas de la politique du MEDEF post lois Aubry : rien d'explicite depuis bien longtemps, mais ça restait lisible par l'opinion).
Maintenant, il est vrai que puisqu'il n'existe aucun moyen de construire un programme politique faisant (réel) consensus au sein du monde économique d'une part, et étant donné le rôle de cadre obligé de la politique que s'accorde la théorie économique classique en vogue de l'instant d'autre part, et en considérant que les théories économiques obsolètes et émergentes restant disponibles pour contredire tout cadre conforme de prime abord à la théorie classique de l'instant (ne nous ressort-on pas IS/LM ces derniers temps ?), il faudrait vraiment être con pour oser proposer un programme ! Par contre, un projet, ça a le mérite d'être plus rapide à écrire et moins criticable.
Rédigé par : Bof | 30 septembre 2005 à 01:32
Je crois que vous vous faites des idées sur l'influence des économistes (il y a bien la citation de Keynes qu'on nous ressort constamment:
"The ideas of economists and political philosophers, both when they are right and when they are wrong, are more powerful than is commonly understood. Indeed, the world is ruled by little else. Practical men, who believe themselves to be quite exempt from any intellectual influences, are usually the slaves of some defunct economist. Madmen in authority, who hear voices in the air, are distilling their frenzy from some academic scribbler of a few years back... Sooner or later, it is ideas, not vested interests, which are dangerous for good or evil."
Mais 1) on pourrait citer des dizaines d'extraits de sa correspondance où il se plaint du contraire 2) il n'y a pas tant d'exemples où les idées des économistes et des philosophes politiques *à elles seules* ont changé le monde. Plus souvent, des dirigeant politiques ont abandonné des idées qui ne leur paraissaient pas "marcher" (en termes électoraux...) pour en adopter d'autres. En général, ils s'inspirent de toute manière de sources secondaires qu'ils ne comprennent pas bien, écrites par des gens qui ne comprennent pas bien ce qu'ils écrivent. La conversion des socialistes francais en 1983 s'interprète plus comme le résultat d'une panique, par exemple. Les économistes peuvent (et doivent à mon sens) expliquer leurs vues le plus possible, mais ils doivent être conscients que les considérations politiques ont toujours plus de poids, quoi qu'on en dise.
Rédigé par : Bernard Salanie | 30 septembre 2005 à 12:29
Sans doute avez-vous raison sur l'influence objective des économistes (avec tout le flou que ce terme représente, que Marris ne fut pas le premier à mentionner). Je suppose alors que l'usage des théories (mais aussi représentations et modèles) économiques n'est pas l'exclusivité des économistes (scientifiques) eux-mêmes.
Mais bon : dans le doute, il reste périlleux d'oser envisager de présenter un programmme, là où un projet ou un bilan pourrait suffire. Pardonnez cette provocation, mais, après tout, ces entités gestionnaires responsables que sont les entreprises demandent-elles des programmes aux candidats aux postes à haute responsabilité de disposer de programmes ou se fient-elles aux bilans, parcours, et éventuels projets ?
Rédigé par : Bof | 30 septembre 2005 à 16:06