Le numéro de juillet-août de Foreign Affairs (dont certains articles sont disponibles ici) consacre un dossier à la grippe du poulet qui sévit en Asie depuis 2003. Il n'est pas très original de comparer cette épidémie à la grippe "espagnole" qui fit---officiellement---50 millions de morts en 1918-19. Depuis, plusieurs annonces apocalyptiques n'ont pas eu de suites graves (une alerte nationale à la grippe aux Etats-Unis en 1976, le SARS qui n'aura fait que 800 morts, touchons du bois). Pourquoi s'inquiéter plus particulièrement de la grippe du poulet ? Il y a en fait plusieurs bonnes raisons :
- le virus concerné (H5N1, si vous voulez briller en société) est d'un groupe qui n'a pas touché l'homme depuis des décennies, si bien que nous sommes très mal préparés : en cas d´épidémie, il faudrait des mois avant d'atteindre une capacité de fabrication de vaccins (ou d'antiviraux) raisonnable. En attendant, des dizaines de millions de personnes pourraient mourir, notamment dans les pays pauvres qui seraient naturellement les derniers servis.
- la transmission de l'animal à l'homme n'est pas un concept nouveau, cf le SIDA pour un exemple récent ; mais (effet du développement) les Chinois ont aujourd'hui cent fois plus de poulets et de porcs (donc de vecteurs potentiels) qu'il y a quarante ans. Qu'on songe que pas moins de 140 millions de poulets ont déjà été abattus à titre préventif...
- et bien sûr, la baisse des coûts de transport accroît la vitesse de diffusion des épidémies : le SARS a atteint cinq pays en 24 heures et six continents en quelques mois.
Plus généralement, les gouvernements des pays riches (les seuls à pouvoir agir) ne consacrent que des efforts dérisoires à la prévention des épidémies. A titre d'exemple, la recherche publique et privée pour trouver un vaccin anti-SIDA (26 millions de morts) mobilise moins d'un milliard d'euros, aux Etats-Unis pour l'essentiel. Pourtant, les travaux de Kevin Murphy et Robert Topel (de Chicago) suggèrent que l'argent investi dans la recherche médicale a un taux de rendement social très élevé---sûrement bien plus que les "grands travaux" que l'on nous promet encore en France !
Oui. Dire que le rendement social est élevé revient à dire que c'est l'une des dépenses à laquelle les gens préférent allouer leur revenu. C'est vrai dans les pays en développement (on sait, comme l'indique clairement le rapport Landau, qui donne d'autres pistes (http://www.ambafrance.org.br/abr/atualidades/pdf/resume_landau.pdf).
C'est sans doute également vrai dans les pays développés : c'est ce que retrace l'évolution de la part de la santé dans le PIB. L'un de ceux qui l'expriment le mieux est .... Jean-Marc Sylvestre ( le chroniqueur liberal de LCI) http://www.vsd.fr/contenu_editorial/pages/magazine/kiosque/duel/duel130.php
C'est aussi un domaine ou l'elasticité prix est la plus binaire : quand on est en pleine santé, on a tendance à sous-investir (ou sous-epargner) pour sa santé. Mais toutes les personnes (comme JM Sylvestre) qui ont vécu un accident grave témoignent du fait qu'il est rare de tenir le même raisonnement au pied du mur.
En reprenant les comptes de l'INSEE sur 30 ans, qui donne l'évolution de la conso des ménages en prix et en volume, on constate que c'est l'un des plus gros postes de progression. Reste pour l'avenir une question cruciale : aevc un pouvoir d'achat qui stagne, avec des inégalités salariales qui progressent, avec un développement des techniques medicales de pointe il existe une pression forte au developpement des inegalites d'acces à la santé. Or autant l'idée qu'il existe des inegalités de revenu peut etre acceptable, meme parmis ceux qui n'en sont pas bénéficiaires (le fait que Bill Gates gagne plus que moi ne m'empeche pas de dormir), autant il est difficile d'accepter de se voir refuser une opération qui pourrait vous sauver au motif que vous n'avez pas les moyens...
Rédigé par : V | 05 septembre 2005 à 13:01
"Dire que le rendement social est élevé revient à dire que c'est l'une des dépenses à laquelle les gens préférent allouer leur revenu." : en fait, vous décrivez le taux de rendement privé des dépenses de soin, pas le taux de rendement social des dépenses en recherche médicale. Ce dernier représente le gain qu'obtient la collectivité en investissant un euro dans la recherche ; c'est ce que mesurent Murphy et Topel. Le taux de rendement privé des dépenses de soin, quant à lui, est ce que je gagne à me soigner. Il peut être très bas (voir les médecins du Malade Imaginaire) ou très élevé (si par exemple je suis soigné à domicile et remboursé à 99%). La forte augnentation de la part du PIB qui va aux dépenses médicales s'explique au moins en partie par un taux de rendement privé augmenté par la prise en charge par la Sécu. Quant à l'explosion des inégalités en France.... voir l'introduction de mon livre :
http://bsalanie.blogs.com/lelivre.html
Rédigé par : Bernard Salanié | 05 septembre 2005 à 17:33
Le gain de la collectivité est la somme des gains individuels : si chacun est ok avec cette augmentation, c'est qu'elle rapporte plus qu'elle ne coute, et donc que son rendement est positif.
A moins que vous ne parliez du rendement "monétaire" (ie, le rapport entre ce que l'on gagne budgétairement et ce que l'on perd), qui ne prend pas en compte le bien-etre des individus, mais uniquement les dépenses monétarisées ???
Rédigé par : V | 06 septembre 2005 à 03:01
V : "si chacun est ok avec cette augmentation, c'est qu'elle rapporte plus qu'elle ne coute, et donc que son rendement est positif."
Je crois que vous ne tenez pas compte de l'aspect mutualisation dans votre raisonnement. Les assurés n'ont pas de contrôle direct sur le montant des cotisations dont ils s'acquittent. Un acteur rationnel, face au choix de consommer ou non un acte médical remboursé à 90%, choisira de consommer l'acte si sa valeur est supérieure à 10% du coût de l'acte. Les 90% portés par la collectivité sont ignorés.
On est dans un cas typique de "tragedy of the commons". Un bien gratuit est naturellement abusé/gaspillé. On peut juger que le bénéfice sanitaire/social/moral apporté par l'assurance santé est supérieur à cet abus/gaspi. Mais je pense que c'est une erreur d'ignorer purement et simplement cet effet.
Rédigé par : Xavier | 06 septembre 2005 à 05:23
C'est vrai à court terme. A moyen terme le débat démocratique crée une certaine boucle de retour, et propose des choix globaux qui permettent de "réinternaliser" les excès.
C'est donc une forme spéciale de common - dont la limite est cependant, je l'avoue, la qualité du débnat politique et le courage de la classe politique à affronter la vérité.
V
Rédigé par : V | 06 septembre 2005 à 05:34
Supposons que la recherche médicale ait connu une seule réussite : la découverte de l'aspirine. Elle aurait eu un taux de rendement social considérable vers 1890, puis de -100% ensuite (un gaspillage complet). Pourtant l'achat d'aspirine par ne, vous ou moi quand nous souffrons un taux de rendement privé non négligeable (en équivalent monétaire) depuis. Si en plus Bill Gates nous rembourse tous nos achats d'aspiriune, alors ils ont un taux de rendement privé infini. Vraiment, il n'y a pas de lien simple entre ces deux concepts.
Rédigé par : Bernard Salanié | 06 septembre 2005 à 20:51