On se souvient de l'affaire des frégates de Taïwan, qui fut l'une des trames du dossier Dumas-de Joncour : Thomson (sous la présidence d'Alain Gomez) aurait corrmpu à tour de bras afin de s'assurer ce marché en 1991, ce qui pourrait lui coûter 300 millions d'euros aux dernières nouvelles. Thomson est devenu Thales (en gros), la France, très en retard sur les autres pays, a officiellement banni ce genre de pratiques, mais apparemment rien n'a changé : selon cet article du Monde, la corruption massive ne serait qu'une des pratiques de gangsters auxquelles Thales continue de se livrer. C'est un "whistleblower", c'est-à-dire une source interne de l'entreprise, qui a parlé aux juges---pas par pureté d'âme, ne rêvons pas, mais plus raisonnablement parce qu'íl a des griefs personnels contre Thales.
Mais après tout, pourquoi jouer les vierges effarouchées ? Si vraiment nous livrons une guerre économique comme on nous le serine, tous les coups sont permis. Not quite: même les guerres ont leurs conventions de Genève, qui interdisent certaines pratiques. Le "plus jamais ca" des pacifistes interdirait les guerres formellement et laisserait donc la voie libre aux agresseurs ; de même, si les guerres existent, on peut soit souhaiter qu'elles soient aussi horribles que possible, afin de dissuader les peuples de s'y engager ( "War is hell", disait le général Sherman, qui s'y connaissait), soit tenter de limiter les dégâts. Les conventions de Genève représentent un compromis insatisfaisant, qui marche plus ou moins bien. L'interdiction des pratiques corruptrices a un rôle similaire dans le droit international : elle évite (en principe) que les nations se fassent concurrence non pas avec leur avantages comparés dans la production, mais à coup de pots-de-vin. Mais visiblement, ce n'est pas encore dans la culture francaise... j'aime beaucoup le passage où le journaliste du Monde écrit
L'Elysée était ainsi intervenu brutalement, en décembre 2003, pour écarter le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, et ses conseillers des pourparlers en cours avec son homologue de Riyad. L'entourage de M. Chirac avait soupçonné, derrière le contrat saoudien, l'existence d'un réseau destiné à recueillir d'importantes commissions.
Chirac en garant de l'intégrité de nos pratiques commerciales, voilà un habit qui lui manquait.
Il semblerait que l'intéressé se soit épanché parce qu'il est lui même mis en examen pour ces faits.
Rédigé par : Paxatagore | 27 septembre 2005 à 01:56
Lorsque j'ai commencé ma carrière (dans le groupe Thomson…), j'ai passé quelques jours à Bagdad où nous étions partis vendre un établissement scolaire pour les ouvriers du pétrole. Nous passions nos matinées dans les couloirs du ministère et nos aprés-midi à nous promener et à rêver avec nos concurrents japonais et américains des millions de dollars que nous gagnerions les uns et les autres (le gouvernement irakien voulait de beaux bébés, ce que personne ne critiquera, pour avoir de beaux bébés, il faut du lait, pour avoir du lait, il faut des vaches qui ont besoin d'herbe et donc d'eau… et tout cela naturellement promettait de gros contrats qui ont été, pour l'essentiel, gagnés par les soviétiques et leurs alliés qui ne révaient pas comme nous, trop occupés qu'ils étaient à piller les pauvres irakiens. Je me souviens de Polonais qui rapportaient chez eux des grilles de fer forgée…).
Au bout de 15 jours de ce régime, nous avons fini par demander à l'un de nos interlocuteurs, directeur d'un département au ministère de l'industrie, ce qu'il fallait faire pour réduire l'incertitude et les délais. Il nous recommanda de trouver un intermédiaire qui saurait nous guider dans les méandres de l'administration irakienne. On nous a alors indiqué un cabinet dont le directeur, un très bel irakien, au regard brillant d'intelligence, nous expliqua tout de go, qu'il prenait 3% du marché (il s'agissait de marchés considérables). Ceci dit, nous parlâmes de nos études, du PHD qu'il avait passé aux Etats-Unis…
Je ne voudrais pas me faire l'avocat de gens qui trichent, mais la corruption est pour partie, au moins, une production de systémes administratifs, illisibles, absurdes, incompréhensibles ou contradictoires. Et ce qui valait à Bagdagd vaut bien ailleurs. On m'a souvent dit que la mafia jouait le rôle de lubrifiant à New-York : la réglementation interdisant le stationnement dans une ville qui connaît en permanence de grands travaux, il faut bien que quelqu'un aide la police à comprendre que l'on ne peut pas construire si l'on ne peut pas déposer les matériaux de construction.
Rédigé par : bernard girard | 27 septembre 2005 à 05:57
Bernard : la thèse selon laquelle la corruption vaut mieux que l'anarchie a effectivement été avancée en Italie, par des historiens ou sociologues sérieux. (J'espère qu'elle ne s'applique pas à New York... depuis le grand nettoyage des quinze dernières années, on n'en entend plus tellement parler). Les origines de la Mafia se situent peut-être dans des groupes de résistance à l'occupant en Sicile, qui auraient ensuite suivi une évolution "à la corse". Son "coeur de cible" était le racket, où la victime est au moins protégée des attaques de groupes rivaux. Mais aujourd'hui, la corruption est plus souvent la vente de "droits d'accès" à une ressource rare comme un permis de travail, de créer une entreprise, ou un marché quelconque ; et je doute qu'on puisse (raisonnablement) la justifier à ce titre---je ne vous accuse pas de le faire, bien sûr.
Rédigé par : Bernard Salanie | 01 octobre 2005 à 18:18