La saga du téléphone portable continue... mon Treo est déverrouillé, mais Cingular refuse de l'accepter sur son réseau (incompatibilité technique, semble-t-il). La Baby Bell locale (Verizon) ne fait pas GSM, qui me serait indispensable pour pouvoir utiliser l'objet en dehors des Etats-Unis. Il me reste T-Mobile... qui hésite a m'ouvrir un compte puisque je n'ai pas de credit history, préférant les cartes de débit aux cartes de crédit.
J'avais déjà eu un probleme de ce genre a Chicago : je ne pouvais pas signer le bail de mon appartement, n'ayant pas de credit history ; et je ne pouvais pas obtenir de carte de crédit (pour me créer une credit history), n'ayant pas de... credit history , vous l'aviez deviné. Dans Kafka, c'est à ce moment-là que Joseph K. commence à halluciner : c'est ce qu'on appelle ici un Catch 22---et si vous n'avez pas lu le livre du même titre de Joseph Heller (en français, ou mieux, en anglais), c'est votre prochain assignment. Je m'en étais sorti à l'époque en faisant un scandale public dans mon agence Citibank, au grand dam de la réputation de courtoisie (un peu périmée) des français.
Aujourd'hui, ce sont les déménageurs qui s'y mettent : mon chargement, effectué le 13 juillet, ne prendra le bateau que le 28 août. Il parait qu'"il faut savoir" (cette expression m'a toujours horripilé) qu'il est difficile de trouver un bout de container dans un bateau pour NY l'été. Bien entendu, la commerciale ne m'en avait rien dit, en me mentionnant un délai d'"environ un mois porte-à-porte".
Au-delà de ce gros mensonge, ceci pose en majuscules le problème des "biens d'expérience", dont on ne peut apprécier la qualité qu'apres les avoir achetés. La plupart des particuliers déménagent assez rarement et n'ont qu'une idée tres vague des délais normaux, lesquels dépendent d'ailleurs de la compétence et des bons soins du déménageur. George Akerlof, Prix Nobel 2001, a montré dans un article ultra-célèbre en 1970 que même en situation de concurrence parfaite, un marché oû les vendeurs sont mieux informés de la qualité du bien qu'ils vendent que les acheteurs peut fonctionner tres mal, voire s'effondrer. La raison est simple (voir le chapitre 4 de cet immortel manuel) : comme les acheteurs ne peuvent pas observer la qualité du bien mais seulement le prix auquel il est offert, ils ne peuvent fonder leur estimation de la qualité qu'en exploitant l'observation élémentaire qu'un bien vendu à un prix donné ne peut avoir qu'un coût de production inférieur a ce prix---sans quoi il ne serait pas produit. Il est facile de trouver des exemples numériques où seuls les biens de mauvaise qualité sont vendus, ou même où aucun achat ne peut se produire.
Heureusement, il y a plusieurs solutions possibles. La première (proposée dans un cadre plus général par Michael Spence, autre Prix Nobel 2001) consiste, pour les vendeurs, à offrir une garantie---sous forme d'un délai de livraison et d'indemnités de retard dans le cas des déménageurs. Cela se pratique couramment pour les travaux publics---sous une forme un peu atténuée puisque tout avenant au contrat originel (et les avenants sont très fréquents en ce domaine) réclame une renégociation des delais. Les “bons” déménageurs peuvent ainsi “signaler” leur qualité en offrant de meilleures garanties que les “mauvais”. C'est à leur avantage, puisqu'étant de bons déménageurs, ils risquent moins de devoir payer des indemnités ; tandis que les mauvais déménageurs courraient de gros risques à offrir des indemnités élevées. Mes conditions générales de vente---oui, je sais, j'aurais dû les lire avant---font allusion à des indemnités de retard, avec une clause échappatoire (“cas de force majeure”) dont je suppose qu'un juge devrait l'interpréter en cas de contentieux. Mais aucun délai n'est mentionné, ce qui laisse là encore une marge d'interprétation. Pourquoi le système de garanties fonctionne-t-il aussi mal pour les déménageurs ? Bonne question, Votre Honneur.
Autre solution : les organismes de certification, qui examinent les procédures et les performances passées des vendeurs et leur décernent des notes. Ils peuvent être publics ou privés. Dans le premier cas, on y emploie des spécialistes du domaine moins bien payés que dans le privé, et donc en général moins compétents ; dans le second, se pose le problème de la rémuneration du certificateur. L'exemple des agences de notation de crédit américaines (type Moody's) au moment des scandales financiers récents montre qu'il n'est pas de très bonne politique de laisser les entreprises acheter une notation au certificateur. En revanche, l'Etat pourrait passer (de manière transparente...) un marché public avec un certificateur.
Bien sûr, il reste la solution des normes : l'Etat impose la valeur minimale des indemnités et les délais de livraison maximaux. Le problème des normes est double. D'une part, il est un peu naif de croire qu'elles peuvent être fixées de manière parfaitement rationnelle par un régulateur bienveillant et honnête. Faut-il imposer des normes différentes selon les points de départ et d'arrivée, le volume demenagé, sa composition ? Par ailleurs, les normes excluent par construction un segment du marché pour lequel il peut exister une demande. Rien n'est simple, ni d'un côté ni de l'autre ; je ne prétends à rien d'autre ici qu'à illustrer ces questions.
Un ami au Canada a eu le meme probleme, il arrive avec un compte bien rempli mais pas moyen d'acheter quoique ce soit car pas de credit history, pfff. Je payais tout en cash ou avec ma carte francaise (a l'epoque geree par le Tresor Public avec presque aucun frais sur les retraits en devise ...).
Autre anecdote personnelle : mon premier paiement avec ma carte bancaire francaise a New York a un Barnes & Noble. Le vendeur me tends une facture et un stylo, j'ai mis un peu de temps a comprendre qu'il fallait que je signe le papier (ca se fait pas chez les Gaulois ca). Le vendeur retourne alors ma carte bien sur pas signee comme ca ne sert a rien en France, il me la rends, je la signe puis il re-regarde les deux signatures faites par la meme personne a quelques secondes d'intervalle, et tout se passe bien avec un grand sourire des deux cotes :).
Sur le sujet, pourquoi pas un mécanisme d'assurance (pour retard/dommage) par une tierce compagnie qui s'occuperait de faire un prix par compagnie de transport ? Je pense que c'est une solution qui souffre de moins de probleme qu'une agence de notation car ma compagnie d'assurance ne veut pas perdre d'argent en payant trop pour les garanties elle va donc surveiller efficacement la compagnie de transport et ajuster frequemment ses prix a la performance de chaque transporteur. Le client peut choisir une assurance ou pas, et le transporteur s'il estime l'assurance externe trop chere peu proposer la sienne, a ses risques et perils. Si le client comprends l'interet et l'information derriere le prix de l'assurance, le systeme va marcher, non ?
Ca me parait resoudre le probleme des agences de notation, qui 1/ n'ont aucune responsabilite pour leur notation en pratique et 2/ sont payees par les compagnies et non les clients (sauf si public finance par l'impot) donc ont interet a tirer a l'extreme limite dans le sens des compagnies.
Une alternative est fournie par les associations de consomateurs, mais elles croulent sous les proces des entreprises dont elles jugent les produits, en particulier aux USA (voir http://www.alternet.org/story/24293/). Et ensuite qui va juger les associations de consomateurs qui peuvent discretement etre corrompues ...
L'internet peut lui aussi fournir pas mal d'information des que quelqu'un organise quelque chose de raisonnable impliquant une population suffisante, par exemple dans le domaine du materiel informatique on peut tout savoir avant d'acheter graces a la multitude de sites specialises. Je suppose que ca va se generaliser petit a petit a d'autres domaines.
Laurent
Rédigé par : guerby | 22 août 2005 à 18:10
Il reste une quatrieme solution que nous n'évoquez pas : l'éthique/la morale, et le developpement du niveau de confiance general qui fait que les mauvais sont sanctionnés, et les bons survivent. Les escroqueries des sociétés de cable (pas de résiliation avant la date anniversaire, comme s'il leur coutait de nous voir partir à d'autre date que l'anniversaire, délais et procédures à dormir debout...) ou les tromperies marketing, dont celles que vous citez.
Cette option n'est pas de nature purement microeconomique (on est plutot dans la theorie des jeux répétés) mais c'est sans doute la plus efficace dans un monde de contrats et d'information imparfaite. Il existe des démonstrations (notamment une étude de la banque mondiale) qui relient fortement le niveau de croissance et de développement au niveau de confiance respectif des citoyens...
Rédigé par : V | 23 août 2005 à 05:44
A propos de la privatisation des autoroutes, que pensez-vous de l'article du député UMP Hervé Mariton, disponible à l'adresse suivante : http://www.lefigaro.fr/debats/20050823.FIG0237.html.
Rédigé par : Le Biez | 23 août 2005 à 05:52
* V : d'accord sur la valeur économique de la morale et de l'éthique, mais "le developpement du niveau de confiance general" comme solution "efficace" ? Vous savez commment faire, au-delà des méthodes connues ? (camps de rééducation, etc).
* Laurent : effectivement, le recours à un assureur peut être une solution ; mais cela risque d'être un marché étroit (peu de clients), avec des coûts d'entrée importants (nécessité de se construire une expertise) et donc peu concurrentiel---ceci dit, ce serait aussi le cas des agences de notation.
* Le Biez : Mariton agite des petits drapeaux (le "volontarisme industriel" qui revient tristement à la mode, par exemple) ; mais au-delà de l'aspect "valeur actualisée des recettes espérées sur lequel on peut débattre (si on a les données, ce qui n'est pas mon cas), le point de fond n'est pas abordé, à savoir : est-il préférable que les autoroutes soient gérées par le privé ou par le public ?
Rédigé par : Bernard Salanie | 24 août 2005 à 12:22
Séquence commerciale (je n'ai pas d'action d'assureur :):
* Via google "axa assurance demenagement" http://www.axa.fr/global/index_recomp.asp?/content/01_se_loger/guide/Guide_Demenager.htm
J-20 - Assurer votre déménagement
Vérifiez que vous bénéficiez bien d'une assurance couvrant votre déménagement, si vous l'effectuez vous-même. Si des amis vous prêtent main forte, sont-ils couverts par votre assurance au titre de l'aide bénévole ? Vous devez prévoir la résiliation du contrat d'assurance du logement quitté ainsi que l'établissement du contrat d'assurance du nouveau domicile.
Notre conseil :
En souscrivant à notre Formule 1+1=3 Logement, vous bénéficiez d'une aide pour votre déménagement : informations et conseils, mise en relation - si vous le souhaitez - avec des entreprises de déménagement ou des loueurs de véhicules adaptés. Vous bénéficiez également de garanties d assistance lors de votre déménagement.
* Avec MAAF ca donne http://www.maaf.fr/Web/maafvp.nsf/HEA_id/MAAR-5MRKUM?Open
La plupart des assureurs sont déja de grosses entreprises, je pense que ça ne leur poserai pas de problème particulier pour s'attaquer à de "petits" marché comme celui ci. (Voir les assurances achat des cartes bancaires "haut de gamme".)
Ensuite est-ce que les assureurs sont vraiment en concurrence, c'est autre chose :).
Laurent
Rédigé par : guerby | 24 août 2005 à 17:55
Sur la credit history:
Cette problématique est l'exemple type de la fausse bonne idée (en tous cas si tous ses aspects ne sont pas pris en compte):
le fichier positif tel qu'il est construit aux Etats Unis (ainsi qu'en
Belgique depuis quelques temps), a pour objectif de permettre aux etablissements prêteurs de mieux connaitre l'historique d'activité financiere d'un client potentiel afin de proposer le produit le plus adapté, et finalement d'éviter le surendettement.
Une conséquence annexe de ce type de fichier est que cette information étant disponible pour toutes les sociétés le rachat des crédits s'en trouve facilité. Jusque là tout semble profiter au consommateur qui se voit proposer peu après l'ouverture d'un crédit un rachat à un taux plus avantageux.
Ce qui au niveau individuel semble optimal génère toutefois un effet pervers au niveau collectif. En effet, la prise de risque de la société de crédit est importante au démarrage des crédits, et cette prise de risque est compensée par la marge future réalisée sur les bons payeurs. Dans le cas présent cette marge disparaît et l'entreprise de crédit réduit donc sa prise de risque initiale, ce qui se traduit par une difficulté accrue de tout personne n'ayant pas déjà un crédit d'en obtenir un.
En France, le fichier est actuellement "négatif" c'est à dire qu'il signale uniquement les mauvais payeurs avérés, et donc ne favorise pas en tant que tel le rachat des crédits (activité qui se développe toutefois). Cependant l'exemple Belge laisse penser que nous nous acheminons progressivement vers ce modèle anglo-saxon. Les conséquences seraient par ailleurs plus sévères en France sur les modalités d'accès au crédit car la présence du taux d'usure (inexistant aux US) limitera plus encore la prise de risque possible pour une société financière.
NB: A priori, la consultation du fichier ne doit se faire que lors de l'octroi d'un crédit, et donc ne permet pas de faire de la proposition de rachat de crédits par ciblage de population, mais il apparaît que dans les pays où le fichier positif existe certaines sociétés contournent cet aspect en faisant des demandes fictives sur les fichiers qu'elles veulent cibler (ce n'est pas autorisé mais difficilement prouvable)
En conclusion, en France aussi, il faudra bientôt avoir un crédit pour en obtenir un (aux US il est conseillé à tout étudiant de prendre un petit prêt étudiant même s'il n'en a pas réellement besoin pour espérer un jour obtenir un crédit immobilier)
Rédigé par : didier | 25 août 2005 à 05:45
Sur le niveau général de confiance la chose la plus poussée était l'analyse de Fukuyama qui donne 6 criteres permettant de rendre soutenable la confiance. Je n'ai rien vu de plus construit (en ayant cherché avec mes modestes moyens), sauf dans la litterature manageriale (derriere les retournements d'entreprise les plus spectaculaires, il y a generalement des plans pour casser les baronnies et renfrocer les valeurs 'positives'). Putnam a un peu travaillé la-dessus (plus sur les signes d'une réduction de ce niveau de confiance que sur les moyens de la régénerer).
Cela dit en France je vois pas grand chose (a part les travaux de Bourdieu sur le capital social, d'ailleurs publiés à l'étranger et non en France je crois)...
Rédigé par : V | 25 août 2005 à 13:46
Je fais peut etre erreur mais il me semble que la credit history n'a rien a voir avec la carte de credit (enfin si, en fonction des repaiement), c'est a dire qu'une credit history existe en fonction des paiement que l'on a put faire sur une periode donnée, par debit direct ou autre. la carte de credit n'est pas necessaire a la credit history.
Rédigé par : Zilch | 26 août 2005 à 07:41
* Didier : aux Etats-Unis, se rajoute la crainte des banques d'être poursuivies par un emprunteur éconduit pour discrimination injuste, ce qui renforce leur tendance à appliquer bêtement toute une série de règles 0-1.
* Laurent : les liens d'assureurs que vous donnez ne semblent pas proposer d'assurance contre un dépassement des delais...
Rédigé par : Bernard Salanie | 26 août 2005 à 17:59