Et, non, j'ai résisté à écrire "de l'esprit de compétition dans le sexe", qui aurait été encore plus racoleur. Au moment où se déroulent les championnats du monde d'athlétisme, il peut paraitre vieux jeu de le faire remarquer : les petits garçons ont plus l'esprit de compétition que les petites filles. Natur ou Kultur, peu importe ici ; mais un récent article de Muriel Niederle et Lise Vesterlund (NBER WP 11474) montre que ce n'est pas qu'un cliché. Elles ont procédé à une expérience sur une population de 80 sujets (des étudiants, comme toujours...). Ces sujets étaient classés dans des groupes de quatre. Le "jeu" qui était proposé à chaque sujet consistait à additionner cinq nombres de deux chiffres, et à répéter cette opération autant de fois que possible en cinq minutes. Les sujets avaient le choix entre deux types de "salaires" :
- le salaire "à la pièce" : chaque addition juste rapporte 50 cents au sujet ;
- le "tournoi" : seul le sujet qui a les meilleurs résultats d'un groupe est rémunéré, et il touche alors 2 dollars par addition juste.
Notez que 2=4*0,5, si bien que si tous les sujets étaient également doués, et en faisant abstraction du risque, ces deux modes de rémunération ont la même "valeur espérée" pour chaque sujet. Le tournoi devrait être préféré par les sujets qui se croient meilleurs calculateurs que les autres (qu'ils ne connaissent pas : tout se passe par terminal d'ordinateur interposé), ou par ceux qui ont une faible aversion pour le risque.
Niederle et Vesterlund ont demandé à leurs sujets, avant de les faire jouer, quel mode de rémunération ils préféraient. Le résultat est frappant : deux tiers des hommes préfèrent le tournoi, et seulement un tiers des femmes. Comment l'expliquer ? Il se pourrait d'abord que les hommes soient meilleurs en arithmétique que les femmes ; mais une expérience randomisée montre qu'il n'y a pas de différence significative (sur des tâches aussi simples, bien sûr :-)). Il reste deux explications : les hommes peuvent être plus "overconfident" que les femmes, ou les femmes peuvent être plus averses au risque. Pour trancher entre ces deux explications, Niederle et Vesterlund ont demandé à leurs sujets, après une expérience randomisée, quel mode de rémunération ils voudraient voir appliquer à leur performance passée. Là encore, les hommes choisissent le tournoi beaucoup plus souvent que les femmes.
Il semble donc bien que les hommes aient plus l'esprit de compétition que les femmes, et que cette différence soit liée à une perception exagérée de leurs capacités (les femmes en souffrent aussi, mais à un degré moindre). Dans un monde ultralibéral, la sélection naturelle corrigerait ce biais : les hommes "overconfident" finiraient par se planter plus que de raison avant que d'avoir pu se reproduire. Rusés comme toujours, les hommes ont créé un système d'assurance sociale qui limite leurs risques de pertes graves... bon, j'exagère un peu.
Un commentaire sans rapport avec votre post : j'apprécie beaucoup la citation de Condorcet que vous citez, elle devrait être plus souvent méditée par les partisans des "Y'a qu'à" et "Faut qu'on" ou les nombreux brillants économistes des cafés du commerce. Seule ombre au tableau : il serait peut-être temps de changer de citation car sa qualité ne saurait justifier une si longue présence sur votre blog !
Rédigé par : Vincent | 08 août 2005 à 07:43
Notez que 2=4*0,5, si bien que si tous les sujets étaient également doués, et en faisant abstraction du risque, ces deux modes de rémunération ont la même "valeur espérée" pour chaque sujet.
Si j'ai bien compris les règles du jeu, je ne suis pas d'accord sur ce point. Si les valeurs espérées sont égales dans les deux cas, les sommes des quatre gains espérés sont aussi égaux, or ce n'est pas le cas. Dans le cas du tournoi, la somme totale versée est plus importante car on donne plus de poids au gain le plus élevé. Par exemple si les joueurs ont réussi 20, 30, 40 et 50 additions chacun, 100 dollars sont distribués dans le cas du tournoi, 70 dollars dans le cas du salaire "à la pièce".
Conclusion: Si je suis neutre au risque ET si j'ignore mon niveau relatif, alors je choisi le tournoi.
Peut-être que cette expérience démontre que les hommes sont meilleurs que les femmes en proba :=) (une interprétation plus conventionnelle est de lire le choix de la règle du jeu comme un arbitrage risque/espérence de gain, on en conclut bien sûr que l'aversion au risque des femmes est plus élevée). Et au passage on peut remarquer aussi que plus la variabilité des résultats est élevée, plus le choix du tournoi est avantageux.
Sur le papier (http://www.stanford.edu/~niederle/Women.Competition.pdf), page 7, l'auteur affirme pourtant que les gains attendus sont égaux, il y a peut-être un point qui m'a échappé.
Rédigé par : Jean-Marc | 08 août 2005 à 11:51
* Vincent : vous avez raison, je vais varier mes citations...
* Jean-Marc : honte à moi ! (et à Niederle et Vesterlund). Vous avez parfaitement raison ; si j'ai le meilleur score dans le tournoi, c'est que ce score est plus élevé que la moyenne, et donc ma valeur espérée n'est pas 0,5. Avec des joueurs neutres au risques et identiques, qui ont une probabilité F(n) de réussir au plus n additions, la comparaison est entre :
l'intégrale de 0,5 n f(n) pour le gain "à la pièce"
et l'intégrale de 2 n f(n) F(n)^3 pour le tournoi, puisque F(n)^3 est la probabilité de gagner le tournoi en ayant réussi n additions.
(en négligeant le caractère discret de n et les ex aequo). La deuxième intégrale est supérieure à la première, de la valeur de l'intégrale de F(n)*(1-F(n)^3) pour être précis. Et ce serait encore pire si on avait un grand nombre de joueur dans chaque groupe : alors la valeur espérée du tournoi tendrait vers le nombre d'additions justes le plus élevé humainement possible.
Sur le fond, cela ne change rien d'essentiel aux conclusions du papier : l'aversion pour le risque et l'"overconfidence" restent les déterminants du choix entre tournoi et salaire à la pièce. Mais puisque vous avez trouvé la page Web de Niederle, vous devriez lui envoyer un message lui signalant l'erreur...
Rédigé par : Bernard Salanié | 08 août 2005 à 13:05
L'opposition entre rémunération à la pièce et rémunération compétitive me semble bien caricaturale. Ne le prenez pas mal, mais cette expérience néglige le facteur politique. En effet, le travail des hommes et des femmes a toujours un cadre institutionnel. Et dans ce cadre, la productivité de quelqu'un est plus ou moins aussi importante que sa capacité à en faire la promotion.
Quelqu'un de moins productif qu'un autre peut ainsi mieux se vendre s'il courtise habilement ceux qui décident de son revenu. Et là, le sexisme qui ne rentre en fait pas en ligne de compte dans l'expérience citée par vos soins, joue. Pour éviter que des a priori sexistes puissent jouer, il faudrait que :
1/ que la rémunération valable des gens soit totalement basée sur une règle mécanique tel qu'énoncé dans le l'expérience, et soit donc exempte de toute subjectivité ;
2/ Que la productivité des uns et des autres soit totalement et instantanément physiquement mesurable. Sous peine de quoi, la rémunération sera basée non sur la productivité mais sur son interprétation (le jugement à la louche de votre chef) et/ou sa ré-interprétation (le marketing de votre propre productivité auprès de votre supérieur hiérarchique) ;-)
3/ Que l'information en matière de rémunérations ET de productivité soit totalement transparente dans le cadre de l'institution dans laquelle les gens travaillent. De sorte qu'une compétition sur la base de productivité de chacun puisse se développer. Sinon pourquoi les gens seraient ils animés d'un quelconque esprit de compétition s'ils ignorent exactement quelle est leur ratio productivité/salaire vis à vis de leur concurrent. Imaginez deux équipes de foot qui joueraint sans compter le score, elles se lacheraient certainement moins...
Inutile de dire que rares sont les entreprises ou administrations où sont respectées ces trois conditions... Et moins ces conditions sont respectées, plus la politique prévaudra et moins les rémunérations seront justes eu égard à la productivité de chacun.
Et donc pour finir, l'expérience menée par Niederle et Vesterlund est certes amusante mais sexe des gens n'apparaît que comme un produit de l'expérience pour expliquer le résultat. Rien ne permet de dire que c'est effectivement le sexe qui est déterminant pour expliquer le résultat. Qui me dit que les filles n'étaient pas plus enfants d'ouvriers que les garçons ? Et dans ce cas, qu'est ce qui joue, l'origine social ou le sexe ?
Une bonne expérience serait plutot d'intégrer le sexe comme une des hypothèses du modèle et non comme pseudo-explication après coup.
Les conclusions de Niederle et Vesterlund sont obtenus dans un contexte trop frustre. Bref, une petite expérience d'universitaires déconnectées de la réalité du monde du travail...
Cordialement,
Laurence de Sainte Lumère,
Le 9 août 2005.
Rédigé par : Laurence de Sainte Lumière | 09 août 2005 à 17:30
Bonjour,
Il y a un papier dans Le Monde d'hier qui devrait vous faire sourire :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,[email protected],36-678698,0.html
En rapport avec votre billet : en psychologie cognitive, il suffit parfois d'informer les candidats-test d'une expérience pour réduire la force des préjugés. Cela s'appliquerait parfaitement au test de compétitivité que vous décrivez ici.
Source : http://cognitivedaily.com/?p=88
Rédigé par : François | 10 août 2005 à 02:02
Autre explication : les femmes ont un penchant pour les jeux à sommes positive (ie, travaiul et rémunération de groupe) et les homme les jeux de transfert - d'ou rému à la piece). En gros, les éleveuses contre les chasseurs...
Rédigé par : Mouaif | 10 août 2005 à 14:43