1) Sûrement pas comme cela ; 2) je n'en suis pas sûr.
Le gouvernement a décidé de vendre les participations de l'Etat dans les trois sociétés concessionnaires de l'exploitation des autoroutes : ASF, Sanef et APRR. Il nous dit qu'il en espère 11 milliards d'euros qui serviront "à désendetter la France" et à "financer l'avenir" (tout cela avec 11 milliards d'euros, soit en gros 1% de la dette publique...). François Bayrou s'indigne de ce que le Parlement ne soit pas consulté alors qu'il s'agit de participations majoritaires ; il semble avoir de bons arguments juridiques, mais je préfère ici me concentrer sur l'argument économique.
Pourquoi, en définitive, devrait-on décider de privatiser une entreprise publique ? Du point de vue du "bien-être social", la réponse est simple : parce qu'elle opérera de manière plus efficace dans le secteur privé. De ce point de vue, le cas des sociétés d'autoroute n'est pas très convaincant, puisque ce sont déjà des sociétés de droit privé. Elle sont étroitement régulées : le gouvernement leur impose
des accords de tarification des péages, des règles de sécurité, des procédures d'ajudication des stations-services, etc. ; mais elles resteront tout aussi régulées à l'avenir. Il y a de bons arguments pour cela : Jules Dupuit en 1844 (et Adam Smith avant lui) avaient déjà noté que l'utilisateur d'une route ne devrait payer qu'un péage égal à son "coût marginal social", soit la valeur de la détérioration de la route et de la congestion qu'il impose aux autres conducteurs. Si on attribuait une liberté totale de tarification à un concessionnaire privé, il choisirait d'amortir ses coûts fixes (par exemple le prix d'achat de la concession, les équipements de gestion...) d'une manière certainement très différente. Ce principe étant posé, les gouvernements ont toujours eu la prudence d'utiliser des "subventions croisées" de bonne politique : le coût marginal social d'un camion est plus de cent fois supérieur à celui d'une voiture particulière, sans que les tarifs des péages le reflètent. Mais les camionneurs ont un pouvoir de nuisance plus grand que les automobilistes...
Pour le gouvernement (François Bayrou n'a pas tort), c'est évidemment un moyen expédient de recueillir des fonds qui peuvent se révéler utiles d'ici les élections de 2007, et accessoirement d'attribuer des cadeaux à des proches du pouvoir---on peut par exemple penser à une société de BTP très active dans l'audiovisuel. Dans un monde idéal, on commencerait par nommer une autorité de régulation aussi indépendante que possible ; on lui demanderait d'étudier soigneusement toutes les facettes du problème, avant de proposer ou non une privatisation, ses modalités, et un système de régulation pour la suite. On peut espérer que cette autorité opterait pour une procédure transparente, et pas pour cet espèce de salmigondis que nous annonce un Thierry Breton au top de sa forme :
Ces offres [des entreprises candidates à la reprise] auront un statut juridique 'non liant' même si elles devront proposer un prix, ce qui signifie qu'elles seront indicatives et que l'Etat les classera en fonction de différents paramètres [... on entrera ensuite] dans une logique de gré à gré, éventuellement sous forme de dialogue compétitif s'il y a plusieurs offres de qualité sur la même société.
Mais qu'on se rassure : comme on le voit, le gouvernement a opté pour une "procédure extrêmement rigoureuse et très transparente", souligne M. Breton, ajoutant qu'une personnalité indépendante sera nommée dans les jours qui viennent pour veiller "au bon déroulement du processus" (tout ceci extrait du site Web du Monde).
Au-delà de la procédure d'attribution, il semble clair au vu de ce qui précède que la privatisation des autoroutes n'est vraiment pas une urgence économique. Ce n'est même pas un très bon moyen pour le gouvernement de recueillir de l'argent : compte tenu du poids (et de l'aspect arbitraire) de la réglementation dans ce secteur, il faut avoir une confiance angélique dans le pouvoir (ou un accès privilégié) pour considérer l'investissement dans ce secteur comme particulièrement attractif. Le gouvernement va donc devoir casser les prix---un autre point sur lequel M. Bayrou a probablement raison.
Pour animer un peu le debat, un copier coller d'une depeche du Figaro:
"Dominique Perben a répondu hier à l'UDF François Bayrou, qui accusait le
gouvernement de privatiser les autoroutes «en catimini». «Il s'agit de
déclarations outrancières», a déclaré Perben, qui a ironisé : «C'est vrai
qu'il n'y aura plus les dividendes [des sociétés d'autoroutes], dont
certains nous disent qu'ils étaient mirifiques pour l'avenir. Mais ce qui
compte, c'est le présent.»"
comme ca, c'est clair: on brade le patrimoine pour financer les depenses courantes. Mais c'est pas grave car ce qui importe, c'est de tenir jusqu'en 2007, pas l'avenir du pays et de ses citoyens....
Rédigé par : Xavier | 31 juillet 2005 à 11:43
Je suis totalement d'accord avec vous, si ce n'est sur un point : Bouygues a annoncé qu'il n'était pas intéressé par cette privatisation, comme quoi il ne faut toujours pas voir le mal partout. En revanche en ce qui concerne la cagnotte que cela rapportera d'ici 2007, je vous rejoins tout à fait.
Rédigé par : Vincent | 31 juillet 2005 à 18:47
Pour aller dans le sens de BS : les acheteurs d'autoroute actualisent les recettes financières à 6 à 8 %. L'Etat le fait à 4 % (cout de la dette à 30 ans). Le type de privatisation qui vient d'etre engagé est donc une mauvaise opération patrimonial : si l'Etat avait un bilan, il devrait afficher la perte (la différence entre le prix d'achat, ie les recettes actualisées à 8 % et la valeure en comtpe, ie les meme recettes actualisées à 4 %). Comme il n'a pas de bilan, le fait de vendre (meme à des prix cassés) fait apparaitre des recettes.
Dans un privat de sociétés du champ "réellement concurrentiel", la perte peut etre compensée par un surplus d'innovation ou de bonne gestion. Ici il n'y a aucune chance que l'on rattrape en gestion : une autoroute, c'est essentiellement un péage (les couts sont tres minimes par rapport aux recettes).
La vérité économique est donc différente de l'affichage comptable. Faites le calcul : l'opération fait perdre 1/3 de la valeur du patrimoine public. C'est un scandale absolu.
Rédigé par : V | 01 août 2005 à 03:17
* V : je ne l'aurais pas mieux dit. A cette prime de 2 à 4%, j'ajouterais celle due au risque réglementaire, que l'Etat maîtrise par définition mieux que les opérateurs privés.
* Vincent : merci pour cette précision, et mes excuses à Bouygues, qui paie ici ses turpitudes passées.
Rédigé par : Bernard Salanié | 01 août 2005 à 04:04
Sur la forme, je comprends mal pourquoi une telle levée de boucliers maintenant, et pas lorsque la SANEF et les APRR ont été introduits en bourse, voici quelques mois. Tout le monde savait, à l'époque, qu'on vivait là les prémices du désengagement de l'Etat : après tout, les ASF ne sont publiques que d'un souffle, 0,1 %, le public et Vinci se partageant déjà 49,9 % du capital.
Sur le fond, on devrait sans doute, plus que de privatisation, parler de titrisation, opération très en vogue en Italie, où je me suis laissé dire que l'on avait titrisé des casernes, et qui apparaît, après l'emprunt à 50 ans, comme un expédient de plus, en attendant le miracle.
En tous cas, avec trois lots pour deux candidats dont l'un, Vinci, ne s'intéresse qu'aux ASF, les enchères s'annoncent sauvages.
Rédigé par : Denys | 02 août 2005 à 15:49
J'ai quelques doutes quant à l'éaquation financière de V : il ne faut pas confondre la prime de risque exigée par des investisseurs sur des actions et le coût de la dette (pour l'Etat ou les autres). En effet, le coût de la dette n'est pas celui du capital. Par ailleurs, je doute que l'Etat, eut-il un bilan, évalue les concessions et les sociétés d'autoroutes avec une actualisation ne prenant aucune prime de risque en compte...
Rédigé par : Axel | 13 août 2005 à 06:51
Je m'étonne que personne, sur ce blog, n'ai réagit à ce qui me semble à moi le plus scandaleux : l'ouverture du capital exclu les particuliers... donc les français, principaux utilisateurs de ces autoroutes...
A signaler aussi que dans le même lot d'annonces estivales, on nous annonce la suppression des nationales, qui deviendront départementales à péages...
Décidemment, on revient au moyen âge, avec des droits de passage de ville en ville...
Rédigé par : sophie | 23 août 2005 à 09:26
Sophie : il est normal que les utilisateurs d'un service paient un prix pour ce service. Ce prix joue un rôle important en régulant leur demande (si bien qu'ils font un arbitrage efficace entre la route et le train, par exemple). Ce n'est pas un racket comme les péages avant la Révolution, qui prélevaient parfois 10 à 20% de la valeur transportée ! Ceci dit, ce prix devrait être beaucoup plus élevé pour les camions que pour les voitures, d'après les études ; et je doute qu'on se dirige vers un tel choix, pour des raisons politiques évidentes.
Quant aux modalités d'ouverture du capital, la transparence voudrait effectivement qu'on fasse une offre publique de vente en Bourse, ouverte à tous, ecco fatto. Mais depuis que Balladur a inventé les "noyaux dur, les politiciens francais privilégient les "concours de beauté" pour des raisons là encore tristement évidentes....
Rédigé par : Bernard Salanie | 24 août 2005 à 12:31