Les dirigeants du Parti Socialiste ont donc exclu Laurent Fabius et les autres partisans du "non" de leurs organes de direction, se séparant ainsi un peu plus de leur électorat. Ce genre de réaction est décidément très à la mode, après l'accès de surdité post-référendaire du président Chirac.
Les socialistes ont-ils oublié leur histoire ? En juillet 1920, Cachin et Frossard, deux de leurs dirigeants, furent invités par Zinoviev au IIe Congrès de l'Internationale Communiste. Ils en revinrent avec une liste de 21 conditions d'adhésion. Apparemment, le PS n'a pas oublié la condition 12 :
...le Parti communiste ne pourra remplir son rôle que s'il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise...
On attend avec intérêt de voir s'ils appliqueront la 21e :
Les adhérents au parti qui refusent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus.
Et je ne peux pas résister à rappeler la 16e, qui suggère un rapprochement parfaitement saugrenu avec les causes du désarroi actuel :
Toutes les décisions des congrès de l'Internationale communiste, de même que celles du comité éxécutif, sont obligatoires pour tous les partis affiliés à l'Internationale communiste.
Les trois-quarts des militants s'étant déclarés pour l'adhésion, le congrès de Tours de Noël 1920 ne fut qu'une formalité ; mais il donna lieu à de très beaux (et très longs) discours. Le plus célèbre est celui de Léon Blum, parlant contre l'adhésion :
Nous sommes convaincus, jusqu'au fond de nous-mêmes, que pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste garder la vieille maison.
Nous sommes convaincus qu'en ce moment, il y a une question plus pressante que de savoir si le socialisme sera uni ou ne le sera pas. C'est la question de savoir si le socialisme sera, ou il ne sera pas.
Malheureusement, les apparatchiks de tout temps ne comprennent pas ce genre de logique. Je dis "malheureusement", car qu'on soit de gauche ou non, il est très souhaitable qu'il y ait une opposition crédible dans tout système de gouvernement ; et le PS paraît durablement hors de course.
"Et la fin de l'histoire, oncle Bernard ?" Dès 1921, le nouveau Parti Communiste commença à perdre des effectifs ; ses purges internes ne firent qu'accentuer cette tendance. En 1931, la SFIO avait plus de militants que le PC. A bon entendeur...
Un ami qui préfère rester anonyme me fait remarquer que j'exagère : Hollande a promis un congrès en novembre. Il a parfaitement raison sur la forme. Sur le fond, je pense quand même que la direction du PS aurait pu mettre son mouchoir sur le comportement effectivement pas du tout bon-camarade de Fabius et éviter de prendre ses électeurs à rebrousse-poil---le congrès de novembre sera encore une affaire de militants, et on a vu que les militants du PS ne représentaient pas bien son électorat.
Le même me signale aussi cette intéressante palette d'affiches pour le "non" d'Attac :
http://www.france.attac.org/a4262
Rappel sur Attac : "Mouvement d’éducation populaire, l’association produit analyses et expertises"... ça se voit tout de suite, en effet.
Rédigé par : Bernard Salanié | 05 juin 2005 à 04:18
La direction du PS a effectivement pris à rebrousse-poil une partie de ses électeurs, mais elle a également satisfait ceux de ses électeurs qui l'ont suivie dans leur vote et qui ne se remettent pas de l'incroyable déni des règles élémentaires de la démocratie qu'ont été les comportements d'Emmanuelli, Melanchon et autres Fabius. L'éviction de Fabius de la direction et la remise en jeu de son mandat par Hollande devraient permettre, comme dans toute organisation démocratique, de trancher lors du prochain congrès. Le fait que celui-ci soit remis à la rentrée est, au delà des contraintes techniques et des habiletés tactiques éventuelles, une bonne chose dans la mesure où l'on pourra un peu mieux mesurer la qualité des arguments des partisans du oui et du non. J'observe que pour l'instant, on se dirige moins vers une Europe plus sociale que vers une crise de l'Euro. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Les premiers à s'être engouffrés dans le non sont les régionalistes plus ou moins racistes de la Ligue du Nord. Ce n'est pas ce que promettaient les partisans du non. Mais l'histoire n'est pas terminée.
PS Je connaissais déjà vos travaux qui vous avaient valu quelques polémiques (j'en parle, je crois, sur mon site).Je viens de découvrir votre blog). Je m'y suis abonné.
Rédigé par : Bernard Girard | 05 juin 2005 à 05:52
Il me semble que dans un parti politique, il est difficile de laisser ainsi mépriser le choix des militants, fut-il le mauvais choix ! Sans en revenir aux exigences de Moscou, il ne faut pas oublier que la force d'un parti politique est avant tout son unité. Chacun accepte de mettre un peu du sien, quitte à y laisser certaines de ses idées, dans l'intérêt du "collectif". Fabius, en faisant un choix différent de celui de la majorité des militants, se place dans l'opposition interne au parti et non dans la direction. Il n'est pas exclu du parti, il est exclu de la direction, ce qui est une sacrée nuance.
Par ailleurs, il me semble - mais cela reste à démontrer j'en conviens - que le non n'aurait probablement pas fait le même tabac si Fabius, Mélanchon, Emmanuelli et consorts s'étaient contenté d'être discrètement absents des plateaux et des meetings. Il y a une force d'entraînement des partis politiques qu'il ne faut pas négliger. Un parti ne représente pas l'opinion, il influe sur l'opinion.
Rédigé par : Paxatagore | 05 juin 2005 à 12:07
Je suis assez d'accord avec les analyses précédentes. Un parit n'existe plus à partir du moment où chacun fait comme il le sent à sa sauce.
Si j'ai envie de défendre mes opinions sans aucune influence, je n'appartiens à aucun parti et je suis simple électeur que l'on essaie de courtiser en présentant divers projets politiques.
En revanche, si je veux m'intégrer dans un parti, qui plus est en tant que cadre supérieur, il em semble logique d'obéir aux règles de fonctionnements élaborées de manière claire. Si ça ne me plait pas, je démissionne et je crée un nouveau parti. Je trouve que Fabius a bien mérité sa "punition". C'est le prochain congrès qui jugera ensuite la ligne qu'il souhaite poursuivre.
En revanche, il est clair que l'éviction de Fabius peut être mal vécue par l'électorat mais c'est, à mon avis, une démonstration que le PS ne cherche pas encore à caresser les extrêmes dans le sens du poil, et ça c'est plutot bon signe (je ne suis pas sûr qu'à droite on pourra dire la même chose...).
A propos de la menace des extrêmes, je vous conseille cet excellent billet chez éconoclaste :
http://econoclaste.org.free.fr/modules.php?op=modload&name=News&file=article&sid=152
Rédigé par : M_Spock | 06 juin 2005 à 06:26
Je suis un peu étonné par votre défense de "la gauche de la gauche"...
> "Le PS en revient à Tours"
Certes, l'opposition entre la "première gauche" (autrefois révolutionnaire, désormais conservatrice) et la "deuxième gauche" (sociale-démocrate ou sociale-libérale), qui s'était estompée pendant les 80-90's, semble revenir en force.
Mais, pour reprendre votre analogie avec le congrès de Tours, croyez-vous qu'Henri Emmanuelli soit le Léon Blum d'aujourd'hui? N'est-il pas plutôt l'apparatchik borné de cette époque?
A Tours, la gauche réformiste a refusé de se fondre dans la gauche révolutionnaire et, comme vous l'indiquez en conclusion de votre note, bien lui en a pris. Alors pourquoi semblez-vous souhaiter aujourd'hui qu'elle refasse le chemin en sens inverse?
> "il est très souhaitable qu'il y ait une opposition crédible dans tout système de gouvernement"
Certes, mais cette opposition crédible peut-elle se construire avec la gauche nationale-républicaine et antilibérale?
Les affiches pour le "non" d'Attac sont consternantes. Comment voulez-vous que la gauche propose une alternative de gouvernement crédible en s'appuyant sur ce type d'"expertises"? (ce qui était sans doute déjà la question implicite de votre ami anonyme)
NB : Je me place ici sur le terrain des idées, pas sur celui de la "cuisine" interne au PS (exclure ou pas les non-istes qui ont mené campagne).
Rédigé par : Milan | 06 juin 2005 à 06:58
Je ne défends personne, surtout pas la gauche de la gauche (à supposer que Fabius en fasse partie)... c'était juste une réaction d'humeur. Je pense qu'il n'était pas très habile pour la direction du PS, qui vient d'être désavouée par ses électeurs, de prendre d'urgence des mesures disciplinaires. Sur le fond, les partis sont gouvernés par leurs militants et pas par leurs électeurs, depuis toujours. Il y a une bonne raison à cela : pour motiver les militants, il faut leur donner la possibilité de peser sur les orientations. Mais les militants d'un parti ne peuvent pas être un échantillon représentatif de ses électeurs : il y a forcément plus de gens qui ont du temps libre, par exemple (retraités, chômeurs, étudiants, enseignants...), ainsi qu'une surreprésentation, par définition, des électeurs qui se sentent très motivés par les questions politiques. C'est inévitable, mais on en verra peut-être les risques à l'automne, si le Congrès (des militants) du PS persiste dans cette attitude. Et si en conclusion le PS, parti de gouvernement, perd 10% de ses électeurs au profit d'une "gauche de la gauche" qui est surtout un "facteur de nuisance", je ne pense pas que ce sera une bonne chose pour la démocratie française.
Rédigé par : Bernard Salanié | 08 juin 2005 à 04:43