Après des décennies d'efforts, les Etats ont réussi à s'accorder sur l'idée que le libre-échange était la politique "en général" optimale ; ils ont réduit les droits de douane d'abord, puis les restrictions non-tarifaires comme les réglementations abusives qui servaient de barrières aux concurrents étrangers. Malheureusement, le naturel revient comme toujours au galop : depuis une dizaine d'années, on observe une véritable explosion des procédures antidumping.
Selon le site Web de la Commission Européenne,
Le dumping consiste à exporter à des prix inférieurs aux coûts du marché national pour obtenir des parts de marché à l'extérieur. L'article VI du GATT de 1994 autorise l'application, aux marchandises faisant l'objet d'un dumping, de droits antidumping égaux à la différence entre le prix à l'exportation desdites marchandises et leur valeur normale si le dumping cause un dommage aux producteurs de produits concurrents dans le pays d'importation.
Cette définition vient de loin : les Etats-Unis, qui ont longtemps fait figure de leaders dans cette triste occupation, ont voté un Antidumping Act dès 1921. Elle ouvre évidemment la porte à tous les abus. Comme les coûts des exportateurs sont très difficiles à évaluer, les autorités qui sont saisies d'une plainte par les producteurs nationaux se contentent généralement d'observer les prix pratiqués par les exportateurs sur leurs propres marchés nationaux ; c'est d'ailleurs explicite dans la définition de l'Organisation Mondiale du Commerce :
Si une entreprise exporte un produit à un prix inférieur à celui qu’elle pratique normalement sur son propre marché intérieur, on dit qu’elle pratique le “dumping”.
Comme tout étudiant de licence pourra vous le dire, le comportement optimal d'une entreprise consiste à pratiquer sur chaque marché un taux de marge inversement proportionnel à la sensibilité de la demande qui s'adresse à elle par rapport à son prix de vente ("l'élasticité propre"). Si le marché américain est plus concurrentiel que le marché japonais, il est parfaitement normal que les entreprises japonaises pratiquent des prix plus bas quand elles exportent aux Etats-Unis que quand elles vendent au Japon. Il est évidemment regrettable que la concurrence soit aussi faible au Japon; mais c'est aux autorités de la concurrence japonaises d'y remédier, pas aux Américains (pace Douglas MacArthur). Et si les Américains réussissent à fermer leurs frontières aux Japonais, ce ne sera pas vraiment bon pour la concurrence aux Etats-Unis...
L'OMC a essayé d'encadrer au moins ces pratiques pour en limiter les abus ; cette page du site Web de l'OMC en donne un bon résumé. Elle vient notamment de se prononcer contre la sournoise pratique américaine du "zeroing", qui (pour simplifier) se refusait à compenser des taux de marge bas en janvier par des taux de marge bas en février. Elle a également condamné par deux fois le Byrd Amendment qui subventionne les plaintes antidumping en promettant aux plaignants qu'ils se verront payer le montant des droits correctifs ; mais le Congrès américain se refuse à l'abroger. Quant à la durée des mesures antidumping, ou à la réglementation du mode de calcul des droits correctifs (qui atteignent souvent des niveaux supérieurs à 100%, bien au-delà des rêves du pire protectionniste il y a dix ans), on est bien loin d'un accord.
Ces dernières années, l'Union Européenne et surtout des pays émergents comme l'Inde ou le Brésil se sont lancées dans la lutte antidumping avec un bel abandon. Il y a un véritable risque que le (relatif) vide juridique en ce domaine conduise les Etats à se lancer dans une guerre commerciale. C'est à mon sens un des enjeux les plus importants dont les négociateurs de Doha devrait se saisir. Pour ceux que ce sujet intéresse, je conseille cet article (accès payant, hélas) de Greg Mankiw (l'ancien et bien malheureux président du Council of Economic Advisers de George W Bush) et Robert Swagel dans Foreign Affairs.
On peut ajouter que l'accusation de dumping suppose qu'une firme étrangère peut chasser à coups de tarifs bas ses concurrents sur un territoire national, mais qu'ensuite elle parviendra à empêcher d'autres entreprises de lui faire pareil (sans quoi le dumping est un échec). Or si elle a pu le faire on voit mal ce qui en empêcherait d'autres de le faire ensuite.
Rédigé par : econoclaste-alexandre | 29 juin 2005 à 11:00
Existe-t-il un exemple de pays ayant suivi jusqu'au bout la voie libre-échangiste (sans aucune mesure protectionniste) face à un(des) concurrent(s) expansionniste(s) tels que le Japon il y a quelque temps ou la Chine aujourd'hui? Avec quels résultats?
Rédigé par : ming | 29 juin 2005 à 11:36
Il y a deux réponses :
1) aucun pays n'a jamais eu une politique purement libre-échangiste. Même un gouvernement parfaitement convaincu des vertus du libre échange aurait besoin d'une extraordinaire fermeté pour ne jamais céder à aucune complainte d'un producteur national ; mais une fois qu'on a dit cela, on n'a pas démontré grand'chose.
2) il y a eu des centaines d'études empiriques pour déterminer si le libre échange améliore la croissance, réduit la pauvreté, etc. C'est un travail presque impossible : il faut essayer d'éviter que les conclusions ne soient contaminées par des différences structurelles entre pays, et par la causalité inverse (les pays les plus riches sont aussi les moins protectionnistes---agriculture exclue, comme toujours). Sous ces très fortes réserves, une nette majorité d'études conclut que le libre échange est favorable au développement.
Rédigé par : Bernard Salanié | 29 juin 2005 à 14:27
Y-a-t'il un site web qui liste les taxes qui s'appliquent par produit et par pays exportateur aux frontières de l'Union Européenne ? Pour être complet il faudrait aussi les subventions mais je suppose que c'est beaucoup plus difficile a extraire ...
Laurent
Rédigé par : guerby | 29 juin 2005 à 16:01
Laurent :
http://europa.eu.int/comm/taxation_customs/dds/en/tarhome.htm
Rédigé par : Emmanuel | 29 juin 2005 à 16:19
Mouaif. Sur le libre échange et pourquoi il peut etre non optimal dans la vraie vie je vous conseille ca :
http://www.mckinsey.com/mgi/publications/germanoffshoring.asp
Comme souvent, les experts retrouvent des résultats que "la sagesse des foules" intuite depuis longtemps.
Rédigé par : Mouaif | 29 juin 2005 à 17:54
POur les effet du "mechant liberalisme " et du libre-échange ,version test grandeur nature , on trouve ça :
http://www.senat.fr/ga/ga-027/ga-0270.html#toc0
A lire en entier , vraiment.
Rédigé par : Morrisson | 29 juin 2005 à 20:52
Intéressant ce rapport sur la N-Z. Les résultats de la libéralisation de ce pays me semblent assez prévisibles. D'une part, une économie plus compétitive, de l'autre plus d'inégalités et de pauvres.
Un peu comme en Angleterre avec les travaillistes de Blair, les néo-zélandais ne désirent pas revenir sur les bienfaits économiques de la libéralisation de leur économie, mais souhaitent depuis 1999 revenir à un programme politique plus centré sur le rôle social de l'état.
En conclusion, cette libéralisation a eu du bon et du mauvais. Le bon, dans l'économie. Mais en ce qui concerne le rôle de l'état, les dépenses publiques et les politiques de redistribution, il y a un net abandon de la ligne néo-libérale au bout de quelque temps. (Cette voie médiane me semble suivie depuis déjà pas mal de temps dans les pays scandinaves.)
Rédigé par : ming | 30 juin 2005 à 07:23
Minq , où vois tu plus d'inégalité et plus de pauvres? Je vois des problèmes d'education (mais quels pays n'en a pas?), et un faux problème qui est le poids des capitaux etrangers ( on s'en fout ).
Si il y a plus d'inégalité c'est pas un problème en soi ( ça veut dire que des gens se sont enrichis , c'est pas mal en general ),et je ne vois pas qu'il y a bcp plus de "pauvres". Au contraire. J'ai ete voir sur leur site pour actualiser certains chiffres, ils sont entre 3.5 et 3.9 % de chômage.Ca fait rêver quand même non?.
Leurs problèmes principal reste l'éducation , j'ai vu un reportage reçament sur la NZ , et aparament ces problèmes commencent a se resober , les Maoris sont de plus e plus mieux accepté et mieux intégrés economiquement , grâce au tourisme principalement. Leur culture renait.
Sans aucunes subventions... Ca devrait faire reflechir certains.
Maintenant je dis pas que c'est le paradis sur terre la NZ ( encore que , quand on a vu les paysages... :) )mais c'est toujours l'histoire de la paille et de la poutre hein. je pense qu'on ferai bien de prendre exemple sur eux .
Rédigé par : Morrisson | 30 juin 2005 à 09:19
Minq, je ne connais pas bien la situation en Nouvelle-Zélande, mais je suis un peu surpris que le compte-rendu de visite d'un groupe de sénateurs français en Nouvelle-Zélande constitue pour vous une source d'information particulièrement fiable et objective...
Rédigé par : Bernard Salanié | 30 juin 2005 à 09:31
En ce qui concerne la pauvreté, j'ai vérifié ce qu'avançait le rapport du sénat en 1999 en allant voir les statistiques du PNUD. La N-Z est tombée en 2004 à la 18ème place de l'indice de pauvreté humaine (IPH2). En 1998, elle avait même chuté à la 20ème place de l'indice de développement humain.
Je ne suis pas spécialiste des statistiques, donc chacun aurait intérêt à vérifier ce que j'ai compris, mais il me semble qu'il y a une tendance claire à l'augmentation de la pauvreté et des inégalités en N-Z durant la décennie des 90.
Voici d'autres références sur le sujet: http://www.faithcentral.net.nz/inclass/poverty.htm#
PS pour Morrisson: on peut être non-chômeur et pauvre. Je crois que taux de chômage et taux de pauvreté sont deux choses distinctes et qui n'évoluent pas forcément toujours dans le même sens. L'avis d'un économiste serait ici le bienvenu.
Rédigé par : ming | 30 juin 2005 à 10:30
j'ai cherché en vain votre e-mail, je me permets donc de poster ici le message suivant :
j'ai selectionné l'un de vos articles dans ma derniere revue de presse et je vous incluerai prochainement dans nos liens.
Si cela vous interresse je peux vous inscrire à notre service de presse et ainsi vous envoyer nos études et journaux : http://www.contribuables.org/service-de-presse/
Librement
ABL pour Contribuables Associés
Rédigé par : Contribuables Associes | 03 juillet 2005 à 17:00
Dans son premier commentaire, BS scripsit :
"il y a eu des centaines d'études empiriques pour déterminer si le libre échange améliore la croissance, réduit la pauvreté, etc. C'est un travail presque impossible"
Le problème, c'est que tout le monde ne fait pas preuve de la même prudence scientifique : les "études" montrant que les pays qui ont pratiqué un protectionnisme à outrance s'en sont mieux sortis que les autres (et sont désormais classés en NPI) sont légion... de même que les études amenant à une conclusion strictement inverse.
Les conclusions les plus sérieuses sur le sujet concluent que l'observation est constamment parasitée par des chocs exogènes (crises militaires, régionales...) qui réduisent la validité des études à pas grand chose.
On pourrait presque en tirer la conclusion que les observations effectuées en NZ (si elles sont valides : à voir avec le Sénat...) ne sont valables que dans le référentiel géopolitique NZ. Qui n'existe nulle part ailleurs.
Rédigé par : François | 04 juillet 2005 à 04:31
Ce commentaire est un peu trop pessimiste à mon sens. Les études économétriques sur un panel de pays ne sont pas la seule approche possible ; je crois plus, par exemple, aux études fondées sur un examen plus poussé d'un pays ou groupe de pays---même si la généralisation de leurs résultats reste sujette à caution.
Rédigé par : Bernard Salanié | 04 juillet 2005 à 09:17