Je dois faire amende honorable : j'avais eu une lecture un peu trop rapide de certaines parties du TCE. Sous l'intitulé anodin de "Protocole sur les dispositions transitoires relatives aux institutions et organes de l'Union" (protocole 34, page 157), on lit ainsi à l'article 2 :
Les dispositions de l'article I-25, paragraphes 1, 2 et 3, de la Constitution, relatives à la définition de la majorité qualifiée au Conseil européen et au Conseil, prennent effet le 1er novembre 2009, après la tenue des élections parlementaires européennes de 2009, conformément à l'article I-20, paragraphe 2, de la Constitution.
Autrement dit (j'ai vérifié auprès d'un expert), le traité de Nice continuera à s'appliquer pour encore plus de quatre ans, que le TCE soit ratifié ou non...Vous aviez peut-être compris cela, pas moi. Il me semble que cela affaiblit beaucoup l'argument selon lequel l'Europe est complètement bloquée dans le cadre de vote actuel et il faut en sortir de toute urgence.
Autre point négligé dans le débat (ou en tout cas dans mon post), l'article I-25 qui définit les nouvelles règles (celles qui s'appliqueront dans quatre ans, vous suivez toujours ?) a plusieurs détentes :
1. La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union.
Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise.
2. Par dérogation au paragraphe 1, lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du ministre des Affaires étrangères de l'Union, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72% des membres du Conseil, représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union.
Le paragraphe en gras est celui que tout le monde a à l'esprit. Il accroît le pouvoir des grands pays et notamment de l'Allemagne et de la France. Le paragraphe suivant, inclus pour apaiser l'Espagne et la Pologne, interdit à (par exemple) l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni de bloquer une proposition, bien qu'ils disposent à eux trois de plus de 35% de la population européenne. Il leur faudra donc s'adjoindre un autre pays.
Enfin, l'article 2 définit une "majorité super-qualifiée" pour certaines décisions. Est-ce tout ? Eh bien non, pas tout à fait. Il nous reste la déclaration numéro 5 (page 168) . Du 1er novembre 2009 à "au moins 2014" (article 4), son article 1 s'appliquera :
Si des membres du Conseil, représentant:
a) au moins trois-quarts de la population, ou
b) au moins trois-quarts du nombre des États membres,
nécessaires pour constituer une minorité de blocage résultant de l'application de l'article I-25, paragraphe 1, premier alinéa, ou paragraphe 2, indiquent leur opposition à l'adoption d'un acte par le Conseil à la majorité qualifiée, le Conseil en délibère.
Avec 3/4 de 35%, soit 26,25% de la population, des Etats peuvent donc, jusqu'en 2014, bloquer l'adoption d'une mesure par le Conseil... c'est la "majorité ultra-qualifiée", je suppose.
En relisant le TCE, je ne trouve pas que des amendements négatifs à mon jugement initial ; je reviendrai là-dessus. Mais sur ce point, qui constituait la meilleure raison de voter pour la ratification à mes yeux, je dois dire que mon approbation a un peu diminué.
"Autrement dit (j'ai vérifié auprès d'un expert), le traité de Nice continuera à s'appliquer pour encore plus de quatre ans, que le TCE soit ratifié ou non..."
Pour être plus précis : ce n'est pas le *traité de Nice* qui continuera à s'appliquer. Mais uniquement les dispositions du traité de Nice relatives aux pondérations pour la majorité qualifiée. (je précise parce qu'on entend régulièrement l'argument "le TECE ne s'appliquera pas avant 2009", ce qui est faux : si toutes les ratification arrivent dans les délais, il s'appliquerait à partir du 1er novembre 2006).
"Avec 3/4 de 35%, soit 26,25% de la population, des Etats peuvent donc, jusqu'en 2014, bloquer l'adoption d'une mesure par le Conseil... c'est la "majorité ultra-qualifiée", je suppose."
Oui, c'est une diposition qui a été arrachée par la Pologne lors de la CIG. Disposition d'ailleurs calquée sur le "compromis de Ioannina" adopté en 1994.
Une rectification : cette clause ne permet pas, à proprement parler, de "bloquer" un texte. Juste de forcer une poursuite des négociations au Conseil avant le vote définitif pour trouver un consensus.
Il y a certes une très forte incitation à modifier le texte qui pose problème : "le président du Conseil, avec l'assistance de la Commission et dans le respect du règlement intérieur du Conseil, déploie toute initiative nécessaire pour faciliter la réalisation d'une plus large base d'accord au sein du Conseil."
Mais rien n'interdit légalement de passer outre et d'adopter finalement la version initiale selon les règles de la majorité qualifiée.
Rédigé par : Emmanuel | 12 mai 2005 à 20:25