Plusieurs nouvelles entrées au Concours de l'Enormité Politique Lamentable. Côté "non", Henri Emmanuelli reste indétrônable. On se bouscule côté "oui", en revanche. Jean-François Copé a fait un effort méritoire avec "ce qu’il faut comprendre, c’est que cette Constitution porte en elle le modèle français dans son ensemble", qui lui vaut un accessit---les étrangers apprécieront. Mais, prestige de la fonction oblige, c'est Jacques Chirac qui tient désormais la corde, avec pas moins de deux contributions :
- " Cette Constitution a un certain nombre de mérites. Le premier, c'est qu'elle reprend toutes les valeurs qui sont celles de la France. On a dit qu'elle était d'une certaine façon, en parlant d'élargissement, la "fille de 1989" , c'est-à-dire de la chute du mur de Berlin. C'est vrai. Mais elle est surtout la "fille de 1789" ". Au-delà de la roublardise assez grossière qui consiste à faire appel au patrimoine commun à tous, on peut s'interroger sur cette interprétation de l'histoire. Les révolutionnaires de 1789 étaient des libéraux au vrai sens du terme : ils étaient partisans de la liberté en matière économique comme en matière politique. Ils ont notamment adopté la loi le Chapelier, fille spirituelle de Turgot et d'Adam Smith, dont l'article 1 proclame joyeusement "L'anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état ou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit." Est-ce vraiment ce que prônent les partisans d'une Europe sociale ?
- et ma préférée : "Je me suis souvent posé des questions, j'ai réfléchi, parfois j'ai été en désaccord avec certaines orientations. La plupart du temps je me suis aperçu, quelques années plus tard que je m'étais trompé"... et donc je dois avoir raison maintenant. C'est un mode de raisonnement chéri des communistes : nous nous sommes trompés si souvent qu'on ne peut maintenant que nous faire confiance. Comme la plupart des économistes, je pratique quant à moi l'apprentissage Bayesien : plus un homme se trompe et plus je révise à la hausse ma croyance qu'il vaut mieux se méfier de son jugement. Mais visiblement, le monde politique est régi par d'autres principes probabilistes.
J'ai aussi relevé chez le Président révolutionnaire l'usage du terme "invasion" pour qualifier la hausse des importations françaises de textile chinois ces derniers mois.
Quand on regarde dans des dictionnaires, on trouve à ce terme une connotation de "non désirée".
Dans une version du Robert :
"1. pénétration massive (de forces armées qui envahissent le territoire d'un autre Etat)
2. Action d'envahir, de se répandre dangereusement"
Sur le site de TV5, le dictionnaire en ligne donne :
"Irruption armée sur le territoire d'un autre Etat.• Envahissement soudain: une invasion de sauterelles."
http://dictionnaire.tv5.org/dictionnaires.asp?Action=1¶m=invasion&che=1
De la sauterelle à la fourmi...
Bref, sans trop m'avancer, j'imagine que Chirac considère comme une forme de calamité les entrées de textile chinois.
On peut certes aussi retenir le sens d'"entrée soudaine et massive" dans une optique plus neutre qui, elle, peut coller à la situation présente.
Mais j'ai quelques doutes sur le fait que ce soit le sens qu'ait voulu lui donner le chef de l'Etat (c'est probablement ce qu'il dirait, mais bon...).
Partant de là, je me demande : qui sont tous ces inconscients qui ouvrent la porte aux perfides T-shirts chinois ? Car, que je sache, c'est bien par la volonté des gens (qui s'habillent) que ces T-shirts franchissent la frontière, non ?
Rédigé par : Econoclaste-SM | 05 mai 2005 à 12:43
J'ai abandonné le CEPL... ce qui m'amusait au début a fini par sérieusement me déprimer : les Enormités Politiques Lamentables étaient devenues le mode normal d'expression de la classe politique, à quelques exceptions près. Chacun pourra décerner son propre prix.
Rédigé par : Bernard Salanié | 05 juin 2005 à 04:20