Robert Fogel, prix Nobel d'économie en 1992, a publié récemment Escape from Hunger and Premature Death, 1700-2100: Europe, America and the Third World . A défaut de le lire (on ne peut pas tout lire...), je me suis tourné vers la critique qu'Angus Deaton (de Princeton) vient d'en faire (NBER Working Paper 11308). Fogel part de la "courbe de Waaler". Waaler est un épidémiologiste norvégien qui a montré il y a vingt ans que l'espérance de vie à la naissance d'une personne était liée de manière très forte à son Body Mass Index (BMI). Le BMI est le rapport du poids en kilos sur le carré de la taille en mètres. L'obésité commence à 30, la sous-nutrition à 20. Entre 20 et 30, l'espérance de vie fluctue assez peu (même si chez les Norvégiens, elle semble atteindre un maximum pour un BMI de 24) ; mais quand on s'éloigne de 20 ou de 30, l'espérance de vie baisse fortement.
Fogel décrit l'histoire des trois derniers siècles comme une ascension irrégulière du mont Waaler : vers 1700, nous étions pris dans un cercle vicieux, trop mal nourris pour pouvoir travailler efficacement, et travaillant trop peu pour produire de quoi nous nourrir. En fait, un Français moyen d'aujourd'hui n'arriverait pas à nourrir son "énorme" corps s'il était ramené à cette époque---sans parler des Américains d'aujourd'hui, qui s'approchent dangereusement de la redescente du Mont Waaler. Ce processus n'est pas achevé, même dans les pays développés, où (à l'exception de l'Amérique) nous gagnons environ 1,5 cm par décennie. L'"hypothèse de Barker" vient compléter ce panorama : il y a de bonnes raisons de penser que la santé et l'espérance de vie futures d'un bébé dépendent beaucoup de la manière dont sa mère s'est nourrie pendant sa grossesse.
La thèse de Fogel devient plus controversée quand il attribue la plus grande part de cette amélioration à la croissance économique, qui nous a permis (à travers l'invention de méthodes de production moins intensives en travail) de nous échapper de ce cercle vicieux. Deaton pense, lui, que les progrès de la médecine publique ont joué un rôle considérable, surtout à partir de la découverte des microbes par Robert Koch et Louis Pasteur vers 1870. Ces questions sont en tout cas fascinantes et d'une importance inestimable pour le développement dans le monde.
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