Jeannine Verdès-Leroux (JVL), directeur de recherches au CEVIPOF, a publié récemment La foi des vaincus : les révolutionnaires français de 1945 à 2005. Je me souviens d'une émission d'"Apostrophes" particulièrement animée en 1983 : elle y avait présenté son premier livre, Au service du Parti, qui étudiait les écrits grotesques et/ou ignominieux des "compagnons de route" français. Dans le style grotesque, on peut citer par exemple Aragon (en 1953, annonçant le retour de Maurice Thorez de Moscou) :
Il revient... Ces mots-là sont la chanson qu'emporte
Le journalier, la chanson du soldat, du marin.
C'est l'espoir de la paix et c'est la France forte,
Libre et heureuse. Paysan, lance le grain.
O femmes, souriez et mêlez à vos tresses
Ces deux mots-là comme des fleurs jamais fanées.
Il revient. Je redis ces deux mots-là sans cesse.
Eluard n'était pas de reste dans son ode à Staline en 1950 :
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d'amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite
Pour son nouveau livre, JVL a dépouillé la presse communiste, trotskyste ou maoïste, ainsi que les très nombreux livres publiés par des révolutionnaires repentis. Elle a la dent très dure ; et elle peut paraître parfois tirer sur une ambulance (en ce qui concerne les communistes) ou même un cimetière (les maoïstes). Mais les trois candidats trotskystes ont tout de même réuni près de 3 millions des voix (plus de 10% des suffrages exprimés) au premier tour de l'élection présidentielle de 2002, avec les conséquences que l'on sait ; et quand on lit certains slogans sur le Web (un exemple : "le libéralisme est au XXIe siècle ce que le nazisme et le communisme ont été au XXe"), on se dit qu'il reste utile d'étudier de près la persistance de ces curieux phénomènes.
Même en ce qui concerne le PCF, dont l'histoire est aujourd'hui bien connue, les jeunes générations ne connaissent peut-être pas l'ampleur de l'égarement des intellectuels après la deuxième guerre. Voici Frédéric Joliot-Curie (prix Nobel de chimie en 1935) en 1951 :
Placé au centre même des luttes, disposant grâce à ses militants d'une information complète et armé de la théorie du marxisme, le Parti ne peut manquer de savoir mieux que chacun d'entre nous.
Une telle attitude a été théorisée très tôt par Trotsky, qui disait en 1924 :
Camarades, personne d'entre nous ne veut ni ne peut avoir raison contre son Parti [...] On ne peut avoir raison qu'avec le Parti et par son intermédiaire, car l'Histoire n'a donné aucun autre moyen d'avoir effectivement raison.
Ah, les ravages de Hegel... Le Parti a mis très longtemps à renier le grand frère soviétique, alors que même Sartre, lucide pour une fois, reconnaissait dès 1950 dans sa revue Les temps modernes qu'il y avait des millions de détenus politiques en Union Soviétique. Ca ne l'a pas empêché, comme beaucoup d'autres, de continuer à croire que l'URSS représentait le seul espoir d'un prolétariat français réduit à la misère. Thorez ne dénonçait-il pas en 1955 "la paupérisation renforcée de la classe ouvrière" : "un ouvrier parisien mange moins de viande que sous le Second Empire". Et Thorez était infaillible, comme Jacques Duclos selon Aragon en 1952 :
ce mainteneur de notre patrie, ce chef de la Résistance intérieure, cet homme d'Etat, ce grand économiste, ce militant infatigable, et pour tout dire ce marxiste éprouvé dans la théorie et la pratique.
Rien d'étonnant à ce que lors de la répression sauvage de Budapest en 1956, le PCF dénonce "des éléments réactionnaires et fascistes" et "la Saint-Barthélémy de communistes à laquelle se livrent les éléments fascistes hongrois".
Après la révélation du rapport Krouchtchev par Le Monde, les remords étaient encore timides : "qui ne sait, qui ne voit que fondamentalement, la politique suivie a été juste", écrivait L'Humanité. Qu'importent des millions de cadavres, quand on est dans le fameux "sens de l'Histoire"...
Je suis assez vieux pour me souvenir encore du "bilan globalement positif" dont le PCF gratifiait le communisme réel en 1979. On parlait d'eurocommunisme à l'époque, qu'on en juge : à Barre et Giscard qui avaient "délibérément organisé le développement du chômage", le PCF opposait en 1976 les pays socialistes qui "poursuivent à un rythme élevé leur développement économique sans chômage et sans inflation galopante, en assurant l'amélioration régulière du niveau de vie des masses". Alexandre Adler, devenu aujourd'hui historien à tout faire dans les medias, admettait que "les résultats spectaculaires [de l'URSS] ont entraîné une certaine idéalisation" ; mais "l'on voudrait parfois nous faire passer par récurrence du rejet des vues staliniennes au rejet systématique des vues de Lenine", quelle honte !
Tout cela n'a plus d'importance, dira-t-on ; le PCF n'est plus un danger. On peut tout de même s'étonner de la bienvieillance témoignée à des gens qui se sont autant trompés, et de manière parfois si abjecte. Les maoïstes, qui ont eu leur heure de gloire à la fin des années 60 et au début des années 70, considéraient, eux, le PCF comme un parti dégénéré : il avait eu le tort de critiquer (bien timidement) le grand Staline. Heureusement, il restait Mao, d'où ce stimulant slogan : "Implantons l'autorité absolue de la pensée de Mao-tse-toung ! " Sartre, toujours prêt à servir une mauvaise cause, sponsorise le journal La Cause du Peuple, et y publie entre autres gracieusetés, après l'attentat contre des athlètes israëliens aux JO de Munich :
Il semble parfaitement scandaleux que l'attentat de Munich soit jugé par la presse française et par une partie de l'opinion comme un scandale intolérable.
Serge July prêche la Nouvelle Résistance Prolétarienne : "nous continuerons à nous battre comme avant nous la génération FTP avait dû le faire". Il est vrai que toujours selon Sartre, la France est un "univers concentrationnaire" (en 1972 ; et dire que je n'avais rien remarqué...). Seize ans après, July ne regrette rien :
Le gauchisme français, à la naissance de nombreux bouleversements sociaux qui l'ont fait imploser, a joué un rôle positif y compris par ses erreurs.
S'il le dit... (on remarque le renvoi de marxisme : le maoïsme s'est effondré sous le poids de ses contradictions internes, en quelque sorte).
Les trotskystes, eux, survivent hélas. Ce sont peut-être leurs sempiternelles bisbilles qui les stimulent. Le Parti des Travailleurs (ex Organisation Communiste Internationale, les "lambertistes") pratiquent l'entrisme avec efficacité---ce sont eux qui ont infiltré Lionel Jospin au Parti Socialiste en 1972. Chez Lutte Ouvrière, on espère en une catastrophe majeure qui hâterait l'avènement du communisme. Dans ces deux chapelles, on jette l'opprobre sur la stratégie de "gauchisme attrape-tout" de la LCR, qui espère qu'une coalition de "mouvements sociaux" (homosexuels, féministes, altermondialistes, immigrés...) conduira le "totalitarisme libéral" (sic) à sa fin.
Une chose les unit tous : Trotsky ne s'est jamais trompé (pas d'atrocités pendant la guerre civile russe, pas de massacre à Cronstadt, et non, ce n'est pas lui qui prêchait le maintien permanent du communisme de guerre). Son Programme de transition de 1938 est toujours la Bible ; l'URSS est ainsi un "état ouvrier dégénéré" mais reste l'espoir des travailleurs---jusqu'à son écroulement.
Après ? Et bien, il reste Cuba (la Corée du Nord est décidément peu fréquentable). Dans La lune et le caudillo, JVL avait décrit la fascination coupable de la gauche française pour Castro. Voici Sartre en 1961 : "Castro pour moi est un homme admirable, l'un des rares hommes pour lesquels j'éprouve un sentiment de respect". Et même Mitterrand en 1974 : Castro est "Un homme modeste, désireux d'être compris, généreux, à la recherche d'une éthique nouvelle". Cette image d'humaniste s'est évidemment un peu ternie. La dernière icône de nos révolutionnaires est donc le Che, ce jeune homme si romantique qui déclarait à l'ONU en 1964 :
Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours proclamée à la face du monde : oui, nous avons fusillé ; nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu'il le faudra.
Avant de mourir en Bolivie, il avait joint l'action à la parole, envoyant à leur mort des centaines de prisonniers politiques. Tout ceci n'a pas réduit la vente des T-shirts ornés de la célèbre photographie, ni d'ailleurs empêché la tenue d'une exposition consacrée au Che par la Mairie de Paris en 2003, sous l'aimable "social-tropéziste" Delanoë. Mais là encore, le Che était sans doute dans le sens de l'Histoire...
Pour terminer, une phrase de Sartre sur ses vieux jours, à méditer :
Un intellectuel a besoin de trouver quelque chose à quoi s'accrocher et moi j'avais trouvé ça, comme tant d'autres.
Tu vas te faire beaucoup d'ennemis. Aucune mesure n'est prise en France sans concertation avec les communistes, rebaptisés "partenaires sociaux", au sein d'une "commission" appropriée.
Il faut dire que tu as déjà eu l'occasion d'éprouver à quel point le Parti ne se trompe jamais en matière d'études économétriques...
Rédigé par : Gilles Saint-Paul | 10 mai 2005 à 11:34
c'est bien beau de critiquer le parti des travaulleurs.mais que font les autres partis?
ils se sont déja tous réfugiés dans l'union européenne,instrument qui sert à libéraliser ce qui reste du monde,c'est à dire lEurope.
Union européenne,qui demain,sera à la botte des Etats-unis pour contribuer à faire de l'ordre dans le monde(ex:Irack,Afganistan,Iran,Syrie ect...
Union Européenne qui anéantira tout ce qui reste des droits sociaux,du travail,de santé,d'éducation pour installer:individualisme,egoisme,guerres,division(europe des régions)misère
enfin,tout ce que les americains ont contribué à faire chez eux et dans le monde
pour revenir au parti des travailleurs,je peux dire que contrairement à la plupart des partis,qu'il n'a aucun "avantage" européen et qu'il a voulu garder son indépendance pour défendre ce qu'il croit juste,c'est à dire l'équité,la fraternité,la liberté,la justice(cela vous rapelle pas ce mot:la république
en clair,contre la barbarie ou la loi de la jungle
contrairement à pas mal de partis qui préfèrent tricher avec leurs électeurs sur la misère qui les attend pourvu qu'ils aient une place au soleil et bien rénumérés(union européenne)
Rédigé par : michel | 11 novembre 2005 à 16:03
L'ode au retour de Maurice Thorez, due à Aragon, ne doit pas dater de 1953, car Thorez était ministre de De Gaulle en 45-46, donc déjà rentré en France depuis très longtemps en 53.
Rédigé par : Paul Caspi | 26 février 2006 à 09:12
Ce n'etait pas son retour de la fin de la guerre, mais le retour d'un sejour qu'il avait du faire a Moscou pour se faire soigner par des medecins sovietiques...
Rédigé par : Bernard Salanié | 26 février 2006 à 09:37