On trouve de tout à la librairie de la Documentation Française (29, quai Voltaire, Paris 7e). Cette semaine, on solde "Mai 1981, Mitterrand président", de Noël Nel. De 95 francs il y a dix ans, son prix est passé à un euro. Qu'on n'y voie surtout aucun symbole ; mais à ce prix, c'est une affaire puisque toute une époque défile dans ces pages. La gauche regrettait la médiatisation croissante de l'élection et s'insurgeait contre le giscardisme qu'elle prêtait au trio télévisuel Cavada-Duhamel-Elkabbach. La Pravda affichait une claire préférence pour Giscard, que Mitterrand qualifiait de "petit télégraphiste" de Brejnev. On parlait déjà du financement des partis, et le responsable d'une "officine très confidentielle", un certain Patrick Devedjian, avouait au Quotidien de Paris :
En temps de campagne électorale, nous n'avons pas avantage à remuer ces affaires qui ont un relent de soufre.
Curieusement au regard de ce qui a suivi, la campagne électorale ne passionnait pas les foules : "La France bâille", titrait Le Point. Certes, les candidats de second rang cherchaient à se différencier : Jacques Chirac prônait une "régulation automatique naturelle" de l'économie (Hayek, sans le style ?). Georges Marchais se présentait comme le "candidat anti-chômage". Et il y avait bien sûr Coluche, dont l'élégant slogan "avec moi pour leur foutre au cul" avait rallié 10% des Français avant qu'il ne se retire.
Le Figaro prévoyait en cas de victoire de Mitterrand "d'importants dégâts" économiques :
Le résultat d'une telle politique ne sera pas long à attendre, un retour en force de l'inflation, une chute de la monnaie, et, au bout du compte, une aggravation du chômage.
Pour calmer ces inquiétudes, le candidat Mitterrand réunissait "deux cent experts de l'économie" favorables à son programme au Sénat. C'est triste à dire, mais c'est le Figaro qui a eu raison. Il est vrai que les tracts de l'UDF allaient un peu plus loin en menaçant la France d'une "inflation à trois chiffres".
Comme chacun sait, le deuxième tour vit une explosion de passions contrastées ; mais je ne me souvenais pas du niveau d'emphase atteint dans les deux camps. Jean d'Ormesson, le Grand Ecrivain du Figaro, appelait à un sursaut aux législatives de juin :
En dehors de toute affiliation partisane (sic), je lance, à tous les Français et à toutes les Françaises---y compris peut-être des sociaux-démocrates---qui refusent le péril mortel du totalitarisme marxiste, un appel angoissé mais confiant à une mobilisation générale.
Jacques Fauvet, directeur du Monde, employait des termes qui laissent un peu rêveur aujourd'hui :
Cette victoire, c'est enfin celle du respect sur le dédain, du réalisme sur l'illusion, de la franchise sur l'artifice, bref, celle d'une certaine morale.
Mitterrand a dû bien rire. Les boursiers, eux, étaient en proie à la panique : les cotations durent être suspendues le lundi 11 mai, les ordres de vente ne trouvant plus de contrepartie. Libération racontait que les immigrés indochinois de la porte de Choisy cherchaient à se procurer des dollars, le franc n'étant plus sûr (on peut en sourire maintenant, mais il y eut bien trois dévaluations en deux ans). Le slogan de la gauche était "changer la vie" : plus jamais en France on ne reverrait le taux désespérant de 7% de chômeurs...
En lisant cette brochure, une chose me frappe : ce qui a vraiment coulé VGE, c'est d'avoir trop ressemblé (on me pardonnera l'anticipation) à Alain Juppé. La fameuse fin de non-recevoir opposée aux journalistes dans l'affaire des diamants reçus de Bokassa rappelle ainsi furieusement le "droit dans mes bottes" de Juppé :
La relance des polémiques sur ce point, outre ce qu'elle aurait de tendancieux, placerait la campagne présidentielle à un niveau indigne.
Jacques Chirac a bien compris la leçon : à la supériorité hautaine affichée par Juppé et VGE, il a substitué (après divers essais de métamorphoses) le président-popu, muni en guise de viatique électoral de tous les défauts du Français moyen. A ce stade, il semble possible que la recette réussisse encore en 2007.
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