Le mouvement des chercheurs français ne semble pas devoir déboucher sur les réformes de structures dont nous avons tant besoin ; mais il aura eu au moins le mérite de faire prendre conscience du problème. La Commission Européenne vient ainsi d'adopter une recommandation qui définit les droits et devoirs des chercheurs et pose les principes qui devraient guider leur recrutement.
Ce texte a du bon et du mauvais :
- il est verbeux ; la "charte européenne du chercheur" proposée en annexe assène des évidences avec le plus grand sérieux (ma préférée : "A tous les étapes de leur carrière, les chercheurs devraient chercher à s'améliorer continuellement en actualisant et en développant régulièrement leurs capacités et compétences. Divers moyens permettent d'y parvenir, notamment, mais pas exclusivement la formation de nature formelle, ainsi que les ateliers, les conférences et l'apprentissage en ligne." Je n'y aurais jamais pensé).
- il comprend la dose de politiquement correct apparemment indispensable : "En conséquence, l'Europe doit se rendre plus attrayante pour les chercheurs et doit renforcer la participation des femmes chercheurs." Certes ; c'est un objectif hautement souhaitable, mais pas immédiatement relié au brain drain dont il est question. Quant à sa mise en œuvre... "Cet équilibre devrait s'obtenir au moyen d'une politique d'égalité des chances au moment du recrutement et aux étapes ultérieures de la carrière, sans prévaloir pour autant sur les critères de qualité et de compétence. Pour que l'égalité de traitement soit assurée, les comités de sélection et d'évaluation devraient refléter un équilibre adéquat entre hommes et femmes". Nil novi sub sole.
- l'obsession de l'harmonisation a encore frappé : "La charte et le code de conduite donneront à tous les chercheurs les mêmes droits et obligations, quel que soit leur lieu de travail dans l'UE. Cela devrait contribuer à compenser le fait que, en Europe, les carrières dans la recherche sont fragmentées aux niveaux local, régional, national ou sectoriel, et permettre à l'Europe de tirer le meilleur parti possible de son potentiel scientifique." Il est là encore souhaitable qu'un chercheur italien puisse passer cinq ans en France sans mettre en péril son avancement et ses droits à la retraite ; mais il est difficile de croire que cela va réduire le différentiel en faveur des Etats-Unis.
Cette recommendation a tout de même des aspects positifs. Elle souligne que "les employeurs et/ou bailleurs de fonds devraient veiller à ce que les chercheurs jouissent de conditions équitables et attrayantes sur le plan du financement et/ou des salaires". Tant mieux (pourvu qu'"équitables" ne signifie pas "indépendantes du mérite", ce qui est l'une des sources du mal français). Surtout, elle pose le principe de la transparence dans l'évaluation. Les paragraphes concernés méritent d'être lus :
Tout ceci n'a l'air de rien, mais ce serait un changement révolutionnaire en France. La longue liste de critères d'évaluation risque de donner lieu à des dérapages ; mais c'est inévitable. Contrairement à ce qu'on croit parfois, même les institutions américaines les plus élitistes ne se limitent pas aux publications pour juger d'un recrutement ou d'une promotion, loin de là.Les employeurs et/ou bailleurs de fonds devraient introduire pour tous les chercheurs, y compris les chercheurs expérimentés, des systèmes d'évaluation afin que leurs performances professionnelles soient évaluées de façon régulière et transparente par un comité indépendant (et de préférence international dans le cas des chercheurs expérimentés). Ces procédures d'évaluation devraient dûment tenir compte de l'ensemble de leur créativité dans la recherche et de leurs résultats de recherche, par exemple publications, brevets, gestion de la recherche, enseignement et conférences, supervision, fonction de mentor, collaboration nationale ou internationale, tâches administratives, activités de sensibilisation du public et mobilité, et devraient entrer en considération dans le cadre de l'avancement de carrière.
Ce texte témoigne donc d'avancées positives de la réflexion au niveau européen. Il ne s'agit cependant que d'une "recommandation" ; il reste à voir quelles conséquences pratiques elle pourra avoir.
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